Kabyles

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.

Cet article traite du peuple Kabyle. Pour la langue, voir l'article Kabyle

Les Kabyles sont un peuple berbère (amazigh) de la Kabylie, région montagneuse à l'est d'Alger en Algérie. Les habitants de cette région densément peuplée ont massivement émigré vers différentes parties du pays (notamment Alger[1]) et vers la France[2]. Depuis 1871, ce peuple tente de faire face à une assimilation culturelle, linguistique (arabe dialectal et français) et à une mutation de son organisation sociale.

Berger kabyle, d'Eugène Fromentin
Berger kabyle, d'Eugène Fromentin

Sommaire

[modifier] Étymologie

Le terme « kabyle » serait originaire du mot arabe qabā'il (قبائل), pluriel de al-qabīla (قبيلة), « tribu »[3],[4]. Il est utilisé pour la première fois vers le XVIIIe siècle, d'abord sous la forme de Cabeilles, puis Cabaïls par les explorateurs occidentaux pour désigner les populations berbères de l’Algérie septentrionale, alors même que l'arabe est déjà présent sur une partie du pays.
Transcrit sous la forme de « kbayel » pour « قبائل » (absence du phonème « v » dans l'alphabet arabe), les Kabyles prononcent « kvayel » qui signifie « ceux avant » pour désigner les autochtones. Le terme « kvayel » est le pluriel du mot « kvel » qui signifie : « avant, précédent ». Toutes les tribus « autochtones » de Kabylie sont fédérées sous l'unique vocable de « Kvayel » alias « قبائل » ou « Kabyles ».

C'est donc le terme que les Européens utilisaient pour désigner ces montagnards qui portaient des noms différents en fonction des tribus auxquelles ils appartenaient. Aussi, il pouvait aussi bien désigner les Berbères des Aurès, de l'ouest algérien, et même du Maroc. On parlait alors de Kabylie de l'Ouarsenis, ou encore des Kabylies du Maroc[5]. Le nom s'est ensuite restreint à l'ensemble formé de la Kabylie du Djurdjura et du Dahra et celles des Bibans-Babors, du fait notamment de la plus grande attention que la France a fixé à cette région qui opposait une résistance plus tenace.

Certains lui attribuent une origine phénicienne, de la liaison du K, comparatif dans la langue hébraïque, et de Baal, nom de divinités syriennes ; k-Ball, adorateur de Baal[5]. Seul l'historien Hérodote mentionne les « cabales »[6], tribus libyques de Cyrénaïque, mais aucun des nombreux autres auteurs de l'époque romaine, géographes ou historiens, n'en font mention[5].

[modifier] Autres appellations

Medghassen, la sépulture des rois Numides et patriarche des Zénètes
Medghassen, la sépulture des rois Numides[7] et patriarche des Zénètes[8]

Les arabophones utilisaient le mot Zwawa (sg. Zwawi), selon certains c'est une déformation du berbère Agawa, un massif au cœur de la Grande Kabylie, dont le pluriel Igawawen[9] était le nom d'une tribu très puissante et ancienne confédération composée de huit tribus organisées en deux confédérations : At Betrun (At Yanni, At Budrar, At Bu Akkach, At Wasio) et At Mengellat (At Mengellat, At Bu Yusef, At Weqbil, At Attu).

Les Zwawas sont issus des deux branches de Medghassen (patriarche des Zénètes) et des Barnès, selon Ibn Khaldoun[10].

Toutefois, selon le professeur Salem Chaker le terme Zwawa/Zwawi utilisé par les arabophones ne doit pas être relié à agawa/igawawen mais plutôt à azwaw/izwawen (prénom kabyle et nom de clan répandu en Kabylie). Salem Chaker démontre que Izwawen est le véritable nom ancien et autochtone des Kabyles qui « comble de la dépression historique ont presque oublié leur véritable nom »[11]. En outre, dans l’Ouest algérien, les Kabyles sont toujours désignés sous le nom de Zwawa/Zwawi[12]. Zwawa a donné en français zouave, puisque les premiers fantassins indigènes étaient originaires de cette confédération.

[modifier] Langue

Icône de détail Article détaillé : kabyle.

