Désir mimétique

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Le désir mimétique est une théorie unitaire élaborée par René Girard, exploitant un seul et même mécanisme, l'imitation, pour engendrer et expliquer tous (ou presque) les phénomènes concernant l'homme, aussi complexes soient-ils : psychologie, anthropologie, sociologie (notamment dans ses aspect religieux), culture, etc.

Toute une école s'est depuis développée pour en exploiter toutes les implications sur les différents aspects de la vie humaine : politologie, économie, etc. [1]

Sommaire

[modifier] Généralités

La mimesis est déjà mentionnée par Aristote, « L'homme diffère des autres animaux en ce qu'il soit le plus apte à l'imitation », [2]. D'autre part, chez Freud, le propre de l'Homme est le désir qui est au centre de toutes les structurations et déstructurations psychiques. René Girard, en rassemblant les deux termes, a développé le concept de désir mimétique qui est l'interférence immédiate du désir imitateur et du désir imité. En d’autres termes, ce que le désir imite est le désir de l’autre, le désir lui-même. L’autre désigne le désirable en le désirant lui-même. Il s'agit d'un dispositif qui fait sortir la rivalité du mimétisme et se renforcer le mimétisme sous l'effet de la rivalité avec cette implacable logique dite « circulaire » de la rétroaction positive amplificatrice en « runaway », c'est-à-dire en emballement et épuisement des protagonistes.

René Girard enseignait encore à l'Université Johns Hopkins à Baltimore, MD, où Anthony Wilden produisait avec Jacques Lacan Speech and Language in Psychoanalysis en 1968, par et à travers lequel le premier traduisait, critiquait et introduisait le second dans le monde anglophone. Michel Serres allait commencer en 1969 sa série Hermès avec La communication.

L'exemple illustratif, donné par René Girard, d'enfants qui se disputent des jouets semblables en quantité suffisante, conduit à reconnaître que le désir mimétique est sans sujet et sans objet, puisqu'il est toujours imitation d'un autre désir et que c'est la convergence des désirs qui définit l'objet du désir et qui déclenche des rivalités où les modèles se transforment en obstacles et les obstacles en modèles.

Depuis plus d'un quart de siècle, René Girard renouvelle l'anthropologie et ses ramifications dans la psychologie et l'économique - selon une logique qui réorganise tous nos savoirs - à partir d'une idée forte, claire et unitaire, suivant la règle d'Occam de l'économie du savoir, qui est la suivante: l'Homme est un animal mimétique. Aristote, après Platon, avait placé l'imitation au cœur de la culture, car il n'y a pas d'apprentissage sans imitation. René Girard, inspiré par la littérature et la mythologie, formation littéraire et diplôme d'archiviste paléographe obligent, révèle la dimension conflictuelle de l'imitation et son rapport avec la violence[3].

« L'homme désire toujours selon le désir de l'Autre » est le postulat du désir mimétique, dans un conflit tragico-comique dont les protagonistes deviennent interchangeables et transformés en « doubles » symétriques « en miroir » dans une relation duale de la rivalité mimétique qui conduit à la violence mimétique.

Sur la scène collective, la violence mimétique suscite la victime émissaire, bientôt transformée en dieu parce que son sacrifice a ramené la paix sociale. La violence et le sacré (1972) démonte ce dispositif qui expulse la violence en engendrant le sacré.

Sur le plan individuel, les hommes se haïssent parce qu'ils s'imitent. Le mimétisme engendre la rivalité, mais en retour la rivalité renforce le mimétisme. Les protagonistes d'un tel conflit tragique ou comique ne voient pas qu'ils sont interchangeables, symétriques, des « doubles », mais l'observateur extérieur le voit : il y a double logique, celle du désir et celle de l'imitation. L'erreur tragique du désir ne relève pas de l'inconscient, mais d'une incompatibilité entre sa propre logique - le projet différentiel - et la logique à laquelle il est soumis qui est celle du mimétisme et qui va dans le sens d'une croissante indifférenciation. En d'autres termes, faire de l'Autre un modèle, c'est faire de lui un rival. Cette « incompatibilité » - entre la logique du désir dans son projet différentiel et la logique du mimétisme qui conduit à l'indifférenciation - rejoint l'expression anglo-américaine de double bind dans les paradoxes et double contrainte ou mieux « injonctions paradoxales », pierre angulaire de la théorie batesonienne de la schizophrénie.

