Esthétique

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Une représentation des proportions idéales du corps féminin au XXe siècle.Illustration extraite de Maintien du corps féminin, 1907
Une représentation des proportions idéales du corps féminin au XXe siècle.
Illustration extraite de Maintien du corps féminin, 1907

Dans le langage courant, l'adjectif esthétique est synonyme de beau, de joli. Et comme nom, esthétique est une notion désignant l'ensemble des caractéristiques qui déterminent l'apparence d'une chose, souvent synonyme de design ou d'aspect physique du corps humain.


L'esthétique est aussi un concept philosophique, caractérisant autant les émotions provoquées par une œuvre (ou certains gestes, attitudes, choses), les jugements de l'œuvre, que ce qui est spécifique ou singulier à une expression (artistique, littéraire, poétique, etc.), et qui pourrait se définir par exemple par une opposition à l'utile et au fonctionnel, ou bien par son rapport au beau ou aux sensations.


L'esthétique est également une branche de la philosophie, ayant pour objet les perceptions, les sens, le beau (dans la nature ou l'art), ainsi que toutes les formes et aspects de l'art. L'esthétique correspond au domaine désigné jusqu'au XIXe siècle par science du beau ou critique du goût, et englobe généralement la philosophie de l'art.

Sommaire

[modifier] Définition de l'esthétique

[modifier] Étymologie

Première page de Æsthetica, 1750
Première page de Æsthetica, 1750

Le terme esthétique vient du grec αισθητική (aisthetike) « sensation, perception », de αίσθησιν (aisthesin) « sens ».

Mais c'est le philosophe allemand Alexander Gottlieb Baumgarten qui inventa au XVIIIe siècle le néologisme « esthétique » (allemand : Ästhetica) et lui donna son acception moderne. Il délimita une discipline philosophique nouvelle et indépendante, en se basant initialement sur la distinction platonicienne et aristotélicienne entre les choses sensibles (aisthêta) et intelligibles (noêta).[1]

Dans l'ouvrage Méditations philosophiques[2] (1735), il définit l'esthétique comme « la science du mode de connaissance et d'exposition sensible », puis dans Æsthetica (1750) : « L'esthétique (ou théorie des arts libéraux, gnoséologie inférieure, art de la beauté du penser, art de l'analogon de la raison) est la science de la connaissance sensible ».[3]

[modifier] Sémantique du terme

Historiquement, le terme esthétique prend une signification différente selon les langues, n'ayant pas été adopté aux même périodes, et suite à l'influence des mêmes œuvres philosophiques (celles de Kant et Hegel notamment). De plus, ce domaine d'étude est également désigné par des termes synonymes ou proches.[4]

Dans la langue anglaise, le champ de l'esthétique était traditionnellement catégorisé dans la Critic, à la suite de Elements of Criticism (1762) du philosophe Henry Home, et se définissait généralement comme « critique d'art » (critic of art). Depuis les années 1950, l'influence dominante de la philosophie analytique dans le monde anglo-saxon tend également à restreindre la portée de aesthetics à une seule philosophie de l'art (Voir esthétique analytique).

Dans la langue française, ce champ d'étude était généralement désigné avant le XIXe siècle, comme « théorie des arts » ou « critique du goût ».[5] Au XIXe siècle le mot esthétique est adopté dans la langue française.[6] bien que subsistent encore d'autres termes tels que philosophie du beau, théorie du goût, théorie des Beaux-Arts,etc. En France, la première chaire d'esthétique est créée en 1921 à l'université de la Sorbonne, pour Victor Basch. Le glissement du terme dans le langage courant serait récent.[7]

Le terme est aussi dérivé : l'esthétisme, qui caractérise l'évaluation des valeurs humaines du seul point de vue esthétique (selon le beau et l'agréable), puis désigne ultérieurement un mouvement artistique et littéraire anglais du XIXe siècle. L'esthétisation (allemand : Ästhetisierung), processus de transformation en réalité esthétique d'un phénomène initialement non esthétique. L'esthète, personne sensible au beau. L'esthéticien, philosophe spécialisé dans la branche de l'esthétique.

Icône de détail Article connexe : Esthétique (homonymie).

[modifier] Objet de l'esthétique

Les cinq sens (série), 1872–79, Hans Makart.
Les cinq sens (série), 1872–79, Hans Makart.

