Clara Haskil

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Clara Haskil
Clara Haskil

Clara Haskil, née à le 7 janvier 1895 à Bucarest et décédée le 7 décembre 1960 à Bruxelles était une pianiste suisse d'origine roumaine.

[modifier] Biographie

Issue d'une famille roumaine juive ("Haskil" semble venir d'une racine hébraïque signifant "sage"), elle montre dès l'âge de 3 ans un intérêt pour le piano: elle reproduit déjà, avec un doigt, des mélodies qu'elle a entendues! La mère de Clara, Berthe Haskil, pianiste et musicienne amateur, lui donne ses premiers cours de piano et Clara révèle des dons stupéfiants d'oreille et de doigté. D'ailleurs son prénom même lui fut donné en souvenir d'une sœur aînée que Berthe admirait passionnément, qui mourut à vingt ans alors qu'elle effectuait des études brillantes de piano au Conservatoire de Bucarest. Elle travaille aussi le violon et montre également un don pour cet instrument. Elle a deux sœurs, Lili, son aînée, qui joue aussi du piano, et Jane la cadette qui apprend le violon.

Elle a trois ans quand, en 1899, son père meurt des suite d'une pneumonie contractée une nuit de décembre, lors d'un incendie survenu dans l'immeuble où vit la famille.

C'est la mère de Clara qui doit subvenir aux besoins de la famille, premièrement en donnant des leçons de piano, de français, d'allemand, d'italien, de grec (!!), puis en ouvrant un petit atelier de couture pour rester près de ses enfants. Mais cela ne suffit pas et c'est grâce à l'aide d'un de ses frères, Isaac, que la famille survivra. Actuaire, il deviendra par la suite directeur de la Nationale, une des premières sociétés d'assurances roumaines. Il sera ainsi en mesure d'aider les Haskil et deviendra peu à peu le chef de famille.

Clara continue de développer ses dons, toujours avec sa mère. Un ami des Haskil emmène la fillette chez un professeur de chant du Conservatoire. Il est stupéfait et demande à la revoir plusieurs fois. Un jour, il lui joue une sonatine de Mozart qu'elle ne connaît pas. Aussitôt entendue, Clara la joue sans faute, d'une traite. Puis la rejoue en la transposant... Elle a cinq ans... On décide de lui faire commencer les cours au Conservatoire.

Quand Clara a sept ans, la famille décide de l'envoyer étudier le piano à Vienne. Elle s'y rend seule avec un autre de ses oncles, l'oncle Avram — un médecin diplômé, âgé de trente-cinq ans, qui ne pratique plus. Il voue une véritable passion pour sa petite nièce. Une fois à Vienne, Avram l'amène auprès du célèbre pianiste Anton Door. Celui-ci est si abasourdi qu'il envoie une note au quotidien viennois Neue Freie Presse. Il n'est pas inutile de la citer intégralement :
« Le professeur Anton Door attire notre attention sur une petite fille dont le talent musical est tout à fait exceptionnel. Il nous écrit: "Ces jours-ci s'est présenté chez moi un médecin venant de Roumanie et tenant par la main une petite fille de sept ans, fille d'une veuve. Cette enfant est un prodige: elle n'a jamais reçu de véritable enseignement musical — mais ce n'est pas nécessaire car tout ce qu'on lui joue, dans les possibilités de ses petites mains, elle le joue à son tour de mémoire, sans une faute et qui plus est dans n'importe quel ton. Je lui ai présenté une sonate, facile, de Beethoven : elle l'a déchiffrée d'une façon parfaite et sans accroc. On se trouve là devant une énigme : cette maturité d'un cerveau d'enfant est véritablement angoissante." »
Clara étudiera finalement chez le professeur Richard Robert (il aura entre autres comme élève Rudolf Serkin), un très bon pédagogue qui voit une enfant triste. Il lui organisera même une petite pièce où l'enfant pourra jouer. Après un ou deux ans, la petite Clara, alors âgée d'à peine 8 ou 9 ans, joue ses premiers concerti de Mozart !

Après trois années chez le professeur Robert, Avram décide d'emmener Clara, alors âgée de dix ans, à Paris. Elle ne reverra plus le professeur. Une fois dans la capitale, elle se présente aux examens d'entrée du Conservatoire de Paris dont le directeur de l'époque est Gabriel Fauré. Elle se présente à la fois pour le piano et pour le violon, elle passe les deux. Elle étudiera d'ailleurs le violon parallèlement au piano jusqu'à ce que la scoliose déformante qu'on lui diagnostique en 1914 l'empêche de continuer cet instrument.