La notion de désir mimétique devient pleinement intelligible avec le "modèle" du désir qui devient "obstacle" dans la réalisation de ce désir, comme dans l'exemple illustratif donné par Girard des enfants qui se disputent pour des jouets identiques en nombre plus que suffisant. C'est le phénomène fondamental du modèle-obstacle.

[modifier] Le modèle-obstacle

Comme le triangle œdipien de Freud, le désir mimétique de Girard est triangulaire. C'est le désir codé et médiatisé par l'Autre. Le désir « selon l'Autre » peut être avoué ou dissimulé. Le modèle peut être imaginaire ou réel, il peut transcender, dans un monde de valeurs inaccessibles où s'agite fébrilement et vainement le disciple ou au contraire lui être cet « alter ego » dont un "rien" le sépare, ce rien étant le « tout » du désir dans l'indifférenciation du mimétisme. La distance qui sépare le disciple de son modèle est le critère pour distinguer deux sortes de médiation.

  • « Lorsque l'imitation est revendiquée comme telle ou que la distance est infranchissable, c'est une 'médiation externe'. Lorsque le médiateur se rapproche ou que l'imitation devienne moins 'bouffonne' ou plus 'réaliste', une rivalité s'installe et se développe entre le 'disciple' et le 'modèle'. Le sujet désirant ne voit plus son médiateur comme "modèle", mais comme un obstacle à la réalisation de son désir et le 'modèle' voit dans son 'disciple' un rival. Dans la 'médiation interne', l'Autre, de modèle, est devenu obstacle. Intervertissant l'ordre chronologique et logique du désir, le sujet désirant croit rivaliser pour un objet qu'il a désiré spontanément et se met à détester celui qui lui en barre l'accès ou le lui dispute. Il s'agit d'une "haine impuissante", car non seulement elle coexiste avec l'admiration, mais elle la renforce et en est inséparable. On comprendrait mieux une "envie haineuse" si l'on ne part pas de l'objet de la rivalité. » (Thanh H. Vuong & Jorge Virchez , Communauté économique de l'Asie-Pacifique, p. 90, Presses Inter Universitaires, Cap Rouge, Qc, Canada, 2004)

Le point de départ et le point d'aboutissement devraient être le rival qui est aussi et en même temps le modèle médiateur.

  • « Entre les trois sommets du triangle girardien, les liens se resserrent, les oscillations augmentent en amplitude et en fréquence. L'être médiatisé ne pouvant que reconnaître souterrainement la supériorité du modèle-obstacle, l'Autre est rival parce qu'il est modèle et modèle parce qu'il est rival. Plus la distance diminue entre le sujet qui désire et l'Autre, plus les différences s'amenuisent, plus la haine s'intensifie. Le concept freudien d'ambivalence, d’attirance et d’aversion à la fois et en même temps, rencontre adéquatement les sentiments de vénération pour le modèle qui se double de haine pour l'obstacle. Avec le désir mimétique, René Girard affronte Marx sur le terrain de la rareté avec la mimesis et Freud sur le terrain du désir avec la mimesis. » (ibid., p. 91)

C'est la convergence des désirs qui crée l'objet du désir chez Freud et la rareté chez Marx.

René Girard prétend ainsi faire l'économie du refoulement et donc ce deus ex machina qu'est pour lui l'inconscient freudien. Le sujet désirant, ou plutôt - puisqu'il n'y a jamais qu'un seul désir, le même pour tous les hommes dans le postulat du désir mimétique - le désir, se refuse à admettre la réciprocité mais toutes ses stratégies pour l'éviter le font toujours retomber dans l'identique.

On peut aussi faire l'économie de la répétition freudienne des symptômes. René Girard dit (1972, pp. 350-352, Des choses cachées depuis la fondation du monde, Grasset, Paris). Quelques pages rafraîchissantes sur l'analyse du masochisme :

  • « Le désir s'interroge, acquiert un savoir sur lui-même et met ce savoir au service de ses objectifs, par exemple, il voit bien ses modèles se transformer en obstacles, mais au lieu d'interpréter cette transformation dans la logique du mimétisme, il obéit à sa propre logique, il s'accroche à son projet différentiel et transforme lui-même les obstacles en modèles. Tel est le secret du masochiste qui fait du résultat inévitable, certes, mais inacceptable, de ses désirs passés, la condition préalable de tout désir futur. »

Avec le désir mimétique, René Girard affronte Marx sur le terrain de la valeur et Freud sur celui du désir. La politologie interprète un grand nombre de conflits à la lumière de ce désir mimétique dans la violence et le sacré. La psychologie rapporte la souffrance individuelle à l’erreur chronologique et logique du modèle devenant rival et le rival pris comme modèle.