Dans sa définition la plus large, l'esthétique a pour objet les perceptions sensorielles, l'essence et la perception du beau, les émotions et jugements liés aux perceptions, ainsi que l'art sous toutes ses formes (musique, peinture, gastronomie, etc) et tous ses aspects (œuvre, créativité, etc).

Des aspects fondamentaux et parfois opposés peuvent être particulièrement remarqués :

L'esthétique peut être une théorie du beau, qui se veut science normative, aux côtés de la logique (concept du vrai) et de la morale (concept du bien). Elle est donc une théorie d'un certain type de jugements de valeur qui énonce les normes générales du beau.

L'esthétique peut être également une métaphysique du beau, qui s'efforce de dévoiler la source originelle de toute beauté sensible : par exemple, le reflet de l'intelligible dans la matière (Platon), la manifestation de l'idée (Hegel), de la volonté (Schopenhauer), de l'être (Heidegger), harmonie naturelle, beau arbitraire humain, etc.

Mais ce caractère métaphysique ou dogmatique de l'esthétique pourrait être remplacé par une philosophie de l'art, où il s'agirait de tirer les règles de l'art de l'action créatrice même, au lieu d'imposer des constructions a priori de ce qu'est le beau. Dans ce cas, l'esthétique apparaît comme une réflexion sur les procédés techniques élaborés par l'homme, et sur les conditions sociales qui font tenir pour « artistique » un certain type d'action.

Icône de détail Articles détaillés : Beau, Métaphysique et Art.

[modifier] Histoire de l'esthétique occidentale

L'esthétique, comprise dans son sens traditionnel (ou kantien) comme l'étude philosophique des perceptions, émotions, du beau et de l'art, recouvre un domaine de recherche aussi ancien que la philosophie elle-même.

[modifier] Esthétique antique

Dans la grèce antique, l'esthétique était en relation étroite avec le développement de l'art, dans une approche dont l'influence se répercuta jusqu'à notre époque actuelle. Celle-ci s'organisait autour des représentations artistiques, du rôle des divinités de la mythologie, de la connaissance de la nature, et en partie des mathématiques. Les découvertes de la philosophie furent traitées en partie dans l'art (par exemple, l'enseignement des portion dans la construction), et impliquèrent une approche très théorique de la connaissance esthétique.

La période phare de l'esthétique s'étend principalement au Ve et IVe siècle avant JC, à l'époque de la démocratie des cités grecques, bien que des notions et désignations esthétiques furent énoncées dans des temps plus anciens.
Homère (vers la fin du VIIIe siècle) parle notamment de « beauté », « harmonie », etc., toutefois sans les fixer théoriquement. Par travail artistique, il comprenait la production d'un travail manuel, à travers laquelle une divinité agissait. Héraclite d'Éphèse explique le Beau comme qualité matérielle du vrai. L'art serait alors la manifestation d'un accord opposé par une imitation de la nature. Démocrite voit la nature du Beau dans l'ordre sensible de la symétrie et de l'harmonie des parties, envers un tout. Dans les représentations cosmologiques et esthétiques des pythagoriciens, les principes numéraires et proportionnels jouent un grand rôle pour l'Harmonie et le Beau.

[modifier] Esthétique helléniste

Pour Socrate, le beau et le bien sont mêlés. L'art représentatif consiste principalement à représenter une personne belle de corps et d'esprit. Platon omet la sensibilité des hommes : la beauté a un caractère sur-naturel et s'adresse comme une idée à la pensée, à l'entendement des hommes. Les choses ne sont que des reflets des idées, et l'art copie seulement ces reflets. Et il évalue particulièrement négativement l'art, en tant que copie non fidèle, puisque réalisée de manière imparfaite par l'homme.[8] Il différencie néanmoins deux techniques d'imitation : la « copie » (eikastikè) telle la peinture ou la poésie, et « l'illusion » (phantastikè) telles les œuvres architecturales monumentales. Si Platon est favorable au beau, il demeure hostile à l'art et particulièrement à la poésie et la peinture. Son œuvre demeure néanmoins comme la première codification idéologique et politique de l'art.