La langue kabyle (« tha kvayelith » textuellement « la kabyle ») se rattache au groupement berbère qui comporte plusieurs variantes. La Kabylie représente la deuxième concentration de berbérophones après le Souss (Sud du Maroc). Estimée à plus de 6 millions de locuteurs (la moitié des berbérophones algériens), cette langue est très proche du chenoui (parlé dans le Chenwa à l'ouest d'Alger) et du chaoui (tachaouit) parlé dans les Aurès au sud-est de la Kabylie. Très attachés à leur identité berbère, les Kabyles revendiquent la reconnaissance du pluralisme linguistique, notamment par la consécration pour la langue Tamazight (Berbère) dans la Constitution algérienne d'un statut de langue officielle, en plus de celui de nationale déjà accordé[13].
Tha kvayelith (« la kabylité ») signifie aussi dans la sémantique kabyle en général, la référence à un système de valeurs ancestrales (code de l'honneur) non contradictoire de l'esprit du clan (çof) qui régulent et gèrent la vie collective à l'échelle d'un village ou d'une tribu ou confédération.

[modifier] Société ancienne

L'organisation sociale des Kabyles, autrefois éleveurs et agriculteurs sédentaires a été abondamment étudiée, notamment par le sociologue français Pierre Bourdieu[14]. Ce modèle a été largement modifié par la forte émigration qui a bouleversé les rapports sociaux[15], l'urbanisation, mais on peut tracer les grands traits de la société traditionnelle.

Chaque village formait tajmaât (« une assemblée » en kabyle), une petite ou grande organisation selon l'importance numérique du village, semblable à la république démocratique[16]. Elle était composée de tous les hommes ayant atteint la majorité, et où en principe tout citoyen, quelle que soit sa condition socio-économique, pouvait prendre la parole pour exposer ses idées et prendre position lors des propositions de résolutions. Les vieillards, à qui l'on attribuait le titre d’imgharen, parce qu'ils étaient chefs de famille, ou même de la lignée vivante, bénéficiaient d'un respect particulier et d'une grande écoute, aussi l'on accordait à leurs décisions dans la jamaâ une plus grande importance, et la démocratie kabyle s'apparentait parfois plus à une gérontocratie.
On y nommait l’amin (« chef ») (ou l'ameqqran ; « ancien », suivant les régions) qui était chargé du bon déroulement de l'assemblée et de la mise en application de ses décisions.
Pour les plus grandes tajmaât, le chef était parfois assisté dans ses fonctions par un uqil et plusieurs t'emen[17]. L'uqil avait la responsabilité des revenus de la tajmaât, et avait en plus un droit de regard sur les décisions du chef. Il appartenait en général à un çof (« ligne », alliance de plusieurs tribus[18]) opposé à celui du chef, constituant un véritable contrepoids au pouvoir exécutif, ce qui assurait une certaine stabilité politique[17]. Le t'emen, sorte de « député-maire », représentait son çof lors des réunions et transmettait les décisions.
Conseil municipal, cour de justice et cour souveraine, la tajmaât se référait, en cas de litige ou de problème, à des textes de lois, les « qanôun kabyles »[19], la plus haute autorité juridique, qui définissaient le moindre manquement et sa sanction[20].

Le code de l'honneur protégeait « la maison, les femmes, les fusils », et stipulait que le meurtre devait être vengé par les liens du sang (les auteurs de ces actes étaient rejetés de la communauté). La filiation est patrilinéaire agnatique. Le patronyme de l'ancêtre commun se transmettait. La tajmaât vivait sous l'autorité du groupe, où l'esprit de solidarité était fort développé. Pour exemple le terme tiwizi (« solidarité ») désignait l'activité collective consistant à aider un villageois dans une de ses tâches comme le ramassage des olives[21], à laquelle il contribuait directement ou en nourrissant les participants.

Rectificatif: Djemaa (que les kabyles ont intégrés en "tadmaât" en le berbérisant) est un mot d'origine arabe le mot exact en berbère est plutôt "agraw" qui signifie assemblée. Le çof ne se rapporte pas à un clan mais à une ligue, le clan est une organisation qui se rapporte à une famille élargie, comme la tribu, alors qu'un çof peut-être changeant (cf La kabylie et les coutumes kabyles Hanoteau et Letourneux 1872-1873 Paris reed Bouchène Paris 2003 et La Kabylie sous le régime Turc de Joseph-Nil Robin)


