Gamme pythagoricienne

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Mesure des intervalles

La gamme pythagoricienne est une gamme musicale construite sur des intervalles de quintes justes, dont le rapport de fréquences vaut 3/2. C'est la plus ancienne manière d'accorder les instruments à sons fixes de la musique savante occidentale, en usage pendant tout le Moyen Âge.

Cette gamme tient son nom du grec Pythagore, à qui la découverte a été attribuée. L'utilisation de gammes musicales basées sur des quintes remonte cependant au IVe millénaire av. J.-C..

Sommaire

[modifier] Histoire

L'attribution de cette construction à Pythagore remonte au Moyen Âge alors que son utilisation existe déjà depuis plusieurs millénaires, découverte indépendamment par plusieurs cultures. L'école des pythagoriciens a théorisé la gamme heptatonique dans l'harmonie des sphères en utilisant les rapports simples de nombres entiers : l'octave (rapport 2/1), la quinte (rapport 3/2) et la quarte (rapport 4/3), ces intervalles étant considérés comme les plus consonants.

Aucun texte de Pythagore ne nous est parvenu, mais on retrouve chez Platon (dans C'est chez Platon (dans La République) que nous retrouvons les termes du rapport du limma, soit 256/243.

La gamme pythagoricienne a été progressivement délaissée au début du Moyen Âge lorsque l'on a commencé à considérer comme consonant l'intervalle de tierce.

[modifier] Propriétés

On appelle gamme pythagoricienne toute gamme musicale fondée uniquement sur des intervalles d'octaves et de quintes acoustiquement pures (les quartes, renversement des quintes, le sont alors aussi). L'intérêt principal d'une telle gamme vient du fait que l'étendue de douzes quintes justes consécutives équivaut presque à sept octaves ; la différence est un comma pythagoricien (ou comma ditonique).

La gamme pythagoricienne possède le diton, un intervalle valant deux tons purs successifs et formant la tierce pythagoricienne. Il vaut (9/8)*(9/8) = 81/64, et diffère légèrement de la tierce pure de rapport 5/4 = 80/64. La différence entre ces deux tierces est le comma syntonique.

Une gamme particulière peut se définir par ses écarts (en plus ou en moins) par rapport au tempérament égal. Ainsi, la gamme de Pythagore sera définie par:

Notes Do Do#/Réb Ré#/Mib Mi Fa Fa#/Solb Sol Sol#/Lab La La#/Sib Si
Écarts 0 +9.78 -3.91 +5.87 -7.82 +1.96 ± 11.73 -1.96 +7.82 -5.87 +3.91 -9.78

[modifier] Inconvénients

  • La quinte du loup, une quinte diminuée du comma pythagoricien, est un intervalle inutilisable en musique.
  • Les intervalles de tierce sont très loin de la consonance pure (les tierces majeures sont trop grandes et les tierces mineures sont trop petites).
  • Les tons diatoniques ne sont pas égaux et rendent problématiques la transposition (le jeu d'un même morceau avec une note tonique différente) et la modulation (le changement, même temporaire, de tonalité au cours du même morceau).

[modifier] Construction

Construction de la gamme de pythagoricienne en montant par quintes successives à partir de do. On descend chaque fois que possible d'une octave afin de rester dans la même octave (représentée en bleu ciel). On s'aperçoit que l'on passe par toutes les notes de la gamme chromatique avant de revenir au do initial.
Construction de la gamme de pythagoricienne en montant par quintes successives à partir de do. On descend chaque fois que possible d'une octave afin de rester dans la même octave (représentée en bleu ciel). On s'aperçoit que l'on passe par toutes les notes de la gamme chromatique avant de revenir au do initial.

L'idée est de construire une gamme musicale basée uniquement sur des intervalles à consonance pure (caractérisés en acoustique par l'absence de battements). À l'époque de Pythagore, seules la quinte et la quarte justes répondaient à cette définition.