Plus tard, elle ira étudier chez Alfred Cortot, en 1907, mais ne s'entendra pas bien avec lui. Il n'aime pas sa façon de jouer. À cette époque les leçons se donnent devant tous les élèves. Lorsque Clara s'approche du piano pour jouer, Cortot la renvoie en disant : « Nous vous entendrons la prochaine fois! »... Une autre fois, il lui dit: « Vous jouez comme une femme de ménage! ». Clara s'en souviendra et, à l'issue d'un récital de Clara à la fin des années 1940, alors que Cortot a finalement reconnu le talent de Haskil, il lui dira: « Chère amie c'est admirable! ». Elle répondra: « Alors, je ne joue plus comme une femme de ménage? ».

Gabriel Fauré, directeur du Conservatoire de Paris, quant à lui, prend Clara en affection. Lorsqu'elle lui joua une de ses pièces (Thème et variations) il dit : « Je ne savais pas qu'il y avait autant de musique dans ce que j'avais écrit! ».

Durant toute cette période à Paris, Clara vit seule avec son oncle Avram. C'est un être taciturne. Clara est toujours aussi triste et, lors de vacances en Roumanie où la famille de Clara est restée, sa mère la voit si triste qu'elle décide de prendre un appartement à Paris et de venir y habiter. Pour des raisons matérielles, elle ne pourra emmener Lili et Jane. Avram est également malade, ce qui est une raison de plus pour déménager. Il acceptera à contre cœur la décision de sa sœur mais restera à Bucarest et entrera dans la compagnie d'assurance de son frère où il restera jusqu'en 1911.

En 1910, Clara gagne son premier prix de Conservatoire. Elle commence à donner des concerts. À Vienne un imprésario suisse s'intéresse à elle et lui organise une tournée en Italie du nord et en Suisse.

Toujours à cette époque, Clara reçoit une proposition de Ferruccio Busoni (qui l'a entendue jouer à Zurich) pour aller étudier chez lui, à Berlin. Sa mère refusera. Une décision que Clara regrettera toute sa vie.

Avant la guerre, on lui diagnostique une scoliose déformante. Elle est envoyée à Berck, dans le nord de la France, un lieu de villégiature accueillant principalement des malades atteints de turberculose osseuse. Elle va vivre là un calvaire fait de souffrances morales et physiques aigües — certaines de celles-ci auraient pu lui être épargnée d'ailleurs. Elle y reste jusqu'à la fin de la guerre, en 1918.

En 1917, la mère de Clara Haskil meurt d'un cancer. Son oncle Avram est dans un camp de réfugié (il a été arrêté, ayant pris la nationalité autrichienne). Clara se retrouve donc seule... Alors que jusqu'à présent elle n'était pas particulièrement sujette au trac, celui-ci va devenir terriblement envahissant, paralysant! Depuis ce moment elle refusera souvent de jouer, prétextant que « ça n'ira pas... ». De plus, elle n'était jamais satisfaite de sa performance.

Après la Première Guerre mondiale, elle revient à Paris. Georges Enesco intervient alors auprès de l'Etat roumain pour s'assurer que la jeune femme pourra y achever ses études musicales ; en 1921, il la fait jouer à Lausanne. A Paris, la pianiste fait la connaissance de Mme Gélis-Didot et de sa fille Hilda et peu après, celle de Mme Paul Desmarais. Ces femmes tiennent salon et sont parmi les mécènes les plus actives du monde musical parisien. C'est d'ailleurs Mme Desmarais qui proposera à Clara d'aller reprendre des forces en Suisse (accompagnée d'une infirmière). Outre le fait qu'elle y retrouvera Avram dont le caractère s'est grandement assombri, elle va rencontrer des personnes qui seront très importantes pour la reconnaissance de ses dons en Suisse.

Effectivement, de 1920 à 1950 le public suisse sera le seul pays a reconnaître le génie de Clara et à l'assurer de sa fidélité.