  • « Cette rétroaction amplificatrice, inscrit dans le triangle du désir, est communément appelée ‘cercle vicieux’. C’est parce qu ‘elle s’apparente à une logique paradoxale, celle de la circularité du cercle vicieux, que la dynamique du désir passe pour irrationnelle. Elle est d’une autre rationalité que celle de l’enchaînement linéaire proportionnel et linéal de l’antériorité de la cause sur l’effet. » (ibid., p. 91)

À partir de l'exemple illustratif des enfants qui se disputent pour des jouets identiques en nombre suffisant, se révèle le postulat du désir mimétique qui est le « désir selon l'Autre ». En effet, le désir mimétique n'est pas un désir d'appropriation d'objet, mais d'appropriation du désir de l'autre. C'est à ce point que se trouve la majorité des confusions et malentendus.

  • C'est à la convergence des désirs que se forme l'objet du désir.
  • Le point de départ et le point d'aboutissement devraient être le rival qui est aussi et en même temps le modèle médiateur. Cette circularité débouche sur la "rivalité mimétique" et la "violence mimétique" résolues à travers la victime émissaire qui ramène la paix sociale dans l'espace collectif.

[modifier] Lacan et Girard

Même si Jacques Lacan n’a jamais parlé, ni publié spécifiquement sur René Girard, comme Anthony Wilden, il a eu la délicatesse de le mentionner.

Jacques Lacan a dressé le portrait du modèle-obstacle avec et par cette acrobatie verbale où le « Nom du Père » est à la fois le « Non du Père ». Dans la théorie lacanienne, le Nom du Père représente ce que Lacan appelle le Père Symbolique. Ce dernier n'est pas un père Réel ou Imaginaire (imago) mais correspond au Père Symbolique mythique de Totem et tabou. Selon Lacan, les exigences de la théorie menèrent Freud à « lier l'apparition du signifiant du Père, en tant qu'auteur de la Loi, à la mort, voire au meurtre du Père - montrant ainsi que si ce meurtre est le moment fécond de la dette où le sujet se lie à vie à la Loi, le Père symbolique en tant qu'il signifie cette Loi est bien le Père mort ». Cette scène originaire entre toutes est reliée chez Freud au « refoulement originaire », auquel Lacan préfère les termes « métaphore constituante » ou « métaphore paternelle ». C'est en raison de l'échec de cette métaphore paternelle, dit Lacan, que le psychotique arrive à forclore ou rejeter (verwerfen) le Nom du Père. Lacan précise sa conception de la fonction symbolique du père.

  • « Par l'Œdipe, l'enfant assume le phallus en tant que signifiant, ce qui suppose une confrontation à la fonction du père. »[4].

Alors que pour la fille, le trajet est relativement simple, pour le garçon, il en va autrement. L'Œdipe doit lui permettre l'identification à son propre sexe et l'accession à la position paternelle, à travers ce que Lacan appelle la « dette symbolique ». Il possède l'organe; sa fonction doit venir de l'Autre (l'Autre qui est au-delà de l'autre que représente son père, dit Lacan) : le Père Symbolique.

Le « Nom du Père » représente le modèle à imiter dans le désir mimétique et le « Non du Père » surgit lorsque le modèle devient l'obstacle à travers la rivalité dans la similarité ou la proximité des fonctions. À partir du « Nom du Père » qui est aussi le « Non du Père » et avec la théorie girardienne[5] du désir mimétique, on entend faire l'économie du refoulement et de l'inconscient freudiens. Pour la psychanalyse orthodoxe, l’obstacle du Père est simplement l’accès à la mère dans le tabou de l’inceste.