[modifier] Annexes de l'article

[modifier] Notes et références

  1. Selon les estimations, 50 à 70% de la population d’Alger est kabyle. (La surprenante évolution démographique du Maghreb moderne par Zahia Ouadah-Bedidi (INED), 8 octobre 2002).
  2. Les Kabyles y représenteraient environ un million de personnes (« Langue et littérature berbères », article de Salem Chaker, professeur de berbère à l’INALCO, et directeur du Centre de Recherche Berbère).
  3. CNRTL.fr (Centre national de ressources textuelles et lexicales) — article « Kabyle ».
  4. (en) - The American Heritage® Dictionary of the English Language: Fourth Edition. 2000. Appendix II: Semitic Roots.
  5. abc « Mœurs et coutumes de l'Algérie - Tell, Kabylie, Sahara » par Eugène Daumas, éd. Hachette, 1855, p.156-158
  6. (fr) - Livre IV - Melpomène, CLXXI, « L'Enquête », Hérodote.
  7. Souvenirs d'une exploration scientifique dans le nord de l'Afrique, Jules-René Bourguignat
  8. Ibn Khaldoun, Histoire des Berbères
  9. Il semblerait que dans l'Antiquité, les Igawawen aient porté le nom de Quiquegentiani, appellation administrative désignant cinq tribus (quinque gente). Une vieille légende rapporte en effet que les montagnards descendent d'un géant qui eut cinq fils, lesquels formaient les cinq tribus antiques (Boulifa, 1925), les fameux Quinquegentiani qui donnèrent tant de mal aux Romains.
  10. Ibn Khaldoun, Histoire des Berbères
  11. Salem Chaker, notes à propos de l'article Les Zwawa (Igawawen) d'Algérie centrale par Jacques Lanfry.
  12. Malha Benbrahim, professeur à l'Inalco, Documents sur Fadhma N’Soumeur (1830-1861), Clio, numéro 9/1999, Femmes du Maghreb
  13. (fr) - « Loi n° 02-03 portant révision constitutionnelle », adoptée le 10 avril 2002, attribuant notamment à tamazight le statut de langue nationale.
  14. Une grande partie de son œuvre anthropologique se base sur l'analyse de la société kabyle (Esquisse d'une théorie de la pratique (1972), Le sens pratique (1980), La domination masculine (1998), …) (Voir : Bourdieu : Passage à la sociologie).
  15. L'exil kabyle, Mohand Khellil, éd. L'Harmattan, 2000, p.173-176 (ISBN 2858021414).
  16. Dictionnaire de la culture berbère en Kabylie, Camille Lacoste-Dujardin, La Découverte, Paris, 2005 (ISBN 2707145882).
  17. ab La Kabylie et les coutumes kabyles - A. Hanoteau et A. Letourneux, éd. Bouchène, Paris, 2003, Chap. VI-VIII (ISBN 2-912946-43-3).
  18. Les çofs étaient davantage assimilables à des partis politiques, car il n'était pas rare que ces çofs divisent les tribus voire des villages.
  19. À propos "des qanouns kabyles" de Belkassem Bensedira, Mustapha Gahlouz, Awal, Cahiers d’Études Berbères n° 16, 83-99.
  20. « Kanoun kabyle », exemple de qanôun, celui de la tribu des Beni Mansour (extrait du Cahiers du centenaire de l'Algérie, édité par le Comité national métropolitain du centenaire de l'Algérie en 1930).
  21. Tiwizi de nos jours fait encore partie intégrante de la société kabyle. Lire à ce sujet : Tiwizi ou la création collective : le toit de la solidarité reportage de Rachid Oulebsir (3 mars 2007).

[modifier] Bibliographie

  • « La Kabylie et les coutumes kabyles » - A. Hanoteau et A. Letourneux, éd. Bouchène, Paris, 2003 (ISBN 2-912946-43-3).
  • « Hommes et femmes de Kabylie » - Salem Chaker, éd. Edisud, 2000 (ISBN 2744902349).
  • « Berbères aujourd’hui » - Salem Chaker, éd. L’Harmattan, 1999 (ISBN 2738473512).
  • « Les Kabyles. Éléments pour la compréhension de l'identité berbère en Algérie » - Tassadit Yacine, GDM, Paris, 1992 (ISBN 2-906589-13-6).
  • « Les kabyles propos d'un témoin » - Jean Morizot, éd. L'Harmattan, Paris, 2003 (ISBN 2-7475-1027-1).
  • « De la question berbère au dilemme kabyle, À l'aube du XXIe siècle » - Maxime Ait Kaki, éd. L'harmattan, mars 2004 (ISBN 2747557286).
  • « L’émigration kabyle en France : une chance pour la culture berbère ? » - Nadia Belaïdi, U21-Éditions universitaires de Dijon, Dijon, 2003 (ISBN 2-905965-82-7).

[modifier] Voir aussi

[modifier] Liens internes

commons:Accueil

Wikimedia Commons propose des documents multimédia libres sur Kabylie.

[modifier] Liens externes