Une anecdote : lors de son premier concert avec l'Orchestre de la Suisse Romande et son chef Ernest Ansermet, son trac est si paralysant qu'elle n'imagine pas entrer en scène... Le concert est un succès, Ansermet la félicite encore et encore. Clara passera la nuit à l'hôtel à répeter à sa compagne de chambre: « N'est-ce pas, il est furieux Monsieur Ansermet? »

Cette histoire illustre assez bien la capacité d'autodestruction de la grande pianiste, la menant parfois, à cause du trac, de cette mauvaise estime d'elle-même, à refuser ou annuler des concerts et qui explique très largement le fait que sa carrière ait eu tant de mal à prendre son essor. Il s'écrit parfois que Clara Haskil avait un jeu sobre, "en avance sur son temps" et que c'est pour cette raison qu'elle aurait été rejetée par le public parisien. Il n'en est rien : les critiques de l'époque et les quelques enregistrements des années 1920-1930 laissés par la pianiste montrent tout au contraire une pianiste au jeu très virtuose, passionné et d'essence romantique.

Un autre élément sera son oncle lui-même. Toujours plus possessif avec sa nièce, il veut sans cesse la contrôler. Quand il diagnostiquera sur lui les premiers signes de la maladie de Parkinson et qu'il en souffrira de plus en plus, il rejettera tous soins qui ne seront pas prodigués par Clara. Pour cette raison aussi, la pianiste sera amenée à annuler des concerts. Elle ne se révoltera jamais, peut-être aussi à cause de cette mésestime d'elle-même...

Car il est vrai qu'en dépit de l'aide de ses mécènes sa carrière piétine.

En 1924, Bruxelles la demande, le succès touche au délire... Elle ne sera pas réengagée avant 1930... Deux concerts à Vienne où elle joue son cheval de bataille à cette époque, œuvre à laquelle on ne l'identifie pas de nos jours : le deuxième concerto de Rachmaninov: immense succès! Ce sera ses seules apparitions dans la ville jusqu'en 1952...

Mme Gélis organise une tournée en Amérique du Nord: triomphe à New York! Nous citons ici un extrait de critique du Courrier Musical de New York du 13 novembre 1924 car le journaliste a touché exactement ce qui fait et fera la singularité musicale de la pianiste:

« Dire que Mlle Haskil joue de toute son âme peut sembler ridiculement sentimental; il n'y a cependant pas d'autre ni de meilleure expression. Elle semble être à la recherche de la signification purement intérieure et de plus en plus profonde des pensées et des sentiments trouvés dans l'esprit même du compositeur, au travers de sa musique. Son jeu dénote une immense et sympathique compréhension des pulsions humaines, de toutes les passions, désirs, joies et tristesses, espoirs et découragements successifs qui ont inspiré la composition des œuvres qu'elle interprète. Entendre Mlle Haskil interpréter Schumann, Chopin, Ravel, c'est toucher de près à la révélation de la nature de ces hommes, des motifs qui les ont fait écrire - et qui les ont fait écrire comme ils l'ont fait. Ce n'est plus un simple concert, c'est plutôt une communion intime avec le génie. »

Elle retournera en 1925 (encore grâce à Mme Gélis), puis fin 1926 - début 1927 (seule), dont un concert avec Stokowski : ovation, apothéose, triomphe! Stokowski la recommande à son agent. Ce dernier est prêt à organiser une tournée à travers les États-Unis. Il demande à Clara qu'elle donne 100 dollars (grande somme à l'époque) pour les frais de publicité. Comme elle ne les a pas, l'agent lui répond : « Il vaudrait mieux avoir moins de talent mais de l'argent ». La tournée ne se fera pas... Elle ne reviendra aux États-Unis que trente ans plus tard.

Pour la musique de chambre, ses partenaires sont d'emblée enthousiasmés du dialogue qui s'instaure avec elle, à l'instar de Pablo Casals qui adore jouer en sa compagnie. En 1927 toujours, pour le centenaire de la mort de Beethoven le grand violoniste Eugène Ysaÿe la choisit pour donner en trois concerts les dix sonates pour violons et piano du maître.

La maison Gaveau lui propose de prendre en charge toute sa carrière à l'unique condition qu'elle ne joue que sur les pianos de la marque. Comme elle n'aime pas ces instruments, elle refuse, malgré les tentatives d'approches réitérées de la marque française qui, ainsi éconduite, finira par renoncer.