« Le désir de l'homme est le désir de l'Autre », écrit Lacan. L'Autre n'est pas une personne mais un principe (dans la signification profonde ou authentique d'« idée première » ou d'« image prédominante »). C'est le lieu de la « loi du désir », le lieu de l'« interdit de l'inceste » et du phallus. Selon Lacan, l'Autre - qui est représenté mythiquement par le Père Symbolique de Totem et tabou est le seul lieu où il est possible de dire « je suis qui je suis ».

Il est remarquer que la filiation de père en fils qui assure l'identité de l'individu dans la tradition biblique occidentale, comme en témoignent la longue litanie généalogique des fils d'Abraham et l'identité sociale assurée par la transmission patrilinéaire du patronyme. Le paradoxe de l'identité et de l'autonomie qu'implique cette vérité - identique ou identifié à qui et à quoi ? - nous oblige à désirer ce que l'Autre désire : nous désirons ce que l'Autre désire que nous désirons. Alors, ce que l'Autre désire que nous désirons est réifié en "Surmoi" lorsqu'il est intériorisé et lorsque l'Autre est devenu un modèle.

[modifier] Freud et Girard

Aussi, ce n'est qu'après une re-lecture du mythe grec "Œdipe" (littéralement "pied enflé") que René Girard affronte Freud et le fameux triangle œdipien. Le concept freudien de "ambivalence" rencontre adéquatement les sentiments de vénération pour le modèle qui se double de haine pour l'obstacle[6]. Ce chapitre VII est intitulé "Freud et le complexe d'Œdipe", tandis que le chapitre VIII se rapporte à la critique des thèses freudiennes sur "Totem et tabou et les interdits de l'inceste"[7].

Freud rend compliquée et indécise la démarche analytique dans l'interprétation du désir enfantin d'inceste et de parricide et se voit contraint - pour engendrer, à partir d'Œdipe, le type d'ambivalence déjà observé et qui domine, selon lui, toute la vie psychique - de construire une genèse anormale d'Œdipe. Le silence de Freud est étonnant sur l'interaction mimétique mère-fille à travers cette même "ambivalence" du modèle et qui devient obstacle dans la relation rivalitaire pour le même objet d'amour, comme le père, pour la mère. La face négative de l'ambivalence reste le désir de tuer le père, désir "naturellement" dérivé du désir d'inceste puisque le père est le rival qui barre l'accès à la mère. La face positive est la tendresse que l'enfant garde pour son père qui a été d'abord son "modèle", tendresse qu'une composante "bisexuelle" vient renforcer et rendre "anormale" en suggérant à l'enfant de se faire objet d'amour, comme la mère, pour le père.

À travers le désir mimétique, Girard fait la relecture de Freud et l'affronte sur le terrain du délire, de l'hypnose et de l'hystérie. Girard critique le "platonisme" de Freud et le succès de ces sortes d'idées que sont Eros et Thanatos, le "complexe d'Œdipe" et le "narcissisme" ne s'expliquent pas seulement parce que Freud fut le premier à traiter "rationnellement" de ces phénomènes. Mais aussi, et peut-être surtout, ce succès est dû à des habitudes de pensée que Girard s'efforce de désordonner: Le recours à des archétypes qui sont des modèles réels ayant comme les idées platoniciennes une vertu fondatrice. Ainsi, le triangle familial - par sa stabilité, son universalité et son antériorité chronologique - va jouer à la perfection son rôle archétypal qui fait de lui le modèle et le père de tous les rapports triangulaires postérieurs. Mais comment reproduire un triangle?

Le problème du passage de l'essence à l'existence ne peut être résolu, chez Freud comme chez Platon, que par le moyen de l'imitation, la "mimésis". Or, une définition non conflictuelle ne permet pas de comprendre pourquoi ni comment des "malades" s'obstinent à reproduire l'expérience traumatisante qu'ils ont faite avec leurs parents, pourquoi ni comment la répétition de ce qui fait toujours souffrir peut être conciliée avec le "principe du plaisir".

En replâtrage, on voit apparaître, dans "Au-delà du "Principe du plaisir", le fameux "instinct de mort" qui est l'aveu de l'impuissance de la psychanalyse de rendre compte, à partir du modèle œdipien, non seulement de la "répétition" des symptômes névrotiques, mais encore de leur aggravation. Le seul moyen d'assurer la reproduction mimétique des triangles de la rivalité est le désir mimétique lui-même. Il donne au présent, et non au passé, un principe de rivalité dynamique: imiter un désir préexistant, c'est ne jamais sortir de la rivalité triangulaire, sinon de la folie.