L'esthétique grecque atteint son apogée avec Aristote (384-322 av. J.-C.). Dans La poétique, celui-ci critique l'esthétique de Platon en développant ses propres positions esthétiques d'après les distinctions entre les formes d'art grecque : drame, musique, sculpture, peinture... Pour Aristote, les arts se différencient par les objets qu'ils imitent et par les moyens artistiques utilisées pour réaliser cette imitation. L'art imite la nature ou bien achève des choses que la nature est incapable de réaliser. La pensée d'Aristote devient ainsi une base pour les « théories de l'art » ultérieures (au sens moderne), par sa dialectique de la connaissance et par son évaluation du rôle la nature et de l'apparence dans la beauté artistique. Il met en place les concepts de l'imitation (mimèsis), de l'émotion, du plaisir du spectateur (katharsis), les figures de style ou encore le rôle de l'œuvre d'art. Ces théories seront reprises pour l'esthétique classique par Boileau (XVIIe siècle).

[modifier] Esthétique néoplatonicienne

Plotin
Plotin

Dans l'Antiquité tardive, la pensée esthétique est particulièrement systématisée autour des concepts néoplatoniciens de Plotin (204-270). Dans les Énnéades, celui-ci reprend et dépasse les distinctions de Platon. L'essence du Beau réside dans l'intelligible et plus précisément dans l'idée. Ensuite la beauté s'identifie à « l'Unité », dont dépendent tous les êtres. Le beau est ainsi de nature spirituelle (relié à l'âme) et sa contemplation est un guide pour approcher l'Intelligible. De même la beauté réside dans la forme de l'œuvre, et non dans sa matière. Ainsi pour Plotin, l'art véritable ne copie pas simplement la nature, mais cherche plutôt à s'élever (à corriger la nature, en étant créatif). Plotin fonde ainsi l'esthétique d'œuvres symbolistes et peu réalistes, dont les exemples sont les icônes byzantines ou les peintures et sculptures de l'art roman.

L'esthétique romaine reprend les concepts de l'Antiquité, comme les réflexions sur la relation entre nature et beauté, par exemple dans l'Art poétique de Horace, ou bien les théories de Sénèque sur le beau.

[modifier] Esthétique médiévale

Boèce enseignant, manuscrit de la Consolation de la philosophie, 1385
Boèce enseignant, manuscrit de la Consolation de la philosophie, 1385

L’esthétique du Moyen Âge reprend les principes du néoplatonisme en les rattachant au modèle théologique du christianisme. On considère alors, que dans la création artistique se distille une dignité créatrice, comparable à la création divine. L’art est un moyen de transcendance vers l’intelligible. Au symbolisme de Plotin est ajouté l’allégorisme, qui n’est plus considéré comme simple figure de style (rhétorique) mais comme un moyen privilégié de correspondance avec les idées.

Un travail important se développe sur les notions de proportion, et la lumière, dans l'art.

Philosophes : Pseudo-Denys l'Aréopagite, Augustin d'Hippone, Boèce, Thomas d’Aquin

Icône de détail Articles connexes : Philosophie médiévale et Art médiéval .

[modifier] Renaissance

  • Laïcisation de l’art.
  • Naturalisme.
  • Retour à la représentation du visible. Sensualisme.
  • Leon Battista Alberti, De pictura (1435) : notion de perspective, beauté picturale dans la juste composition par le trait (circonscriptio), art du dessin, clair-obscur...
  • Marsile Ficin (1433-1499)
Icône de détail Article connexe : Renaissance artistique.

[modifier] Esthétique classique

[modifier] Esthétique rationaliste

René Descartes
René Descartes

[modifier] Esthétique du sentiment

[modifier] Sensualisme anglais

[modifier] Esthétique moderne

[modifier] Kant : le jugement esthétique

Emmanuel Kant (1724-1804)
Emmanuel Kant (1724-1804)
  • Jugement
  • Sublime
  • Question du romantisme

