Concile de Trente

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Le concile de Trente est le dix-neuvième concile œcuménique reconnu par l'Église catholique romaine. Convoqué par le pape Paul III en 1542, en réponse aux demandes formulées par Martin Luther dans le cadre de la Réforme protestante, il débute le 13 décembre 1545. Il se déroule en dix-huit ans, sur vingt-cinq sessions, quatre pontificats et trois villes.

En réaction aux progrès de la Réforme protestante[1], il définit le péché originel, la justification, une autorité de la Bible spécifique au catholicisme romain et confirme les sept sacrements, le culte des saints et des reliques ainsi que le dogme de la transsubstantiation. Sur le plan disciplinaire, il crée les séminaires diocésains, destinés à former les prêtres. Trente est l'un des conciles les plus importants de l'histoire du catholicisme ; il est le plus abondamment cité par le concile Vatican II.

L'historienne Régine Pernoud présente ce concile comme la coupure entre l'Église médiévale et l'Église des temps classiques[2]

Sommaire

[modifier] Historique

[modifier] Contexte

Paul III, convocateur du concile, par Titien
Paul III, convocateur du concile, par Titien

Le premier appel au concile émane de Luther lui-même, d'abord le 28 septembre 1518, puis le 11 octobre 1520 : il demande l'arbitrage d'un concile dans son conflit avec la papauté. En effet, le début du XVIe siècle est encore fortement marqué par l'idée que le concile, incarnation de l'Église universelle, est l'instance, supérieure au pape, où se juge toute injustice. La papauté connaît bien ce risque et Pie II, en 1460, n'hésite pas à assimiler appel au concile général et hérésie dans sa bulle Execrabilis.

La papauté récuse donc aussitôt l'appel de Luther. Rapidement, celui-ci gagne une large audience, principalement en Allemagne où en 1523, les États protestants du Saint-Empire réclament officiellement la tenue d'un concile allemand. Si Charles Quint est favorable à la tenue d'un concile, il refuse la convocation d'une assemblée uniquement allemande. Cependant, la guerre avec François Ier de France rend impossible la tenue d'une assemblée universelle.

En 1534, le pape Clément VII meurt. Paul III, son successeur, souhaite que l'Église reprenne l'initiative. Il accepte donc l'idée du concile dans une optique de réforme générale. Pour ce faire, il élève à la pourpre cardinalice des réformateurs italiens et constitue la Commission de emendenda Ecclesia, « pour la réforme de l'Église ». Le 2 juin 1536 est publiée la bulle d'indiction, Ad Dominici gregis curam, qui fixe l'ouverture du concile le 23 mai 1537 à Mantoue.

[modifier] À Trente

Charles Quint, « protecteur » du concile, par Rubens
Charles Quint, « protecteur » du concile, par Rubens

Peu de temps après, la guerre reprend entre Charles Quint et François Ier. Parallèlement, le lieu de la tenue du concile pose problème : le duc de Mantoue formule des exigences démesurées tandis que la République de Venise refuse à demi-mot d'héberger l'assemblée, qui est donc ajournée. Le 22 mai 1542, Paul III publie de nouveau une bulle d'indiction, mais la guerre retarde de nouveau l'ouverture du concile jusqu'au 13 décembre 1545, cette fois à Trente, dans les Alpes, terre d'Empire.

Pour la séance d'ouverture, la foule est maigre : trois légats, quatre archevêques, vingt évêques, le procureur de l'archevêque de Mayence et cinq généraux d'ordres. Calvin plaisantera à ce sujet : « si c'estoit seulement un synode provincial, ilz devroyent avoir honte de se trouver si peu. » Pire encore, les États chrétiens considèrent que le concile est sous la coupe de l'Empereur. La France ne daigne y envoyer que trois évêques. Lors de la septième session, en mars 1547, seuls 68 prélats sont présents. Il faut dire que seuls les Italiens peuvent se rendre commodément à Trente.

Rapidement, cependant, les Pères conciliaires entendent s'affranchir de la tutelle impériale. Contre Charles Quint qui entendait les limiter aux abus ecclésiastiques, ils se saisissent également des questions dogmatiques. Contre sa volonté également, ils condamnent les doctrines protestantes : le 8 avril 1546, il font de la Tradition un élément de la Révélation ; le 17 juin, ils en réitèrent la conception catholique du péché originel et le 13 janvier 1547, ils font de même pour la justification. Devant leur audace, Paul III s'inquiète, alors que ses relations avec l'Empereur se tendent.

En mars 1547, Giovanni Maria del Monte, légat pontifical et secrétaire du concile, profite d'une épidémie à Trente pour faire transférer le concile à Bologne.

