Elfriede Jelinek

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Elfride Jelinek
Naissance 20 octobre, 1946
Activité romancière, dramaturge
Nationalité autrichienne
Genre dramatique
Sujet humiliation de la femme par l’homme, soumission de la société aux dogmes idéologiques dominants
Influences Bertold Brecht, Samuel Beckett, Georges Bataille, Antonin Artaud, le Marquis de Sade, Georg Hegel, Friedrich Hölderlin, Heinrich Heine, Thomas Bernhard, Karl Kraus, Virginia Woolf, James Joyce
Site officiel Elfriede Jelinek, site personnel
Œuvres principales Les Exclus, La Pianiste, Lust
Éditeurs Rowohlt, Actes Sud, Seuil
Récompenses prix Heinrich Böll, prix Georg Büchner, prix Heinrich-Heine, prix Nobel de littérature
Pour les articles homonymes, voir Jelinek.

Elfriede Jelinek, née le 20 octobre 1946 à Mürzzuschlag en Styrie, est une femme de lettres autrichienne, prix Nobel de littérature en 2004. Elle entretient une haine réciproque et virulente autant avec ce pays qu’avec son sexe. Elle fut membre du parti communiste d’Autriche de 1974 à 1991. Elle échange des imprécations avec l’extrême droite (qui fait rimer son nom d’origine tchèque avec Dreck : « saleté », et « mal baisée ») et les femmes au pouvoir. Elle s’est toujours violemment positionnée contre les idées et la personnalité de l’ancien leader du FPÖ: Jörg Haider.

Sommaire

[modifier] Biographie

Son père, chimiste juif d’origine tchèque est employé dans la recherche de matériel de guerre. Il échappe, grâce à ce poste stratégique, aux persécutions nazies. Il est vite dominé par une épouse issue de la bourgeoisie catholique, qu’Elfriede décrit comme « despotique et paranoïaque ». Elle semble ne s’être jamais libérée du poids de ses géniteurs tous deux détestés. Elle ne leur pardonne absolument rien: elle reproche notamment à son père, mort fou dans un hôpital psychiatrique, de n’avoir pas su s’imposer face à une femme castratrice et de ne pas avoir protégé sa fille, elle qui a été forcée de se ranger du côté maternel « sous le poids d’un darwinisme écrasant ». Sa mère, maîtresse-femme, l’a empêchée dès ses quatre ans de sortir du foyer familial et l’a forcée à apprendre le français, l’anglais, le piano, l’orgue, le violon, la flûte à bec et l’alto. Après avoir suivi des études musicales au conservatoire, elle décide de prendre des cours de théâtre et d’histoire de l’art à l’université de Vienne sans abandonner la musique pour autant. Très tôt, Jelinek nourrit une grande passion pour la littérature et l’écriture. C’est au contact des mouvements étudiants qu’elle franchit le cap et s’oriente vers une carrière d’écrivain, ce qui lui vaut de provoquer chahuts et polémiques à chaque parution d’ouvrage auquel elle donne une nette coloration de critique sociale. Les Amantes (Die Liebhaberinnen, 1975) trahit déjà des penchants pour le raisonnement corrosif, obsessionnel, la diatribe puis la dénonciation de l’humiliation physique et morale faite aux femmes, ce qui a catalogué la romancière comme « sympathisante féministe ». Les Exclus (Die Ausgesperrten, 1981) est un portrait effroyable d’une bande de jeunes criminels extrémistes dont les exactions sont couvertes par une société pressée de dissimuler un passé nazi qu’elle n’a jamais exorcisé. Dans La Pianiste (Die Klavierspielerin, 1983), récit largement autobiographique, elle fait une peinture terrifiante d’une femme sexuellement frustrée, victime de sa position culturelle et sociale dominante puis de sa mère, possessive et étouffante, ressemblant étrangement à la sienne, morte à 97 ans. Comme son héroïne: Erika Kohut, l’auteure a vécu tout le temps avec cette mère qu’elle a supportée jusqu’à sa mort en dépit d’un mariage célébré en 1974, rapidement dissous par ailleurs. Son roman suivant, Lust (1989) est la description, libérée de toute règle de narration conventionnelle, d’une relation pornographique et perverse entre une femme et son mari, chef d’entreprise. Le but que l’écrivaine s’était fixé et qu’elle explique dans la postface française du livre, édité chez Point-Seuil (dans un entretien accordé à l’une de ses traductrices: Yasmin Hoffmann), était d’« explorer toutes les possibilités les plus complexes du langage pour déconstruire le substrat idéologique et programmatique qui sous-tend toute société humaine, à savoir la dialectique maître-esclave qui voit le triomphe, sur le plan intime et social, de l’exploitation par un dominant de la force de travail d’entités dominées, en l’occurrence par l’employeur, celle de ses employés et par l’homme, celle de sa femme. La figure du mari-patron était issue d’une même idée normative car la violence exercée physiquement et psychologiquement sur sa femme est la même qu’il inflige symboliquement dans son usine à ses ouvriers. »

