Gastronomie moléculaire

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La gastronomie moléculaire est l'étude des phénomènes physiques à l'œuvre lors de la préparation de plats cuisinés.

C'est une discipline appliquée : son objet est de participer au progrès de la connaissance culinaire et de la cuisine. Le terme a été inventé par Nicholas Kurti, physicien d'Oxford, et Hervé This, physico-chimiste français, enseignant au Collège de France. La première mention officielle de cette terminologie apparaît sur les lettres envoyées lors de la préparation de l'International Workshop on Molecular and Physical Gastronomy, qui s'est tenu à Erice (Sicile) en mai 1992. Selon Hervé This, la gastronomie moléculaire a pour objet[réf. nécessaire] :

  • le recensement et l’exploration physico-chimiques des dictons culinaires
  • la modélisation des pratiques culinaires en vue de perfectionnements
  • l’introduction d’outils, méthodes et ingrédients nouveaux en cuisine domestique ou de restaurant
  • l’invention de plats nouveaux fondés sur les analyses des mets classiques
  • la présentation des sciences au public, fondée sur l’analyse des gestes culinaires[1]

La dimension moléculaire, permet de mieux modéliser les réactions chimiques spécifiques de la cuisine, car elles jouent à plein dans des notions telles que l'émulsion, la floculation, la cuisson à coeur, la convection, les effets tensio-actifs, ...

Sommaire

[modifier] Ancienneté de la chimie des aliments

Un Égyptien inconnu, au IIIe siècle, pesa la viande qui fermentait pour comprendre si elle perdait une "émanation"[réf. nécessaire]. Des scientifiques réputés tels que Antoine-Laurent de Lavoisier, n'ont pas dédaigné explorer les transformations culinaires[réf. nécessaire]. En 1984, l'americain Harold McGee publie avec "On Food and Cooking", suivi en 1990 par "The Curious Cook". Les livres de McGee deviennent rapidement la réference pour les cuisiniers anglo-saxons.

[modifier] Kurti, This, et la gastronomie moléculaire

L'appellation de la discipline résulte de la rencontre de Nicholas Kurti et de Hervé This qui ont compris qu'un champ scientifique pouvait utilement être identifié, non pas dans l'étude des aliments, mais, plus spécifiquement, dans l'étude scientifique des phénomènes culinaires. L’un et l’autre ayant procédé à des recherches sur les processus physico-chimiques mis en œuvre par les méthodes empiriques de l’art culinaire, ils collaborèrent à partir de 1985, et leur collaboration fructueuse ne devait prendre fin qu’avec la disparition de Kurti en 1998, à l’âge de 90 ans. La terminologie "gastronomie moléculaire et physique" étant encombrante, Hervé This décida d'utiliser désormais "gastronomie moléculaire", et il donna le nom de Kurti aux Workshops de Sicile.

Le terme « gastronomie moléculaire » se réfère humoristiquement à la biologie moléculaire mais dépasse le simple gag pour devenir un vrai sujet scientifique, à savoir l’étude des réactions physico-chimiques liées à la cuisine (macération, doubles cuissons, caramélisation...).

Le programme initial de la discipline, publié notamment dans la thèse de Hervé This soutenue en 1996 sous le titre La gastronomie moléculaire et physique, à l'Université Paris VI, était hélas fautif puisqu'il était libellé comme suit :

  • le recensement et l’exploration physico-chimiques des dictons culinaires
  • la modélisation des pratiques culinaires en vue de perfectionnements
  • l’introduction d’outils, méthodes et ingrédients nouveaux en cuisine domestique ou de restaurant
  • l’invention de plats nouveaux fondés sur les analyses des mets classiques
  • la présentation des sciences au public, fondée sur l’analyse des gestes culinaires

Comme les trois derniers objectifs sont de nature technologique ou sociologique, Hervé This a proposé un nouveau programme scientifique en 2005[réf. nécessaire] :

  • Explorer la composante technique de la cuisine (modélisation des "définitions" et tests des "précisions", c'est-à-dire dictons, tours de mains, adages, trucs, astuces...)
  • Explorer la composante artistique de la cuisine
  • Explorer la composante relationnelle de la cuisine. [réf. nécessaire]

"Cette discipline veut comprendre et perfectionner les procédés culinaires, s'interroger sur des gestes familiers, venus de l'habitude ou du developpement empirique de la cuisine, transmettre du savoir scientifique et technique à partir d'élément de la vie quotidienne." Hervé This dans Traité élémentaire de cuisine, chap 5.

[modifier] Intérêts et enjeux

La gastronomie moléculaire est une branche particulière de la science des aliments. D'après Hervé This, il est légitime que le contribuable soutienne une telle activité car son développement est important. La gastronomie moléculaire a un intérêt industriel vis-à-vis de la commercialisation des plats préparés et de l'agroalimentaire : prenons l'exemple de l'œuf qui est fréquemment utilisé dans l'industrie alimentaire. Chacun sait que l'œuf peut être à l'origine d'intoxications alimentaires à la Salmonella. L'OMS indique qu'en Europe, la consommation d'œufs infectés, crus ou mal cuits est responsable de 40% des cas de salmonellose[réf. nécessaire]. Les risques de contaminations semblent donc assez importants. Dans ce cas, les études de la gastronomie moléculaire sont appliquées en mettant en jeu la chimie des aliments, la biochimie, la physique et la microbiologie alimentaire pour assurer la salubrité des produits de l'industrie agroalimentaire. D'autre part, certaines protéines alimentaires ont des propriétés allergisantes ; il est donc indispensable de pouvoir substituer certains aliments dans des recettes. Par exemple l'œuf est un aliment intéressant au niveau physico-chimique : il présente un pouvoir émulsifiant, moussant et coagulant. Dans la préparation d'un flan, l'œuf est un coagulant qui peut être substitué par de l'agar-agar -substance mucilagineuse extraite de certaines algues rouges- car il présente des propriétés comparables. La gastronomie moléculaire permet de chercher des substituts adéquats à partir de l'étude des propriétés physico-chimiques des aliments.