À la même époque, elle rencontre la princesse de Polignac, née Winnaretta Singer, une des dernières grandes mécènes privées du XXe siècle. La princesse reconnaît en elle une grande musicienne et décide de l'aider, non point tant par sa fortune (son avarice est légendaire) qu'en mettant à sa disposition un de ses pianos dans son hôtel particulier. Clara peut ainsi venir travailler autant qu'elle le désire et peu à peu se retrouve introduite dans les soirées musicales que donne la princesse en ses salons. L'élite de la création artistique se retrouve chez "Tante Winnie" (comme l'appellent les habitués), Clara y rencontre autant un Stravinski qu'un Poulenc, Rubinstein ou Horowitz. Mais Clara, qui est d'une timidité maladive, ne profitera jamais de ces rencontres... Si ce n'est une fois, et c'est là la naissance d'une profonde amitié: un soir de 1936, un jeune pianiste au talent immense est invité. Lui aussi est roumain: Dinu Lipatti. C'est instantanément un dialogue profond qui s'installe entre eux: seule la mort de Lipatti en 1950 l'interrompra.

Quelques contrats arrivent, quelques passages à la radio française, ... un exploit aussi: on lui demande d'apprendre en une semaine le second concerto de Brahms. Effectivement une semaine plus tard elle l'interprète en direct à la radio. On commence à se rendre compte de son talent. On la demande un peu, ... et la guerre arrive qui fait tout s'écrouler. De plus Clara est juive. Grâce à sa sœur Jeanne, qui fait partie de l'Orchestre National, elle passe avec les musiciens en zone libre.

Là encore, c'est d'une façon totalement inespérée et inattendue qu'elle est recueillie dans le manoir d'une autre protectrice des arts, la comtesse Lili Pastré. C'est Youra Guller, une camarade du temps du conservatoire, qui de son propre chef a insisté auprès de la comtesse pour que celle-ci l'héberge dans ses murs de Montredon malgré la suroccupation du domaine par les exilés et les fugitifs.

En 1942, sa santé se dégrade. Elle a de plus en plus de peine à lire, des maux de tête toujours plus violents l'assaillent quasi quotidiennement. Après consultations, on diagnostique une tumeur du nerf optique. On fait venir de Paris un disciple du premier grand neuro-chirurgien qui accepte de ne pas être payé pour son opération et ne demande qu'à être défrayé pour le voyage et les documents pour la zone libre. L'opération, qui a lieu à Marseille, dure neuf heures sous anesthésie locale; pendant toute la durée de l'intervention, afin de vérifier que rien de son cerveau n'est touché, Clara joue sur la table d'opération le concerto "Jeunehomme" de Mozart, "son concerto" comme elle le nomme...

Sa convalescence est rapide et étonnante. Pour fêter ce "retour à la vie", on organise un concert pour elle dans les jardins de Montredon. Elle joue le concerto en ré mineur KV 466 de Mozart. Un compte-rendu d'Antoine Goléa évoque le Beau absolu osant s'opposer au mal et aux souffrances de la guerre. Guerre qui la menace continuellement. Une fois déjà elle a pu être libérée d'une rafle organisée par la police française de Vichy. On la presse de passer en Suisse. Elle refuse.

Le même cercle d'amis et d'admirateurs, qui en Suisse s'est occupé de récolter l'argent pour son opération, s'affaire maintenant pour obtenir les précieux papiers qui lui permettront d'être accueillie dans ce pays qui, dès ses dèbuts, l'a reconnue.

Après une ultime hésitation, quasiment sur le quai de gare, Clara montre seule dans le train pour la Suisse au début de novembre 1942. Elle arrive à Genève 24 heures plus tard. Le douanier vérifiant ses papiers lui dit " c'est vous Mademoiselle Haskil qui nous faites de la si belle musique...". Le cercle de ses amis la conduit dans le canton de Vaud. Elle y résidera jusqu'à sa mort. Au cas par cas elle obtiendra, malgré l'interdiction qui lui est faite de quitter le canton de Vaud, de pouvoir donner quelques concerts dans différentes villes de la Suisse romande. C'est ce pays qui lui fournira, par la fidélité de son public, les maigres revenus qu'elle touchera pendant ces années.