En partant d'une note quelconque (suffisamment basse), par exemple do, on monte d'une quinte juste pour atteindre sol, et on continue jusqu'à obtenir la suite :

do - sol - ré - la - mi - si - fa♯ - do♯ - sol♯ - ré♯ - la♯ - fa - do

elle constitue une suite de 12 quintes s'étendant presque exactement sur 7 octaves. Cette suite cyclique forme le cycle des quintes.

Si on abaisse les hauteurs de toutes ces notes pour les regrouper dans la même octave, on remarque que les 12 notes obtenues se répartissent à peu près uniformément dans cet intervalle.

[modifier] Sur un piano

En partant du do le plus à gauche du clavier d'un piano, on avance de quinte en quinte en se déplaçant chaque fois de 7 touches (touches noires comprises). Cependant, le piano est généralement accordé sur une gamme tempérée, il n'est donc pas possible d'entendre la quinte du loup.

[modifier] Quinte du loup

Placement de la quinte du loup
Placement de la quinte du loup

Le cycle des quintes construit à partir des quintes justes ne forme pas exactement une octave. La dernière quinte permettant de refermer le cycle est plus petite que les autres : l'intervalle permettant de la compléter en une quinte juste s'appelle le comma pythagoricien. Cette dernière quinte sonne faux à l'oreille, on la qualifie donc de « quinte du loup ». C'est cet inconvénient qui donnera lieu aux autres tempéraments.

Dans la pratique, les musiciens qui préfèrent utiliser des octaves pures accordent leurs instruments sur une gamme pythagoricienne en reportant la quinte du loup dans un intervalle peu utilisé, comme par exemple mi♭ - sol♯. Les intervalles englobant la quinte du loup sonneront faux aussi, il faut donc soigneusement l'éviter.

[modifier] Comma pythagoricien

Icône de détail Article détaillé : comma pythagoricien.

Le comma pythagoricien représente une étendue de 1,36% sur l'ensemble des 7 octaves du cycle des quintes. Bien que très faible, il est tout à fait audible. Il est quasiment égal à 23,46 cent, soit presque un huitième de ton.

[modifier] Description mathématique

À partir d'une note donnée, pour monter d'une quinte, il faut multiplier sa fréquence par 3/2 ; de même, pour descendre d'une quinte, il faut diviser sa fréquence par 3/2 (ou la multiplier par 2/3). Un changement d'octave se fait en multipliant ou en divisant la fréquence d'une note par 2.

Ainsi, monter de 12 quintes revient à multiplier la fréquence de la note de départ par :

(3/2)^{12} \approx 129,75

et monter de 7 octaves revient à multiplier la fréquence par 27 = 128. La différence entre les deux, soit en termes de fréquences la division, vaut :

\frac{3^{12}}{2^{12}}/2^7 =\frac{3^{12}}{2^{19}} \approx 1,0136

et représente le comma pythagoricien.

L'étendue de la quinte du loup se calcule en enlevant 11 quintes justes aux 7 octaves considérées :

\frac{2^7}{\frac{3^{11}}{2^{11}}}=\frac{2^{18}}{3^{11}}\approx 1,480

[modifier] Apotome et limma

En calculant les écarts entre les notes de la gamme pythagoricienne, on trouve qu'ils n'ont que deux valeurs différentes. Le plus grand s'appelle l'« apotome » et le plus petit le « limma ». La différence entre ces deux intervalles vaut exactement le comma pythagoricien.