Avec Lacan, la critique est de l'intérieur et contribue au développement du schéma psychanalytique. Avec Girard, c'est le fondement qui est ébranlé et demande une refonte des principes directeurs. À travers la critique girardienne, on peut soupçonner un Freud cybernétique, sémiotique et systémique dans une conjonction possible avec Gregory Bateson à la Stanford University où Girard œuvrait après son passage à l'Université Johns Hopkins.

[modifier] Besoin, demande et désir

Icône de détail Article détaillé : Besoin désir demande.

La théorie freudienne du désir (Wunsch) repose sur le problème de l'identité, une unité paradoxale qui assure à la fois la différence de l'Autre (ipse) et la ressemblance à l'Autre (idem) où l'Autre est à la fois le modèle (du désir) et l'obstacle (à son accomplissement). Derrière la symbolique se tient la notion de désir (inconscient) médiatisé. Le terme du texte “Trieb” (“trend”, “tendance” ou “tropisme”), que l'on traduit par "instinct" ou "pulsion" n'a, de toute évidence, voulu signifier instinct pour Freud et on peut très bien le traduire par "désir". De plus, Freud souligne qu'il n'y a pas de "motions pulsionnelles" (Triebregungen) "dans" l'inconscient, que ce dernier ne contient que des "représentants de la pulsion" (Triebrepresentanz). D'autres concepts freudiens, tel que l'accomplissement de désir et le "Lust" du "Principe du plaisir", peuvent également se traduire par le concept de "désir". D'autre part, le mot Freud (en allemand, avec la lettre initiale en majuscule du nom commun) signifie à la fois "joie" et "plaisir", conjoignant le "désir" des fluides corporelles aux ébranlements cérébraux des commutations du cerveau. Freud Prinzip peut être traduit aussi bien en "principe de Freud", comme "Principe de Clausius-Carnot" de l'entropie thermodynamique, que Principe du plaisir ou du désir.

Il est aussi à remarquer - en replaçant Sigismond Freud (Sigmund, littéralement, "bouche glorieuse", est le diminutif de ce prénom d'une gothicité "aryenne" caricaturale) dans son contexte familial et social de la bourgeoisie juive de Vienne dans une Autriche-Hongrie en voie de décomposition très prononcée au début de ce siècle - que le désir des "minorités" soit médiatisé et codé par les "majorités" pour mieux comprendre , dans sa complexité, l'idée freudienne de "désir" immergée dans l'antiféminisme et l'antisémitisme de Vienne au tournant du siècle (Jacques Le Rider, pp. 197-358, Modernité viennoise et crises d'identité, PUF, col. Perspectives Critiques, Paris, 1990).

Nous désirons donc prendre la place de l'Autre, le modèle qui devient l'obstacle dans le désir mimétique. En dernière analyse, ce ne sont pas des objets que nous désirons, c'est le désir lui-même que nos désirons (kojève, 1947, pp. 1-30). Le désir est représenté par le Phallus qui n'est pas un objet mais un "signifiant". Il y a souvent d'atroces confusions entre "phallus" et "pénis"; le premier est le symbole du pouvoir et des privilèges qu'il procure et le second est un objet. Cette confusion est de l'ordre de celle entre la carte et le territoire, le menu et le repas, la représentation et ce qui est représenté. L'impossibilité de satisfaire un tel désir - que l'on peut comparer à combler un trou par un autre trou - amène Lacan à établir une distinction entre “besoin”, “demande” et “désir”.

Le besoin représente le niveau de l'"instinct" ou de la "pulsion", le désir est inconscient et ineffable; la demande est l'expression métaphorique du rapport entre le besoin (qui peut être satisfait) et le désir (qui ne le peut pas). Le besoin est de l’ordre des “appétits” chez Girard, au premier niveau physiologique de l’alimentation, l’habillement et l’habitation chez Abraham Maslow. Le besoin est physique et objectal, tandis que le désir est sa représentation sociale et symbolique.