S'interrogeant sur la nature du sentiment esthétique, Kant observe que pour la perception de l'agréable, chaque personne reconnaît que ce sentiment n'a de valeur que pour sa propre personne, et qu'il n'est pas possible de contester le plaisir ressenti par l'autre : « quand je dis que le vin des Canaries est agréable, je souffre volontiers qu'on me reprenne et qu'on me rappelle que je dois dire seulement qu'il est agréable à moi. » Par cela, il en vient à penser que « chacun a son goût particulier ».
Le cas de la beauté serait pourtant différent, puisque s'il juge une chose comme belle : « j'attribue aux autres la même satisfaction » et « je ne juge pas seulement pour moi, mais pour tout le monde, et je parle de la beauté comme si c'était une qualité des choses (...) ». Il démontre ainsi que le beau n'est pas l'agréable. Le jugement du beau ne s'effectue pas d'après un goût personnel : « On ne peut donc pas dire ici que chacun a son goût particulier. » [9]

Icône de détail Article détaillé : Critique de la faculté de juger.

[modifier] Hegel

L’art exprime l’Idée sous une forme sensible, c’est l’absolu donné à l’intuition : le Beau est la manifestation sensible de l’Idée, mais sans en être une forme achevée.
L’art est une objectivation de la conscience par laquelle elle se manifeste à elle-même. Il constitue donc un moment important de son histoire. La réflexion sur l’art implique la fin de l’art, au sens où cette fin est un dépassement de l’élément sensible vers la pensée pure et libre. Ce dépassement doit se réaliser dans la religion et la philosophie. Pour Hegel la plus mauvaise des productions de l'homme sera toujours supérieure au plus beau des paysages, car l'œuvre d'art est le moyen privilégié par lequel l'esprit humain se réalise.

L’histoire de l’art se divise en trois, suivant la forme et le contenu de l’art :

  • art symbolique, oriental, baroque, où la forme excède le contenu ;
  • art classique, grec, qui est l’équilibre de la forme et du contenu ;
  • art romantique, chrétien, où le contenu absorbe la forme.

[modifier] Kierkegaard

Kierkegaard s’oppose à Hegel.

  • L’histoire est mythe.
  • Stade esthétique.
  • Instant et sensualité (réprimé par christiannisme)

[modifier] Science de l'art : Kunstwissenschaft

Portrait de Winckelmann, par Raphael Mengs, 1768.
Portrait de Winckelmann, par Raphael Mengs, 1768.

Au XIXe siècle se formalise la Kunstwissenschaft [10] ou « science de l'art », autour d'une approche historique de l'art, dite historicisme (autour des principes d'individualité et d'évolution[11]), notamment à travers les travaux de l'historien Jacob Burckhardt. L'ambition est celle d'une étude scientifique, éloignée de l'idéalisme philosophique (allemand) et de la critique littéraire (de tradition française).

L'émergence de ce mouvement est influencé par les écrits de Winckelmann (1717-1768), qui détermina l'art par une approche historique, et assimila l'histoire de l'art à l'histoire de la civilisation. Les leçons d'esthétique de Hegel justifiaient de même l'importance de l'abord historique, ainsi que la systématisation du savoir (Descartes et les Lumières).

Au XXe, la discipline de l'histoire de l'art se détache de l'histoire et de l'esthétique en développant son autonomie méthodologique[12] selon ses objets (collection muséographique, marché de l'art, activité spéculative). Elle se tourne alors vers le formalisme (analyse des formes, iconographie et iconologie, sémiologie), ou vers le travail critique (herméneutique, épistémologie, études contextuelles, etc.) interrogeant les sciences humaines et sociales. Ces études sur l'art, parfois qualifiées de positivistes en esthétique, se sont développées à l'époque contemporaine au sein de « sciences nouvelles de l'art ».

Icône de détail Articles détaillés : histoire de l'art et histoire culturelle.

[modifier] Schopenhauer

Arthur Schopenhauer (1788-1860) renoue avec les pensées de Platon et de Plotin. Pour Schopenhauer, l’art est une connaissance directe des Idées (au-delà de la raison), qui elles-mêmes renvoient à un aspect ultime : la volonté. Il présente aussi l'archétype du génie, capable de surmonter la subjectivité humaine et d’accéder à la connaissance ultime (et la révéler aux hommes). Il met en place une classification des arts, qui renvoie au platonisme (ou à la pensée médiévale).

Icône de détail Article connexe : Philosophie de Schopenhauer.

[modifier] Nietzsche

Friedrich Nietzsche (1844-1900) s’oppose à Schopenhauer.