[modifier] À Bologne

Furieux, Charles Quint interdit à ses prélats de quitter Trente, et déclare invalide le transfert. Dès lors, les sessions tenues à Bologne sont purement formelles. Les Pères conciliaires prennent soin de ne prendre aucune décision, qui serait contestée par l'Empereur : aucun décret n'est voté pendant cette session.

Parallèlement, Charles Quint ne fait pas poursuivre les travaux des prélats allemands restés à Trente. En 1548, il impose dans l'Empire l'Intérim d'Augsbourg, solution purement allemande, qui maintient le dogme catholique à deux concessions près : la communion sous les deux espèces et le mariage des prêtres. Paul III doit ouvrir les négociations rapidement, de peur d'un schisme. En septembre 1549, il autorise les pères restés à Bologne à regagner Trente.

[modifier] Retour à Trente

Peu de temps après, Paul III meurt. Le secrétaire du concile est élu pape et prend le nom de Jules III. Réputé anti-impérial, il tourne casaque aussitôt sacré et, dans l'espoir de ramener Parme dans le patrimoine familial, il s'allie avec l'Empereur, permettant ainsi au concile d'être rouvert le 1er mai 1551, sous la présidence du légat Marcello Crescenzio. Henri II de France, furieux, récuse le concile et interdit à ses prélats de s'y rendre. Pour sa part, Charles Quint force ses États protestants à dépêcher des représentants au concile. Seuls les ducs de Saxe et de Wurtemberg, l'électeur de Brandebourg et la ville de Strasbourg s'y plient. Sitôt arrivés, les ambassadeurs protestants posent leurs conditions, qui sont rejetées par le concile qui, au contraire, réaffirme le dogme de la transsubstantiation. Parallèlement, les Pères espagnols et la papauté s'opposent sur la réforme disciplinaire des clercs.

En 1552, les États protestants et Henri II déclarent la guerre à Charles Quint. L'armée de Maurice de Saxe menace le sud de l'Allemagne. Le 28 avril, le concile est levé et évacue la ville.

Jules III prend acte de l'échec du concile en matière d'unité chrétienne. Il se replie sur la réforme de l'Église catholique et prépare une bulle qu'il n'a pas le temps de publier. Son successeur, Paul IV, fulmine contre la simonie, mais ne relève pas l'idée conciliaire. En 1559, Henri II trouve la mort accidentellement. Charles IX de France et Catherine de Médicis, face à une France déchirée, souhaitent alors convoquer un concile purement français pour régler la question religieuse - Ce sera la tentative du colloque de Poissy. Pour la papauté, un concile séparé est inacceptable. Pie IV, élu en 1559, convoque donc de nouveau le concile à Trente par la bulle Ad Ecclasiæ regimen (29 novembre 1560).

Le 18 janvier 1562, le concile est de nouveau ouvert, cette fois avec davantage de prélats, mais encore majoritairement italiens. Cette session du concile porte principalement sur le sacrement de l'ordre, plus précisément sur la résidence épiscopale. En novembre, la délégation française arrive, présidée par le cardinal de Lorraine. Le débat se porte alors sur la définition du pouvoir pontifical. Après beaucoup de difficultés, les Pères qualifient la résidence épiscopale de « précepte divin » mais s'abstiennent prudemment sur le pouvoir pontifical.

Dans leur élan, les Pères conciliaires entendent s'attaquer aux abus des princes. Aussitôt, les rois de France et d'Espagne font part de leur mécontentement. Les ambassadeurs français quittent Trente après moult protestations. Le projet de décret est finalement écarté. Le concile s'achève par une succession de décrets sur le purgatoire, le culte des saints ou encore les reliques.

[modifier] Clôture

4 décembre : Clôture du concile de Trente, toile attribuée à Paolo Farinatis
4 décembre : Clôture du concile de Trente, toile attribuée à Paolo Farinatis

Les 3 et 4 décembre 1563 se tient la séance de clôture. L'ensemble des décrets du concile est lu devant les Pères, rassemblés dans la cathédrale Saint-Vigile de Trente. Au terme de cette lecture, le légat Giovanni Morone, secrétaire du concile, demande aux Pères s'ils souhaitent clore leur assemblée. Tous ayant répondu amen, le cardinal de Lorraine rend grâce :

  • aux différents papes du concile ;
  • à Charles Quint, à l'empereur Ferdinand et aux « sérénissimes rois » (non nommés) ayant protégé le concile ;
  • aux légats apostoliques ;
  • aux cardinaux et ambassadeurs ;
  • aux évêques.