En 1977, elle avait réécrit la pièce Une maison de poupée d’Henrik Ibsen qu’elle transposait à l’époque actuelle, dans une usine, et à qui elle avait donné un nouveau titre menaçant : Ce qui arriva quand Nora quitta son mari, ou les piliers de la société : rien que du malheur.
Elle y dénonçait le sort fait aux femmes dans le monde du travail. En 1981, elle revient avec Clara S sur la vie de l’épouse du compositeur Maurice Schumann, Clara. Dans Sportstück (1998), elle explore les domaines de la violence, de la chorégraphie et de l’apologie du corps viril dans le sport, prémices d’une idéologie fasciste.

Elle est titulaire d’un diplôme d’organiste obtenu en 1971. Elle a collaboré avec la jeune compositrice autrichienne Olga Neuwirth (Todesraten, Bählamms Fest, drame musical d’après Leonora Carrington). Elle a passé son temps à promouvoir en Autriche l’œuvre qu’elle estime « méprisée », d’Arnold Schönberg, d’Alban Berg et d’Anton von Webern.

Parlant parfaitement le français et l’anglais, elle a traduit en allemand, pour subvenir à ses besoins, plusieurs pièces du répertoire traditionnel dont certains vaudevilles d’Eugène Labiche et de Georges Feydeau ou encore quelques tragédies de William Shakespeare et de Christopher Marlowe. Elle a également traduit des romans de Thomas Pynchon.

Dans sa jeunesse, l’auteur a séjourné à Rome et à Berlin. Elle a un temps partagé sa vie entre Vienne et Munich mais son agoraphobie croissante l’a poussée à rester dans la capitale autrichienne.

Son œuvre, difficilement lisible, écrite dans un style sec, péremptoire et optant pour un type de narration omnisciente, concilie l’expérimentation linguistique érudite, la composition musicale et une expression obsessionnelle, névrotique et brutale, vitupérant jusqu’à l’absurde sur les rapports de forces socio-politiques et leurs répercussions sur les comportements sentimentaux et sexuels. La rhétorique pornographique y est déconstruite et dénoncée puis le substrat culturel et fonctionnel inconscient qui consiste à voir le triomphe de l’homme sur la femme, analysé et fustigé. L’industrie du spectacle, le divertissement et ses propagandes mensongères sont également la cible de ses invectives. Son théâtre, très dialogique, empli de brechtianisme, cherche, lui, à décortiquer les actes rhétoriques et le pouvoir fascinant du verbe qu’elle estime être les vecteurs ou les instruments de l’imposition des dogmes idéologiques dominants, relayés et mis en scène par les grands médias (surtout télévisuels). Aussi, Jelinek s’attarde-t-elle sur le rôle historique ambigu des intellectuels face au pouvoir politique et aux thèses fascistes, ce qu’elle expose notamment à travers la figure du philosophe Martin Heidegger dans sa pièce Totenauberg (1991). La métaphore répétée du vampirisme et les influences de la philosophie hégélienne et marxiste ainsi que son goût du freudisme viennent parachever la composition de ses textes qui se veulent une lutte militante et politique constante. Admirative de certains intellectuels français tels que Pierre Bourdieu, Guy Debord et Roland Barthes ou d’auteurs tels que Georges Bataille et Antonin Artaud, elle s’ancre dans une tradition nationale de polémiste héritée entre autres de Karl Kraus et de Thomas Bernhard.