Dès la fin de la guerre, les contrats commencent lentement mais sûrement à arriver. En premier lieu la Suisse. Clara Haskil jouissant maintenant d'une capacité de déplacement totale dans ce pays peut jouer de Genève à Zurich, de La Chaux-de-Fonds à Ascona. L'Angleterre lui demande d'enregistrer pour la BBC une série de sonates de Scarlatti: succès! En 1947, elle enregistre son premier disque commercial pour la firme Decca (encore en 78 tours): le quatrième concerto de Beethoven avec Carlo Zecchi.

Clara Haskil étant apatride, elle demande et obtient en 1949 la nationalité suisse, ce qui lui permettra de ne plus avoir aucun problème administratif pour jouer dans certains pays.

À la même époque c'est la Hollande qui la découvre et qui ne se lassera plus de l'inviter. À 55 ans, sa carrière "décolle" enfin. Pour la première fois de sa vie elle peut s'acheter un piano de la marque Steinway.

L'Allemagne la veut... Clara hésite... comment pardonner?... Ce sera un des pays où elle sera toujours la plus ovationnée. La France reste timide et sera la dernière des nations de l'Europe occidentale à la reconnaître. Pendant les dix années à venir, son agenda sera surchargé de concerts.

En 1956, elle est choisie par l'Orchestre Philharmonique de Berlin et Herbert von Karajan pour une tournée européenne rendant hommage à Mozart, dont on commémore le bicentennaire de la naissance. Ensuite c'est une tournée aux États-Unis limitée à Boston et New York: 4 concerts avec Charles Münch et Paul Paray. Clara Haskil crée l'évènement: "standing ovations". Ici comme partout on reprend la formule parue quelques années auparavant pour la première fois dans un journal viennois. "Clara Haskil a été envoyée sur terre pour jouer Mozart". Telle une comète, la pianiste aura illuminé de beauté le ciel nord-américain et ne reviendra plus: la santé fragile de l'artiste fait peur aux impresarii yankee; ou plus exactement, ce qui les rend hésitants puis négatifs, c'est l'impossibilité de gagner un maximum d'argent avec elle en lui faisant donner un maximum de concerts en peu de temps, donc en mettant en danger sa santé.

Effectivement "la Grande Dame de la Musique", comme on la nomme maintenant, doit faire face aux exigences surhumaines d'une carrière qui effraye et épuise de plus jeunes qu'elle. Entre 1957 et 1958, elle frôle la mort par deux fois et sera obligée de quitter la vie musicale momentanément. Elle s'estime alors "en sursis" mais remonte sur scène, reprend les séances d'enregistrement dont quelques-unes laissent les ingénieurs du son et les producteurs pantois: certains mouvements d'œuvres ne nécessitent qu'une seule prise, tant son jeu parvient à une chaleureuse perfection même en studio. C'est ainsi qu'entre 1956 et 1958, pour la firme Philips, elle enregistre avec le célèbre violoniste Arthur Grumiaux les sonates de Mozart pour piano et violon K.301, K.304, K.376, K.378, K.454, et K.526, ainsi que les sonates pour piano et violon de Beethoven n° 1 à 10 (l'intégrale); ces enregistrements ont été réédités en CD par la firme Philips dans le cadre de l'intégrale Arthur Grumiaux (PHCP-4901~4978).

Tous les témoignages vont dans le même sens: il y avait un contraste absolu, si ce n'est une contradiction, entre son apparition sur scène et son jeu. S'avancant à pas lents jusqu'au piano, elle semblait une femme d'une fragilité extrême, très vieille, bossue par l'aggravation de sa scoliose au cours de sa vie (le public retenait son souffle et se demandait si elle arriverait au piano); puis, dès que ses doigts entraient en contact avec le clavier, l'auditoire était immédiatement transporté dans un monde tout de poésie, d'énergie et de beauté. L'affaiblissement de ses forces physiques la contraignit à amenuiser la dynamique sonore de son jeu qui maintenant s'épanouissait du triple "ppp" au simple forte. Elle rejoignit en cela les moyens sonores d'un Chopin dont elle fut une trop rare et géniale interprète. En se rendant à Bruxelles en 1960 pour y retrouver Grumiaux, elle chute dans les escaliers de la gare, et après avoir été transportée d'hôpitaux en cliniques elle décède le 7 décembre, suite à une ultime trépanation dont elle ne se réveillera pas. Elle est enterrée au Cimetière du Montparnasse, à Paris, près de ses deux sœurs.

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