Si on représente le cycle des quintes dans un tableau, avec le rapport de fréquences par rapport à la première note, on obtient :

Cycle des quintes fermé (la dernière note est celle de la septième octave)
Quintes 0  2 3 4 5 6 7 9 10 11 12
Rapports 1 3/2 32/22 33/23 34/24 35/25 36/26 37/27 38/28 39/29 310/210 311/211 312/212

On ramène toutes les notes dans la même octave en divisant les rapports par une puissance de deux, puis on les trie dans l'ordre croissant :

Rapports ramenés dans l'intervalle [1 ; 2] et triés
Quintes 0 7 2 9 4 11 6 1 8 3 10  5 12
Rapports 1 37/211 32/23 39/214 34/26 311/217 36/29 3/2 38/212 33/24 310/215 35/27 2
Écarts 37/211 28/35 37/211 28/35 37/211 28/35 28/35 37/211 28/35 37/211 28/35 28/35

En calculant les écarts, on trouve deux valeurs possibles :

  • 37/211 soit l'apotome,
  • 28/35 soit le limma.

La différence entre les deux vaut (37/211)*(35/28) = 312/219, soit un comma.

[modifier] Gamme musicale

La construction mathématique du cycle des quintes fait apparaître deux intervalles, l'apotome et le limma. Il manque cependant l'intervalle de quarte pure (rapport 4/3). On remarque qu'en remplaçant l'intervalle qui s'en rapproche le plus, celui de 11 quintes (rapport 311/217), par la quarte, les apotomes et limmas sont conservés :

Gamme incluant la quarte juste
Quintes 0 7 2 9 4 11 6 1 8 3 10 5 12
Rapports 1 37/211 32/23 39/214 34/26 4/3 36/29 3/2 38/212 33/24 310/215 35/27 2
Écarts apo. lim. apo. lim. lim. apo. lim. apo. lim. apo. lim. lim.
Noms do do♯ ré♯ mi fa fa♯ sol sol♯ la la♯ si do

Cette substitution déplace la quinte du loup entre les quintes 10 et 11 : (4/3) / (310/215) = 217/311, en multipliant par deux pour se remettre dans l'octave [1 ; 2] on retrouve la valeur de la quinte du loup.

Les deux couples de limmas donnent les positions des demi-tons diatoniques, équivalents à ceux de la gamme naturelle, ce qui permet de les nommer. Les apotomes sont ainsi les demi-tons chromatiques.

[modifier] Le bémol

La gamme ci-dessus est construite par quintes ascendantes successives, les altérations sont donc les dièses. Pour obtenir les bémols, on part de do par quintes descendantes successives :

do - fa - si♭ - mi♭ - la♭ - ré♭ - sol♭ - do♭ - fa♭ - si♭♭ - mi♭♭ - la♭♭ - ré♭♭
Clavier à 19 touches par octave imaginé par Zarlino, distinguant dièses et bémols
Clavier à 19 touches par octave imaginé par Zarlino, distinguant dièses et bémols

Pour les quintes ascendantes, on a les intervalles :

  • do - apotome (demi-ton chromatique) - do♯ - limma (demi-ton diatonique) -

Pour les quintes descendantes :

  • do - limma - ré♭ - apotome -

Les notes bémolisées sont inférieures d'un comma pythagoricien à leurs notes conjointes diésées, comme par exemple pour ré♭ et do♯ (ceci n'est valable que pour la gamme de Pythagore).

[modifier] Valeur des intervalles

De la construction de la gamme, on déduit les relations suivantes :

  • un apotome - un limma = un comma
  • un apotome + un limma = un ton
  • une tierce = 2 apotomes + 2 limmas = 2 tons (par exemple do-mi)
  • une quarte = 2 apotomes + 3 limmas = une tierce + un limma (par exemple do-fa)
  • une quinte = 3 apotomes + 4 limmas
  • une octave = 5 apotomes + 7 limmas

De la valeur de la quinte et de l'octave, on retrouve la relation entre 7 octaves et 12 quintes :

12 quintes - 7 octaves = (36 apotomes + 48 limmas) - (35 apotomes - 49 limmas) = un apotome - un limma = un comma

On conçoit sans peine que les mathématiciens de l'Antiquité aient prêté un caractère magique à ces relations. Jean-Philippe Rameau a même eu l'idée que la musique était la base des mathématiques.