À chacune de ses acclamations répond la foule des Pères conciliaires. Enfin, il s'exclame : « anathème à tous les hérétiques ! », repris par les Pères : « anathème, anathème ! »

[modifier] Apport conciliaire

[modifier] Œuvre dogmatique

Première caractéristique du travail doctrinal du concile, il est conçu directement en réponse aux thèses protestantes. Il n'a donc rien de systématique.

[modifier] La Révélation

S'agissant des sources de la Révélation, le concile définit, à l'occasion de sa IVe session (8 avril 1546), le Canon — c'est-à-dire le contenu considéré comme authentiquement révélé —, dans lequel sont inclus des livres que les protestants qualifient d'apocryphes et les catholiques de deutérocanoniques. La Vulgate, traduction latine rédigée par Jérôme de Stridon au Ve siècle, reçoit un monopole d'authenticité pour la discussion, la catéchèse et la prédication dans l'Église catholique. Les éditions de la Bible sont désormais soumises à la censure des autorités ecclésiastiques[3]

À la différence de versions plus récentes de la Bible, la Vulgate est reconnue fiable du fait qu'on y a jamais décelé d'hérésie. Elle n'est cependant pas exempte d'erreurs ou de reproches et mérite une révision. La lecture d'autres versions que la Vulgate n'est pas interdite. Cela n'interviendra que plus tard, sous la poussée de l'Inquisition en Espagne et contre les traductions jansénistes en France[4].

Par ailleurs, la question de la traduction en langue vernaculaire est abordée, mais après d'abondants débats, le concile choisit de ne pas trancher. En pratique, toutes les éditions de la Bible en langue vulgaire seront mises à l'Index en 1559.

Le concile reconnaît également la Tradition (christianisme) comme source de la Révélation. Il la définit comme « les traditions non écrites qui, reçues par les Apôtres de la bouche du Christ lui-même ou transmises comme de main en main par les Apôtres sous la dictée de l'Esprit Saint sont parvenues jusqu'à nous. » Le concile se garde bien, cependant, de dresser la liste de ces traditions. Calvin conclut que « tout ce qu'ilz mettront en avant, combien qu'il ne soit nullement fondé en l'Escriture, sera mis au nombre des traditions, lesquelles ils veulent qu'on croye autant que la loy et les prophètes. » Le décret sur la Révélation suscite des réticences chez certains Pères concilaires, entre autres Giacomo Nacchiante.

[modifier] Le salut

Le dogme du péché originel est défini lors de la Ve session, le 17 juin 1546. S'il touche tous les hommes, il est effacé par le baptême : « en ceux qui sont nés de nouveau, rien n'est l'objet de la haine de Dieu. » Par ce décret, le concile s'oppose résolument aux thèses protestantes d'une nature humaine irrémédiablement corrompue : pour eux, l'homme n'est plus intrinsèquement pécheur, mais entraîné au péché par la concupiscence, auquel il se doit de résister.

Le concile aborde ensuite, dans sa VIe session (13 janvier 1547), le problème de la « justification », c'est-à-dire des modalités du salut. Dans un très long texte (16 chapitres, 33 canons), le concile explique que la foi est à l'origine du salut de l'homme. Cependant, « personne ne peut savoir, d'une certitude absolue de foi excluant toute erreur, qu'il a obtenu la grâce de Dieu » : le concile s'oppose là non seulement aux protestants, mais à une vieille tradition médiévale. L'homme doit donc lutter sans cesse, et progresser dans la foi par ses œuvres et une administration régulière des sacrements. Le sacrement de pénitence permet ainsi au chrétien d'être de nouveau justifié s'il s'est laissé aller à la concupiscence.

Il y a donc rejet à la fois de la justification par la foi seule, défendue par Luther, et la thèse de la « double justice », sorte de consensus entre catholiques et protestants défendu à Trente par le cardinal Girolamo Seripando, général des Augustins.

L'idée parfois évoquée selon laquelle ce concile aurait statué sur l'âme des femmes est une fable. Un tel débat n'a jamais lieu au sein de l'Église.[5]

[modifier] La définition des sacrements

Le Christ à l'Eucharistie, par Juan de Juanes, peintre espagnol de la fin du XVIe siècle
Le Christ à l'Eucharistie, par Juan de Juanes, peintre espagnol de la fin du XVIe siècle

Le concile confirme la liste des sept sacrements dégagée par l'Église à la fin du XIIIe siècle : baptême, eucharistie, pénitence, confirmation, ordre, mariage et extrême-onction. Ces sacrements sont déclarés efficaces par eux-mêmes (ex opere operato), indépendamment de celui qui les administre, et même de celui qui les reçoit.