  • Le sensible est la réalité fondamentale.
  • dionysiaque - apollinien
  • Inversion du rapport platonique qui fait de l’art un simple symbole de l'Être (monde supra-sensible de Platon). « l’art a plus de valeur que la vérité » Pas seulement identification des valeurs (histoire), mais critiques le principes même des valeurs, qu’il abolit : s’éloigne de la perspective historique pour appréhender l’art. Chaque artiste crée ses valeurs et évalue selon elles : singularité.
Icône de détail Article détaillé : Esthétique de Nietzsche.

[modifier] Esthétique du XXe siècle

Apparus au XXe siècle, ceux sont les principaux mouvements[13] de l'esthétique contemporaine. Ils s'inscrivent notamment dans la préoccupation du langage (question centrale de la philosophie du XXe siècle) et l'émergence de sciences nouvelles.

[modifier] La phénoménologie : être et art

Ultérieurement aux approches artistotéliciennes de Être et Temps, c’est à partir de 1933 dans le texte « L’origine de l’œuvre d’art » [14], ses études de la poésie de Hölderlin et la peinture de Van Gogh, qu’apparaissent les préoccupations esthétiques de Heidegger (1889-1976). Celui-ci déplace toute la question ontologique (« Qu'est-ce l'être ? ») sur les arts. Dans son approche phénoménologique, il désigne l’œuvre d’art comme une mise en œuvre d’un dévoilement (alètheia) de l’Être de l’étant. S'opposant ainsi au courant objectiviste (qui établit la vérité par un rapport à l'idée de réalité), Heidegger définit l'art comme le moyen privilégié d’une « mise en œuvre de la vérité » par l'esprit : Cette mise-en-œuvre s'effectue par un processus double, de mise en lumière (révélation) et de réserve (dissimulation), ou de lutte (technique) entre le « Monde » de l’homme et la « Terre ».

« Ce n’est que par l’œuvre d’art, en tant que l’être qui est (das seiende Sein), que tout ce qui apparaît par ailleurs et se trouve déjà là est confirmé et accessible, élucidable et compréhensible, en tant qu’étant ou au contraire en tant que non-étant. C’est parce que l’art (Kunst), en un sens insigne, porte l’être à se tenir dans l’œuvre et à y apparaître en tant qu’étant, qu’il peut valoir comme le pouvoir-mettre-en-œuvre tout court, comme la technè. » — Heidegger [15]


[modifier] L'École de Francfort : utopie et industrie de l'art

Les philosophes de l’École de Francfort sont fortement marqués par une pensée matérialiste, inspirée du marxisme et de l'étude des crises du XXe siècle. Leur esthétique se fonde sur une analyse critique des sciences sociales, et une étude de la culture de masse.

Pour Adorno (1903-1969), notamment dans sa Théorie esthétique (1970), l’art demeure un espace de liberté, de contestation et de créativité dans un monde technocratique. L’art a un rôle critique vis à vis de la société, et reste un lieu d’utopie, pour autant qu’il rejette son propre passé (conservatisme, dogmatisme, sérialisme). Adorno s'opposera également aux facilités de la culture de masse (industrie culturelle)

Benjamin parmi ses sujets d’études disparats, élabore notamment le concept d’aura de l’œuvre d’art (1917), qu’il étend ultérieurement à l’étude de la photographie et du cinéma, et à la reproductibilité technique des œuvres d'art. L'aura deviendra un concept important pour la critique de l'art contemporain (ready-made, Warhol)

[modifier] L'esthétique « de la différence »

[modifier] L'esthétique analytique

Apparue dans les années 1950, l’esthétique analytique est le courant de pensée dominant dans le monde anglo-saxon. Issue de l'empirisme et du pragmatisme, cette esthétique se fonde sur une recherche par des instruments logico-philosophiques et des analyses du langage, dans le prolongement de la philosophie analytique. Cette esthétique est constituée par un ensemble de théories homogènes, liées essentiellement à l'analyse des questions et définitions de l’art. Ces théories s'affirment indépendantes de l’esthétique « traditionnelle », tant par la restriction de ses objets (sont exclus : la question du beau, l’histoire de l'esthétique) que par la spécificité analytique de ses méthodes de recherche (se référant à la logique et non spéculatives). L'approche métaphysique suit ce courant , notamment sur la "vérité des formes"[16]

« L’esthétique analytique prétend être une nouvelle version de l’esthétique, une façon de la concevoir qui la coupe de sa tradition, comme une langue inédite que l’on prétendrait substituer à la langue commune et dans laquelle elle serait difficilement traduisible. »[17] — Dominique Chateau.