Dans un autre aperçu brillant sur les dimensions métaphoriques du schéma freudien, explicitement "énergétique" de la psyché, Lacan propose de lire "circulation libre du sens" là où Freud écrit "circulation libre de l'énergie (libre)" qui est une caractéristique de l'entropie en thermodynamique. Le sens surgit du rapport des processus primaire de la représentation de chose et secondaire, c'est-à-dire de la situation où chacun est mutuellement le contexte de l'autre et lui donne sens (dans le triple sens d'orientation, de pertinence et de signification). Le "sens libre" du processus primaire est dépourvu de signification tant qu'il n'est pas "lié" (“digitalisé”, “numérisé” ou “codé”) par le processus secondaire. Cette "énergie liée" du processus secondaire freudien devient ainsi l'équivalent - comme Freud lui-même semble le suggérer - de la Bedeutung (signification) dans le langage. Le processus primaire “analogique” freudien en représentation de chose directe est celui du langage non verbal des images et le processus secondaire digital, numérique et médiatisé par un code” est celui des mots de la langue. Un exemple illustratif du “digital” ou “numérique” est dans le code binaire des langues de l’informatique où une série de barres de différentes longueurs n’a aucune signification pour celui qui n’a pas le code ou chiffre.

On peut décrire cette "liaison de l'énergie" comme la digitalisation d'un processus analogique continu de communication, comme lorsque nous donnons des noms aux images d'un rêve. En exemple illustratif de cette digitalisation d'un message analogique en communication, un chat qui miaule plaintivement et avec insistance déclame sa dépendance et indique une relation en cours, mais ne dit rien s'il veut, manger, boire, sortir, etc; il est de même d'un nourrisson qui déclame sa dépendance et indique son inconfort, sa joie, sa souffrance, sa peur, etc. et ne dit rien en termes d'habillement, d'alimentation, de positionnement, etc.

1) le processus analogique est une variation en continue du type plus-ou-moins de la même chose (comme une famille de cercles qui s’agrandissent lorsqu’une pierre tombe dans l’eau calme) d'où procèdent les différences des termes ou systèmes. L’exemple illustratif de cette variation continue est le plan incliné, en contraste aux marches d’un escalier en variation discontinue du processus digital, comme le passage d’une marche à l’autre d’un escalier, d’un doigt à l’autre d’une main.

2) le processus digital est un saut quantique du type 'oui-ou-non' en discontinuité d'où procèdent les “distinctions” des termes ou systèmes situés à des niveaux de contrainte ou des ordres de réalité distincts, comme le monde minéral du monde biologique du vivant

On peut concevoir un “indicateur” de l'ordre du “oui-ou-non” digital dans la distinct de ce qui est ou n’est pas, tandis qu'un “indice” (comme l'indice d'octane des carburants pétrochimiques) est de l'ordre de fines graduations en “plus-ou-moins” analogique des “différences”.

Quoi qu'il en soit, c'est un processus nettement relié à la notion d'investissement (Besetzung) elle-même reliée au concept phénoménologique d'intentionnalité (Brentano, Husserl) et au processus perceptif qui permet de dégager une frontière "figure" et "fond" d'une Gestalt.

Cette "envie du pénis", chez Freud, ne se rapporte pas à l’organe physique, mais au symbole statutaire de la phallocratie, dans la protestation virile" du Sentiment d'infériorité chez Alfred Adler. La violence humaine, liée au désir, est différente de l’agressivité animale qui prend ses sources dans le besoin. En contraste au besoin, le désir est "libre de se fixer là où il veut". Il n’a pas d’objet privilégié, même pas la mère, comme le voudrait Freud. Si l’homme, quand ses "besoins primordiaux" sont satisfaits et parfois même avant, désire intensément, il ne sait pas exactement quoi, car c’est l’être qu’il désire, un être dont il se sent privé et dont quelqu’un autre lui paraît pourvu.

[modifier] Critiques particulières du désir mimétique de Girard

Si aujourd'hui, il semble qu'on peut parler d'adhésion massive et enthousiaste aux idées de Girard chez l'intelligentsia française, il n'en fut pas toujours ainsi. Les débuts furent difficiles, partagés entre le mépris et la critique des présomptueuses thèse d'un original qui prétendait, en s'appuyant sur la bible, révolutionner l'anthropologie sans ménager personne et surtout pas Freud (dans des termes d'ailleurs assez abrupts, et qu'il a adoucit depuis). Ces critiques se poursuivent toujours, mêmes si elles sont maintenant obligés de tenter dépasser R.Girard, plutôt que de l'écarter.

