Ingérence humanitaire

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En politique internationale, l'idée d'ingérence humanitaire est apparue durant la Guerre du Biafra (1967-1970). Le conflit a entraîné une épouvantable famine, largement couverte par les médias occidentaux mais totalement ignorée par les chefs d'États et de gouvernement au nom de la neutralité et de la non-ingérence. Cette situation a entraîné la création d'ONG comme Médecins sans frontières qui défendent l'idée que certaines situations sanitaires exceptionnelles peuvent justifier à titre extraordinaire la remise en cause de la souveraineté des États. Le concept a été théorisé à la fin des années 1980, notamment par le professeur de droit Mario Bettati et l'homme politique Bernard Kouchner.

Sommaire

[modifier] Précurseurs

Dans son ouvrage De iure belli ac pacis (1625) Hugo Grotius avait déjà abordé la possibilité d'intervenir dans le cas où un tyran commettrait des actes abominables.

L'idée d'aller dans un pays étranger pour y « aider » la population est ancienne : au XIXe siècle siècle, on parlait alors « d'intervention d'humanité ». Les Européens appelaient ainsi leurs actions pour aller, officiellement, sauver les chrétiens vivant en Turquie, mais officieusement, pour déstabiliser le Sultan de Turquie, Abdülhamid II. Au nom de cette « intervention d'humanité », des « atrocités » furent invoquées.[1]

[modifier] Définitions

Les défenseurs de l'ingérence humanitaire la justifient principalement au nom d'une morale de l'urgence : « on ne laisse pas les gens mourir ». Elle puise son fondement dans la déclaration universelle des droits de l'homme de 1948. Pour eux, une ingérence n'est donc légitime que lorsqu'elle est motivée par une violation massive des droits de l'homme et qu'elle est encadrée par une instance supranationale, typiquement le conseil de sécurité des Nations unies.

Bien que, depuis décembre 1988, la notion d'ingérence humanitaire soit reconnue par le droit international, certains pensent qu'elle devrait rester dans la sphère des valeurs strictement morales. Cette notion est en effet totalement contraire aux fondements du droit international qui dispose qu'un État n'est lié par une règle de droit que s'il l'a acceptée en ratifiant un traité ou en adhérant à une règle préexistante.

Dans la pratique, les actions d'ingérence humanitaire sont toujours réalisées par des contingents nationaux, ce qui peut impliquer deux situations relativement différentes :

Le droit d'ingérence, terme créé par le philosophe Jean-François Revel en 1979, est la reconnaissance du droit qu'ont une ou plusieurs nations de violer la souveraineté nationale d'un autre État, dans le cadre d'un mandat accordé par l'autorité supranationale. Dans la pratique, au nom de l'urgence humanitaire, il n'est pas rare que le mandat soit fourni rétroactivement ; ainsi l'intervention de la France en Côte d'Ivoire s'est faite initialement sans mandat de l'ONU (cet exemple est critiquable car la France est intervenue dans le cadre des accords de défense qui la lient à la Côte d'Ivoire).

Le devoir d'ingérence est l'obligation qui est faite à tout État de veiller à faire respecter le droit humanitaire international. Refusant ainsi aux états membre de l'ONU tout "droit à l'indifférence". Cette obligation n'ouvrant bien entendu aucun droit à l'action de force unilatérale. Elle doit plutôt être comprise comme une obligation de vigilance et d'alerte à l'encontre de telle ou telle exaction qu'un gouvernement serait amené à connaitre.

(Source :[2])

[modifier] Les limites

En dépit des idées généreuses du concept, qui place au premier rang des valeurs comme la démocratie ou le respect des droits de la personne humaine, il a dès l'origine suscité le questionnement, voire la critique.

Dans les faits, une mission d'ingérence est parfois contraire aux objectifs fondamentaux de l'ONU (le maintien de la paix), en tout cas toujours en contradiction avec l'article 2.7 de la Charte des Nations unies : « Aucune disposition de la présente charte n'autorise les Nations unies à intervenir dans les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d'un État ».

Pour de nombreux juristes, la création de ce concept n'a pas lieu d'être. En effet, la Charte des Nations unies contient déjà de nombreuses dispositions allant dans ce sens, en particulier, dans les Chapitres VI et VII. Il ne s'agirait donc pas de la création d'un nouveau droit, mais simplement de la mise en applications de droits déjà existants.

Plus fondamental que ce problème de droit, l'ingérence humanitaire souffre d'un certain nombre de contradictions qui sont principalement dues à la confusion volontairement entretenue entre droit et devoir d'ingérence. Il est en effet difficile dans ces conditions de séparer les mobiles humanitaires, des mobiles politiques et de s'assurer du total désintéressement des puissances intervenantes. Il y a toujours un risque que l'humanitaire ne serve que de prétexte à une volonté impérialiste.

Bien qu'elle se veuille universelle, la déclaration des droits de l'homme est fortement influencée par les travaux des philosophes occidentaux du siècle des lumières et plus généralement par la morale judéo-chrétienne. L'ingérence a donc toujours été une action dirigée depuis le nord vers les pays du sud. Il est ainsi peu vraisemblable que des contingents Ruandais seront un jour chargé de mission de maintien de la paix en Irlande du Nord, ou que des Libanais interviendront au Pays basque.

En réalité les États puissants ont peu de risque d'être la cible d'une action d'ingérence. Par exemple les populations de Tchétchénie sont sans doute autant en danger aujourd'hui que l'ont été les Kosovars il y quelques années, mais la Russie étant infiniment plus puissante sur la scène internationale que la Serbie, il est peu probable qu'une action internationale se mette en place.

Il est donc logique qu'une remise en cause aussi dissymétrique de la souveraineté des États se heurte à des réticences très fortes. Ainsi le sommet du G-77, qui réunit les états les plus pauvres, a condamné en 1990 le « prétendu droit d'intervention humanitaire » mis en avant par les grandes puissances.

En Occident également, l'ingérence humanitaire a des opposants. Beaucoup trouvent qu'elle ressemble un peu trop au colonialisme du XIXe siècle, propageant les valeurs de la démocratie libérale et considérant les autres cultures comme quantité négligeable. Il lui est également reproché son caractère événementiel : elle a tendance à s'exprimer dans le chaud de l'action, pour donner bonne conscience aux téléspectateurs occidentaux, et à négliger les conflits oubliés par les médias ou les détresses chroniques.

Comme le prouve la crise ouverte autour de l'intervention américaine en Irak, le délicat équilibre entre la répression des bourreaux et le respect de l'égalité souveraine des nations reste donc à trouver.

La récente affaire de l'Arche de Zoé alimente encore plus la controverse.

[modifier] Notes

  1. l'article : Camp. A. Rougier, « La théorie de l'intervention d'humanité », la Revue gén. de droit intern. public, t. XVII (1910), page 468 et suivantes
  2. Article rédigé par Yves SANDOZ (membre du conseil exécutif du CICR Croix Rouge) paru dans la "revue internationale de la Croix rouge" du 31/08/1992.

[modifier] Voir aussi