Les premiers travaux importants d'esthétique font suite à la publication posthume des Investigations philosophiques (1953) de Wittgenstein, autour de la théorie des jeux de langage plus à même de permettre l'analyse de termes du langage ordinaire : par exemple, le mot « art » ou la question « What is Art ? » (« Qu'est-ce que art ? », sans déterminant grammatical). Cette recherche est en dialogue constant avec les œuvres d'avant-garde de l'art contemporain, notamment celles de Duchamp et Warhol. Les travaux analytiques abordent notamment : l'indéfinissabilité de l'art (Weitz, « le rôle de la théorie en esthétique », 1956 ; Mandelbaum) ; l'institutionnalisation de l'art (Dickie, Art and the Aesthetic. An Institutional Analysis, 1974) ; le « monde de l'art » (Dickie, Danto) ; l'identification de l'œuvre d'art (Danto, La transfiguration du banal, 1981) ; l'expérience esthétique, l'art comme symbole (Goodman, Langages de l'art, 1968).

Cette transition de "Ceci est beau" à "Ceci est de l'Art" grâce à Duchamp va questionner la définition du mot qu'il lui aura été donné au cours des siècles. Tout étant confronté aux goûts, rien n'échappe alors à l'Esthétique car même quelque chose que l'on trouve "laid" reste avant tout sujet à un jugement. Donc finalement la définition du mot comme synonyme de beau, de joli peut être vue comme erronée (Le terme "inesthétique" ne prendrait alors de sens que lorsque l'Homme ne sera plus là pour regarder les choses).

Icône de détail Article détaillé : Esthétique analytique.

[modifier] Les nouvelles sciences de l'art

Les objets de l'esthétique sont abordés également par certaines sciences apparues récemment, enrichissant ainsi la recherche esthétique de nouvelles approches théoriques et méthodologiques.

[modifier] Les sciences sociales : art et société

Deux spectateurs de l'art, au Musée d'Orsay.
Deux spectateurs de l'art, au Musée d'Orsay.
Pierre Bourdieu (1930-2002)
Pierre Bourdieu (1930-2002)

Dans le prolongement de l'histoire culturelle du XIXe, l’histoire sociale de l’art étudie les forces collectives qui œuvrent dans l’art. S’opposant à l’idéalisme philosophique, cette sociologie est initialement influencée par la pensée marxiste (matérialisme historique) ; elle met en évidence principalement le contexte socio-économique[18] et cherche à lier l’évolution artistique aux luttes et classes sociales.

S’opposant au déterminisme marxiste se met ultérieurement en place des approches distincte de l'étude des contextes sociaux de l'art, plus attentives aux mécanismes internes du « monde de l'art » : une étude de l’inscription contextuelle des œuvres dans le milieu culturel, notamment par l'histoire culturelle et l'anthropologie de l'art (Lévi-Strauss, Boas) ; une étude sociologique de l’habitus de l’art (Bourdieu) ; une sociologie de l’action et des interactions contextuelles (Becker).

Ces nouvelles approches de l'art se confrontent par exemple à l’idée commune d’une œuvre, née d’une « libre » inspiration de l’artiste, ou d’une logique esthétique intrinsèque à l'art et indépendante du milieu social. De même sont révélés des mécanismes sociaux de réception des œuvres (distinction, codes...). Néanmoins, ces sciences sociales éludent l’étude des œuvres elles-même, conférant peut-être un réductionnisme « social » à l'art ; c’est le motif d’approches nouvelles abordant non plus seulement l'environnement, mais la pratique, voir l’œuvre elle-même [19]

[modifier] Psychologie de l'art : processus psychiques de création et réception artistique

Sigmund Freud (1856-1939)
Sigmund Freud (1856-1939)

La psychologie de l'art vise à l'étude des états de conscience et phénomènes inconscients à l’œuvre dans la création artistique ou la réception de l’œuvre.