[modifier] Approximation du comma

Le diagramme des intervalles donne à l'apotome une valeur de 5 commas, et au limma une valeur de 4 commas. Ceci n'est qu'une approximation, l'octave valant alors 53 commas (5 apotomes + 7 limmas = 5 * 5 + 7 * 4 commas) :

(\frac{3^{12}}{2^{19}})^{53} \approx 2,0507

les 53 commas dépassent légèrement l'octave supérieure.

Si on consière le tableau suivant qui donne les rapports des intervalles valant de 1 à 9 commas (en valeur approchée) :

Commas 1 2 3 4 5 6 7 8 9
Rapports 1,013 1,027 1,041 1,056 1,070 1,085 1,100 1,115 1,130

on peut choisir les approximations suivantes :

  • le ton, qui vaut exactement 9/8 = 1,125, s'approche le plus des 9 commas,
  • l'apotome, qui vaut exactement 37/211 soit environ 1,068, s'approche le plus des 5 commas,
  • le limma, qui vaut exactement 28/35 soit environ 1,054, s'approche le plus des 4 commas.

Cette approximation est parfois appliquée à d'autres gammes et devient l'affirmation générale suivante :

  • un demi-ton diatonique vaut 4 commas ;
  • un demi-ton chromatique vaut 5 commas ;
  • un ton vaut 9 commas.

Le « comma de Holder » divise exactement 53 fois l'octave. Ce comma, qui vaut environ 22,6415 cents, est très proche du comma pythagoricien. Il est à la base d'un tempérament par division multiple. Un autre comma proche du comma pythagoricien est le comma syntonique.

[modifier] Tableau de synthèse


[modifier] Voir aussi

[modifier] Articles connexes

[modifier] Bibliographie et sources

  • Pierre-Yves Asselin : Musique et tempéraments (Québec), Editions Jobert, 2000 - ISBN 2-905-335-00-9
  • Devie Dominique, Le tempérament musical, philosophie, histoire, théorie et pratique, Librairie Musicale Internationale, Marseille (seconde édition 2004).
  • Roland de Candé, Dictionnaire de musique, Éditions du Seuil, coll. « Microcosme », 1961 (ISBN 2-02-000297-3)
  • Patrice Bailhache : Une histoire de l'acoustique musicale - CNRS Editions Paris 2001 - ISBN 2-271-05840-6
  • Moreno Andreatta : "Méthodes algébriques en musique et musicologie du XXe siècle : aspects théoriques, analytiques et compositionnels", thèse, EHESS/IRCAM, 2003 (disponible en ligne à l’adresse: http://www.ircam.fr/equipes/repmus/moreno/).
  • Edith Weber : La résonance dans les échelles musicales, révision d’Edmond Costère, Revue de musicologie, T.51, N°2 (1965), pp. 241-243 - doi:10.2307/927346
  • Edmond Costère : Lois et styles des harmonies musicales, Paris, PUF, 1954.
  • Edmond Costère : Mort ou transfiguration de l’harmonie, Paris, PUF, 1962.
  • Franck Jedrzejewski: Mathématiques des systèmes acoustiques. Tempéraments et modèles contemporains, L’Harmattan, 2002.
  • Guerino Mazzola : The Topos Geometry of Musical Logic (in Gérard Assayag et al. (éd.) Mathematics and Music, Springer, 2002, pp. 199-213).
  • Guerino Mazzola : The Topos of Music, Birkhäuser Verlag, Basel, 2003.
  • François Nicolas : Quand l’algèbre mathématique aide à penser (et pas seulement à calculer) la combinatoire musicale, Séminaire, Ircam, février 2003 (disponible en ligne à l’adresse : http://www.entretemps.asso.fr/Nicolas/TextesNic/mamux.html).
  • E. Lluis-Puebla, G. Mazzola et T. Noll (éd.) : Perspectives of Mathematical and Computer-Aided Music Theory, EpOs, Université d’Osnabrück, 2004.
  • http://www.univosite.com/gammepythagore.html