En définissant l'eucharistie, le concile maintient et confirme le dogme de la transsubstantiation :

« Par la consécration du pain et du vin s'opère le changement de toute la substance du pain en la substance du Corps du Christ notre Seigneur et de toute la substance du vin en la substance de son Sang ; ce changement, l'Église catholique l'a justement et exactement appelé transsubstantiation. »

Les Pères écartent donc la thèse luthérienne de la consubstantiation et la thèse sacramentaire, niant la présence réelle.

À la suite de ce concile fut rédigé, dès 1566, le Catéchisme du Concile de Trente.

Ce concile fut le dernier concile dogmatique à être conclu, car le Vatican I n'a pas été conclu et le suivant est le concile œcuménique Vatican II, dit concile pastoral.

[modifier] Œuvre disciplinaire

Les Pères conciliaires entendent réformer l'Église de l'intérieur. Ils n'hésitent pas à citer leur propre exemple pour dénoncer les abus ecclésiastiques : ainsi du cardinal de Lorraine, archevêque à 14 ans. Reprenant des canons médiévaux, le concile fixe à 25 ans l'âge minimal de la prêtrise.

La résidence des évêques est abordée lors de la VIe session, le 13 janvier 1547. Le concile reste prudent : il prévoit des sanctions à l'encontre des évêques fautifs, allant jusqu'à la privation de leur temporel, mais aussi des cas de dispense, le pape restant l'arbitre en la matière. Les pouvoirs des évêques sont renforcés : désormais, ils doivent visiter chaque année toutes les églises de leur diocèse, même celles qui bénéficient d'une exemption accordée par le pape. Le concile parvient à ménager les susceptibilités pontificales en rappelant que l'évêque tire son pouvoir du Saint-Siège lui-même.

Le concile met l'accent sur le rôle pastoral de l'Église : lors de sa Ve session, il institue un poste de lecteur en Écritures dans chaque cathédrale, couvent ou monastère, et un poste de maître de grammaire dans les églises plus petites. Il rappelle aux évêques leur obligation de prêcher ou de faire prêcher. Il institue des séminaires pour la formation du clergé. Cependant, il laisse subsister un flou entre école pour enfants pauvres et centre de formation des clercs. Le modèle du séminaire tridentin ne s'établit clairement que lors de la distinction entre petit et grand séminaire, ce dernier accueillant des élèves plus âgés, ayant reçu un ordre mineur. Enfin, le concile appelle les artistes à respecter la décence et à présenter des modèles doctrinaux clairs.

[modifier] Voir aussi

[modifier] Notes et références

  1. Nicole Lemaître, La Renaissance des années 1470 aux années 1560, Cours d'agrégation d'histoire, Université Paris I, 2002-2003 Ch. XII; en ligne sur le site de l'université Paris I
  2. Régine Pernoud, Pour en finir avec le Moyen Âge, éd. Seuil, 1977
  3. « Le saint concile décide et déclare que la vieille édition de la Vulgate, approuvée dans l’Église par l’usage de tant de siècles, doit être tenue pour authentique dans les leçons publiques, les discussions, les prédications et les explications, et que personne ne doit avoir l’audace de la rejeter, sous n’importe quel prétexte. », in Concile de Trente, Quatrième session : Decret touchant l'Edition & l'usage des Livres Sacrez; texte en ligne.
  4. Nicole Lemaître, op. cit.
  5. Voir Légende du Concile de Mâcon.

[modifier] Articles connexes

[modifier] Bibliographie

  • Giuseppe Alberigo, Les Conciles œcuméniques, t.II, Cerf, 1994, p. 1344–1623 (décrets conciliaires en latin et traduits) ;
  • Hubert Jedin, Histoire du concile de Trente, Desclée, 1965 (traduction du premier volume de Geschichte des Konzils von Trient, Herder, Fribourg, 1949–1975) ;
  • Alain Tallon :
    • La France et le concile de Trente (1518–1563), École française de Rome, diff. de Boccard, 2000 ;
    • Le Concile de Trente, Cerf, coll. « Histoire », Paris, 2000 ;
  • Marc Venard :
    • (s. dir.), Le Temps des confessions (1530–1620), t.VIII de l’Histoire du christianisme, Desclée, 1992 ;
    • Marc Venard, q.v., Dictionnaire historique de la papauté, s. dir. Philippe Levillain, Fayard, Paris, 2003 (ISBN 2-213-618577).

[modifier] Liens externes