L'analyse de la création artistique reprend l'idée d'une primauté de l'artiste lui-même dans l'interprétation de l'art ; idée développée depuis la Renaissance et le romantisme, et déjà reprises dans les approches biographiques de certains historiens de l’art du XIXe (Cf. Kunstwissenschaft). A partir de 1905, avec l’ébauche par Freud de la théorie des pulsions, l’art devient un objet de psychoanalyse. Cette démarche ne vise pas à l'évaluation de la valeur de l'œuvre, mais à l’explication des processus psychiques intrinsèques à son élaboration.

« Trouver le rapport entre les impressions de l’enfance et la destinée de l’artiste d’un côté et ses œuvres comme réactions à ces stimulations d’autre part, appartient à l’objet le plus attirant de l’examen analytique » — Freud[20]

Cette analyse se base notamment sur le concept de sublimation ; la création artistique est considérée comme la transposition d’une pulsion (désir) : la tentative pour l’artiste de surmonter son insatisfaction par la création d'un objet socialement valorisé, susceptible de satisfaire son désir. De même, par cette approche, l’art est envisagé comme symptôme : il devient alors l'outil possible d’un diagnostic clinique ou d’une thérapie (art-thérapie).

L'analyse de la réception prolonge la théorie de la Gestalt, psychologie de la forme (XXe). Cette analyse de l'art s’attache à déterminer les processus psychologiques de la réception des œuvres par le spectateur. Cette réception n’est plus alors considérée comme simple perception et découverte (du savoir de l’artiste), mais comme la reconnaissance d’un savoir propre au spectateur, à sa propre culture et son milieu social (Gombrich, Arnheim).

Ces analyses psychologiques se prolongent à travers les diverses approches cognitives (psychologie cognitive, philosophie de l'esprit, etc), et notamment les découvertes récentes en neurosciences (fonctionnement du système nerveux : cerveau, cinq sens, etc), qui abordent par de nouvelles voies l'étude des perceptions ou les facteurs de jugement esthétique, voire les concepts de créativité ou d'imagination.

Icône de détail Article détaillé : Psychologie de l'art.

[modifier] Sémiologie de l'art : langage de l'art et langage sur l'art

A la suite des théories de Ferdinand de Saussure et du structuralisme se met lentement en place une sémiologie de l'art. Cette « science des signes » étudie non les motifs ou les significations des œuvres, mais les mécanismes de signifiance (comment l'œuvre signifie) ; l'œuvre est ici considérée comme un espace de signes et symboles, dont l'articulation est à décrypter.

Le langage des œuvres (par exemple le langage pictural) n'est pas considéré comme un système identique aux langues : en effet, ce « langage » n'est pas composées d'unités dépourvues de signification (comme les phonèmes linguistiques), ou par des signes de pure convention. Ce langage existe principalement par des rapports d'analogie. Si certains codes propres au langage de l'art peuvent être déterminés (rôle de la forme, l'orientation, l'échelle...), l'implication d'éléments proprement matériels (liés à l'objet : pigments, lumière...) ne permettent néanmoins pas de réduire entièrement l'art à des systèmes de langage.

L'autre approche sémiologique analyse la médiation de l'art par la langue (parlé/écrit), notamment par l'étude du discours sur l'art (description, critique, etc). Ce discours, considéré comme un « méta-langage » des œuvres serait ainsi susceptible d'éclairer les jeux de signification dans l'art. Cette approche a été diversement critiquée par des philosophes et historiens de l'art, en raison de son logocentrisme, biais qui réduirait les œuvres visuelles aux seuls textes (descriptifs et interprétatifs), au détriment de leur matérialité et de l'expérience esthétique (du spectateur).[21]

Icône de détail Articles détaillés : Sémiotique visuelle et Sémiologie de la musique.

[modifier] Esthétique non-occidentale

  • L'esthétique indienne :
  • L'esthétique africaine : Sages, tradition orale, biais occidental, approche ethnologique...
  • L'esthétique arabo-musulmane

[modifier] Références

[modifier] Bibliographie indicative

Icône de détail Article détaillé : Bibliographie en esthétique.
Manuscrit sur papyrus : Le Banquet (v.380 av. J.-C.), de Platon.
Manuscrit sur papyrus : Le Banquet (v.380 av. J.-C.), de Platon.