Elles se rapportent à la mimétique et au désir dans la confusion des niveaux de réalité physique, social, psychique et symbolique dégagés dans la Théorie des contextes d’Anthony Wilden.

Au niveau physique nécessaire et insuffisant, la mimétique est un camouflage dont l’exemple illustratif est le caméléon. C’est aussi le niveau des besoins ou appétits.

Au niveau social des congénères de la même espèce et des collègues qui partagent la même loi (lex. legis) et le même héritage (legs), la mimétique consiste à faire “comme tout le monde” dans le conformisme dont l’exemple illustratif est l’effet de la mode. C’est le niveau de la confusion (à la fois “prendre l’un pour l’autre” et “fondre ensemble l’un dans l’autre”) entre “besoin” et “désir”. Le besoin d’habillement peut être satisfait par n’importe quel vêtement, alors que "le désir selon l’Autre" du postulat girardien se rapporte à la particularité d’une telle marque et d’un tel type désignée par la mode.

Au niveau symbolique des transcendances, la mimétique est la communion autour des mêmes croyances et règles de vie dont l’exemple illustratif est dans les grandes messes religieuses ou sociales, phénomènes étudiés par Erich Fromm dans son idée fondamentale de l’union au monde. C’est le niveau du désir pur sans objet, puisque c’est l’imitation du désir de l’Autre qui désigne le modèle à imiter dont la distance est infranchissable. C’est le niveau des cultes et de la violence mimétique des foules.

La critique ingéniérale et managériale de Jean-Pierre Dupuy (par ailleurs collaborateur et vulgarisateur de R. Girard) se rapporte à la confusion entre le besoin et le désir, l’objet et sa représentation, en termes freudiens : le “pénis” et le “phallus”. http://home.nordnet.fr/~jpkornobis/Textes/Dupuy.html : l’objet convoité à s’approprier n’est pas partageable, alors que sa représentation ou l’idée que l’on se fait de lui l’est. La violence mimétique de l’appropriation se rapporte à l’objet qu’est le besoin et non pas à sa représentation qu’est le désir.

La valeur marxienne est à la conjonction de la demande avec la disponibilité et se rapporte à la rareté issue de la conjonction des désirs.

[modifier] Annexes

[modifier] Bibliographie

[modifier] Liens externes

  • Projet René Girard: ressources diverses (entretiens, conférences...) sur René Girard et la théorie mimétique.

[modifier] Notes et références

  1. René Girard, Celui par qui le scandale arrive. Entretiens avec Maria Stella Barberi (Hachette, col. Littératures, Paris, 2001). C'est un court ouvrage de 192 pages d’introduction à la pensée complexe et révolutionnaire en sciences sociales.
    • "[…] Dans cet ouvrage, René Girard redéploie sa théorie de la violence mimétique, pour montrer qu’elle est seule à même de permettre de comprendre la spirale dans laquelle nos sociétés sont entraînées : la violence n’est ni politique ni moins biologique et en ignorant les ressorts de l’imitation, on s’interdit de comprendre les dangers qui nous menacent. Cette réflexion le conduit à s’élever contre le relativisme dans les sciences humaines et sociales qui minent les pensées contemporaines. À cette occasion, il réaffirme la contribution essentielle que propose l’anthropologie du Nouveau Testament et précise ainsi les points qui l’attachent comme ceux qui l’opposent à Claude Lévi-Strauss. René Girard reprend également les grandes lignes de sa pensée sous la forme d’un dialogue particulièrement accessible, faisant de ce livre une véritable introduction à l’une des contributions majeures à la philosophie et à l’anthropologie contemporaines".
    Dr. Maria Stella Barberi est professeur de sciences politiques à l’Université de Messine, Italie.http://www.nouvellescles.com/Entretien/Barberi/Barberi.htm
  2. Poétique, 4
  3. Actes du colloque René Girard de 1983
  4. Lors du séminaire de mars-avril 1957.
  5. René Girard, La violence et le sacré, Grasset, Paris, 1972.
  6. René Girard, 1972, pp. 248-281, La violence et le sacré, Grasset, Paris.
  7. pp. 283-325.
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