Elle est lauréate de nombreuses récompenses dont une pléthore de trophées de meilleur dramaturge. Elle a également obtenu le prix Heinrich Böll 1986, le prix Georg Büchner 1998 et le prix Heinrich Heine 2002 pour ses contributions à la langue allemande puis se voit finalement attribuer le prix Nobel de littérature par l’Académie suédoise en 2004 pour « le flot de voix et de contre-voix dans ses romans et ses drames qui dévoilent avec une exceptionnelle passion langagière l’absurdité et le pouvoir autoritaire des clichés sociaux ». Le 7 octobre 2004, elle déclare néanmoins que son état de santé ne lui permet pas de se rendre à Stockholm pour y chercher sa médaille et son diplôme le 10 décembre : « Je n’irai certainement pas à Stockholm. La directrice de la maison d’édition Rowohlt Theater acceptera le prix pour moi. Bien sûr, en Autriche, on tentera d’exploiter l’honneur qui m’est fait, mais il faut rejeter cette forme de publicité. Malheureusement, je vais devoir écarter la foule d’importuns que mon prix va attirer. En ce moment, je suis incapable d’abandonner ma vie solitaire. » (source : Courrier international). Pour la cérémonie de remise de prix, elle aura quand-même adressé à l’Académie suédoise et à la Fondation Nobel une vidéo de remerciements.

Parmi l’habituel concert de louanges accompagnant l’annonce de ce genre de distinctions, il faut remarquer la réaction « nuancée » de Jacqueline Chambon, traductrice et éditrice française des six premiers livres d’Elfriede Jelinek qui, dans un entretien où elle ne cache pourtant pas son admiration et son amitié pour l’auteure, affirme malgré tout avoir « arrêté [de la publier] à cause des traductions qui devenaient de plus en plus lourdes, difficiles. [...] Enfin, l’agressivité permanente de ses livres me gênait. » (source : Le Figaro, 10 août 2004). Ce sont les Éditions du Seuil qui ont repris le relais après la défection de Jacqueline Chambon. La décision de l’Académie suédoise cette année-là a été une véritable surprise. Elle a même été sujet à controverse au sein de ses jurés. En octobre 2005, Knut Ahnlund démissionne d’ailleurs de ses fonctions d’académicien en protestation de ce choix qu’il juge « indigne de la réputation du prix ». Il qualifie l’œuvre de l’auteure dans le quotidien national suédois Svenska Dagbladet de « fouillis anarchique » et de « pornographie », « plaqués sur un fond de haine obsessionnelle et d’égocentrisme larmoyant ».

En 2006, elle fait partie des artistes et intellectuels qui soutiennent Peter Handke face à la censure dont il fait l’objet de la part de la Comédie-Française après qu’il s’est rendu aux obsèques de Slobodan Milosevic.

Elle fait l’objet, d’une biographie rédigée par deux jeunes femmes (Mathilde Sobottke et Magali Jourdan) et publiée aux éditions Danger Public, intitulée Qui a peur d’Elfriede Jelinek ? Voir sur le site des éditions : http://www.dangerpublic.net/index.php?2006/04/25/50-qui-a-peur-d-elfriede-jelinek. En 2005, son ancienne traductrice et amie: Yasmin Hoffmann lui avait déjà consacré un ouvrage: Elfriede Jelinek, une biographie, aux éditions Jacqueline Chambon.

Son roman le plus connu et le plus vendu: La Pianiste, a été adapté au cinéma en 2001 par Michael Haneke avec Isabelle Huppert, Annie Girardot et Benoît Magimel dans les rôles principaux. Jelinek a d’ailleurs participé à l’adaptation de quelques-unes de ses œuvres. En 1991, elle avait également cosigné le script du film Malina de Werner Schroeter (d’après un récit autobiographique d’Ingeborg Bachmann), déjà interprété par Isabelle Huppert.