Ouvrages fondateurs :

[modifier] Voir aussi

[modifier] Liens externes

[modifier] Notes et références de l'article

  1. Sur l'étymologie et la portée sémantique de esthétique voir notamment : Marc Jimenez, « esthétique », dans Barbara Cassin, Vocabulaire européen des philosophies : dictionnaire des intraduisibles, Seuil, Dictionnaires le Robert, 2004 (ISBN 2-02-030730-8).
  2. Alexander Gottlieb Baumgarten, Meditationes philosophicae de nonnullis ad poema pertinentibus (Méditations philosophiques sur quelques aspects de l'essence du poème), Halae Magdeburgicae, 1735.
  3. Esthétique, vol. 1, trad. fr. J.-Y. Pranchère, p. 121.
  4. Vers 1780, Kant signale ainsi que « les Allemands sont les seuls à se servir du mot "esthétique" pour désigner ce que d'autres appellent la critique du goût. » (Critique de la raison pure) et Hegel mentionne également : « À nous autres Allemands ce terme est familier; les autres peuples l'ignorent » (Esthétique)
  5. A l'exemple, dans ses commentaires sur les Salons de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, Diderot utilise les termes de « manière » ou de « goût » pour traiter du Beau dans l'art.
  6. Par exemple, Charles Baudelaire intitule Bric-à-brac esthétique, dans la convention qu'il signe avec son éditeur en 1856, son étude consacrée notamment aux Salons de 1845, 1846. Il lui donnera son titre définitif de Curiosités esthétiques (1868).
  7. Par exemple, les significations du langage courant contemporain sont absentes du Littré 1877
  8. La théorie des trois lits : L'idée du lit (monde intelligible), la copie du lit par le menuisier (réalité sensible), et la version dégradé du lit peint par l'artiste (copie de copie).
  9. Kant, Critique de la faculté de juger, Chap. 7
  10. (de) Kunstwissenschaft
  11. Voir Histoire de l'histoire de l'art, sous la dir. d'Ed. Pommier, Paris, Musée du Louvre, Klincksieck, 1995-1997 (Conférences et colloques du Louvre), T. I ISBN 2-252-00319-7 et T. II ISBN 2-252-03142-5 (en part. J. Rüsen, Esthétisation de l'histoire et historisation de l'art au XIXe siècle, T. II, p. 177-194).
  12. L'idée d'une autonomie méthodologique fait débat. Voir par exemple Daniel Arasse, Interpréter l'art : entre voir et savoirs, conférence du 12 juillet 2001 à l'UTLS, Paris ; À chacun ses images, conf. à ENS (Paris) du 31 janvier 2006, sous la dir. de Nadeije Laneyrie Dagen et de Gilles Pécout.
  13. Catégorisation plus ou moins arbitraire d'après : Atelier d'esthétique (collectif), Esthétique et philosophie de l'art : Repères historiques et thématique, Bruxelles, De Boeck, 2002, pour laquelle l'esthétique analytique est considérée comme une des multiples écoles contemporaines.
  14. Faisant suite à ses cours de 1936. Texte intégré dans le recueil Chemins qui ne mènent nulle part
  15. Théâtre des philosophes, Ch. IV, trad. Taminiaux.
  16. Nathan U. Salmon, Metaphysics, Mathematics, And Meaning, Editeur : Oxford University Press, USA (24 novembre 2005), ISBN-13: 978-0199281763
  17. Dominique Chateau, La Question de la question de l’art : Note sur l’esthétique analytique (Danto, Goodman et quelques autres), PUV, 1994, p.8
  18. Voir Antal, Hauser, Hadjinicolaou
  19. Cf. Bruno Péquignot, Pour une sociologie esthétique, 1993 ; Nathalie Heinich, Ce que l'art fait à la sociologie, 1998 ; Hubert Damisch, « Sociologie de l'art », dans Encyclopedia Universalis
  20. Freud, « Das Interesse an der Psychoanalyse » dans Gesammelte Werke, cité dans L’enfance de l’art, trad .Kofman, 1970, t.8, p. 417
  21. Sur la critique du sémiocentrisme, voir par exemple Mikel Dufrenne, Esthétique et philosophie, 1961 - Jean-François Lyotard, Discours, figures, Gilles Deleuze - Jacques Derrida.