[modifier] Diffusion dans le grand public

Sur la chaîne de télévision France 5, Hervé This a régulièrement animé une chronique appelée Côté labo, Côté cuisine face à un chef de cuisine en tenue de chef, et avec qui il dialoguait (lui-même ne portant pas une blouse de chimiste, mais le gilet qui sied à un professeur). L’un des moments forts de cette série fut celui consacré à la sorbetière, où Hervé This montra qu’on peut se passer de cet instrument, destiné à empêcher la formation de groscristaux de glace, en refroidissant très vite la préparation, et cela en y versant de l’azote liquide. La glace préparée en direct par ce moyen fut dégustée par le chef et trouvée excellente. Le chocolat-chantilly fut une autre de ses créations emblématiques, par croisement d'une recette analysée et maîtrisée avec de nouveaux produits. Après cette émission, la Réaction de Maillard et la chimie des grains d'amidon n'avaient plus de secrets pour le public. Les perles d'alginates permet de réaliser des billes a partir d'un liquide grâce a des sels. Certains ingrédients dit "innovants" sont associés a la cuisine moléculaire, citons par exemple les gélifiants comme l'aga agar et les carraghénanes, les épaississant comme la gomme de guar, de Tara, de Caroube, ainsi que la gomme xanthane, les émulsifiants comme la lécithine ou des sucres comme le xylitol ou le sucre pétillant. Ces ingrédients sont déjà largements utilisés dans l'industrie agro-alimentaire mais font leur entrée dans la cuisine à domicile et chez les restaurateurs.

[modifier] Les grands chefs et la gastronomie moléculaire

Certains grands chefs s'inspirent des travaux de la gastronomie moléculaire, parmi eux, Pierre Gagnaire, ou Thierry Marx. Les travaux de Ferran Adrià prédatent le workshop de Sicile, et sont influencés par les livres de Harold McGee.

Toutefois, les chefs Ferran Adria, Heston Blumenthal, Thomas Keller, et le chimiste Harold Mc Gee, que l'on rapproche parfois de la gastronomie moléculaire, conservent avec elle une certaine distance. Dans un article publié dans le Guardian en 2006, ils écrivent ainsi « le terme de gastronomie moléculaire ne décrit pas notre cuisine, ni d'ailleurs, aucune style de cuisine ».[2] Ainsi Ferran Adrià préfère définir ses travaux « d’avant-garde créative ».[3]

[modifier] Bibliographie

  • Harold McGee, On Food and Cooking: The Science and Lore of the Kitchen, Fireside, New York 1984 (ISBN 0-684-80001-2, 2004)
  • Harold McGee, The Curious Cook: More Kitchen Science and Lore, MacMillan, New York, 1990 (ISBN 0-02-009801-4, 1990)
  • Hervé This, Les Secrets de la casserole, Éditions Belin, Paris, 1993 (ISBN 2-7011-1585-X)
  • Hervé This, Révélations gastronomiques, Éditions Belin, Paris, 1995 (ISBN 2-7011-1756-9)
  • Hervé This, La Casserole des enfants, Éditions Belin, Paris, 1999 (ISBN 2-7011-2309-7)
  • Hervé This, Six lettres gourmandes, Éditions Jane Otmezguine, 2002
  • Hervé This, Traité élémentaire de cuisine, Éditions Belin, Paris, 2002 (ISBN 2-7011-3303-3)
  • Hervé This, Casseroles & éprouvettes, Éditions Belin/pour la science, Paris, juin 2002 (ISBN 2-8424-5039-6)
  • Hervé This et Pierre Gagnaire, La Cuisine c'est de l'amour, de l'art et de la technique, Paris, Février 2006 (ISBN 2-738-1678-7)
  • Hervé This, Construisons un repas, Éditions Odile Jacob, Paris, 2007 (ISBN 2-7381-1876-3)
  • Hervé This, De la science aux fourneaux, Editions Pour la Science/Belin, Paris, 2007 (ISBN 2-8424-5087-6)
  • H. This, P. Gagnaire et N. de Bonnefons, Alchimistes aux fourneaux, Editions Flammarion, Paris, 2007 (ISBN 2-0820-1534-3)

[modifier] Notes et références

  1. Conférence à l'UTLS, mars 2000
  2. The fashionable term "molecular gastronomy" was introduced relatively recently, in 1992, to name a particular academic workshop for scientists and chefs on the basic food chemistry of traditional dishes. That workshop did not influence our approach, and the term "molecular gastronomy" does not describe our cooking, or indeed any style of cooking. Ferran Adria, Heston Blumenthal, Thomas Keller, Harold Mc Gee, « Statement on the 'new cookery' » ou encore dans cet autre article de The Observer La gastronomie moléculaire est morte, dit Heston
  3. Stéphane Leblanc, "Avant-garde", 20 minutes, édition du 31/03/08

[modifier] Articles liés

[modifier] Liens externes