[modifier] Œuvres

[modifier] Romans

  • 1979 : Bukolit. hörroman (commencé en 1968), Rhombus-Verlag, Vienne
  • 1970 : Wir sind lockvögel baby!, Rowohlt, Reinbek.
  • 1972 : Michael. Ein Jugendbuch für die Infantilgesellschaft, Rowohlt, Reinbek.
  • 1975 : Les Amantes (Die Liebhaberinnen), traduit de l’allemand par Maryvonne Litaize et Yasmin Hoffmann aux éditions Jacqueline Chambon, Nîmes 1992.
  • 1981 : Les Exclus (Die Ausgesperrten), traduit de l’allemand par Maryvonne Litaize et Yasmin Hoffmann aux éditions Jacqueline Chambon, Nîmes 1989.
  • 1983 : La Pianiste (Die Klavierspielerin), traduit de l’allemand par Maryvonne Litaize et Yasmin Hoffmann, aux éditions Jacqueline Chambon, Nîmes 1988.
  • 1985 : Méfions-nous de la nature sauvage (Oh Wildnis, oh Schutz vor ihr), traduit de l’allemand par Maryvonne Litaize et Yasmin Hoffmann aux éditions Jacqueline Chambon, Nîmes 1995.
  • 1989 : Lust, traduit de l’allemand par Maryvonne Litaize et Yasminn Hoffmann aux éditions Jacqueline Chambon, Nîmes 1991.
  • 1995 : Enfants des morts (Die Kinder der Toten), traduit de l’allemand par Olivier Le Lay aux éditions du Seuil, Paris 2007.
  • 2000 : Avidité (Gier), traduit de l’allemand par Claire de Oliveira aux éditions du Seuil, Paris 2003.
  • Neid (Privatroman) (2007, à venir pour la publication allemande).

[modifier] Théâtre et pièces radiophoniques

  • 1977 : Ce qui arriva quand Nora quitta son mari (Was geschah, nachdem Nora ihren Mann verlassen hatte oder Stützen der Gesellschaften), traduit de l’allemand par Louis-Charles Sirjacq, l'Arche, Paris 1993
  • 1981 : Clara S., Prometh-Verlag.
  • 1987 : La Maladie ou Femmes modernes: comme une pièce (Krankheit oder Moderne Frauen, wie ein Stück), traduit de l’allemand par Patrick Démerin et Dieter Hornig, l'Arche, Paris 2001.
  • 1985 : Burgtheater, Prometh-Verlag.
  • 1987 : Le Président Abendwind (Präsident Abendwind).
  • 1990 : Wolken.Heim., Verlag-Göttingen.
  • 1991 : Totenauberg, traduit en français par Louis-Charles Sirjacq, l'Arche, Paris 1994.
  • 1994 : Raststätte.
  • 1996 : Stecken, Stab und Stangl.
  • 1998 : Sporstück (Ein Sportstück), traduit de l’allemand par Maryvonne Litaize, Yasmin Hoffmann et Louis-Charles Sirjacq, l’Arche, Paris 1999.
  • 1998 : Désir et permis de conduire (comprend les textes: Ich möchte seicht sein, Sinn: egal Körper: zwecklos, Begierde und Fahrerlaubnis, Wolken.Heim., Er nicht als er), traduit de l’allemand par Maryvonne Litaize, Yasmin Hoffmann et Louis-Charles Sirjacq, l’Arche, Paris 1999.
  • 2000 : Das Lebewohl: 3 Dramen, Berlin-Verlag, Berlin.
  • 2002 : In den Alpen, Berlin-Verlag.
  • 2003 : Le Travail (Das Werk) [à propos de l'accident du funiculaire de Kaprun en novembre 2000], Berliner-Taschenbuch-Verlag Berlin.
  • 2003 : Drames de princesses: la Jeune Fille et la Mort I - V (Der Tod und das Mädchen I – V, Prinzessinnendramen, Berliner-Tascherbuch-Verlag, Berlin; traduit de l'allemand par Magali Jourdan et Mathilde Sobottke, L'Arche, Paris 2004.
  • 2004 : Bambiland, Rowohlt Verlag, Reinbek.
  • 2005 : Babel, Rowohlt Verlag, Reinbek.
  • 2006 : Ulrike Maria Stuart, Rowohlt Verlag, Reinbek.
  • 2006 : Sur les animaux (Über Tiere), Rowohlt Verlag, Reinbek.

[modifier] Poésie

  • 1967 : L’Ombre de Lisa (Lisas Schatten), Relief-Verlag Eilers, Munich

[modifier] Scénarii

  • 1982 : Les Exclus (Die Ausgesperrten), d’après son roman, écrit en collaboration avec le réalisateur Franz Novotny.
  • 1991 : Malina de Werner Schroeter (d’après le roman éponyme d’Ingeborg Bachmann), coécrit avec le réalisateur.
  • 2000 : Die Blutgräfin (coécrit avec Ulrike Ottinger).
  • 2004 : Le Travail (Das Werk, d’après sa pièce) de Nicolas Stemann.
  • 2007 : Ulrike Maria Stuart (d’après sa pièce) de Nicolas Stemann.

[modifier] Liens externes


Précédé de :
John Maxwell Coetzee
Prix Nobel de littérature
2004
Suivi de :
Harold Pinter