Capitalisme d'État

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Sommaire

Le capitalisme d’État désigne un système économique dans lequel l’État contrôle une part essentielle du capital, de l’industrie, des entreprises.

C’est donc un système dirigiste où tout ou partie des moyens de production sont au plan juridique la propriété de l’État, ou soumis à ses directives. Les moyens de production se révèlent dans les faits détenus, privés ou contrôlés par une classe privilégiée de la population : celle qui monopolise le pouvoir politique.

Cette expression est apparue à la fin du XIXe siècle, au sein du mouvement anti-capitaliste, étant présentée comme une perspective néfaste. Son usage s’est étendu au cours du XXe siècle.

Il existe des divergences, notamment en fonction des affinités politiques, quant aux régimes étant ou ayant été capitalistes d’État. Parmi les régimes souvent analysés comme tels, on peut citer : l’Allemagne sous la première guerre mondiale, l’Union soviétique, et actuellement la Chine et Cuba.

La notion peut désigner des systèmes économiques où le capitalisme est intégralement étatique, ou d’autres systèmes où le capitalisme privé a une forte dépendance vis-à-vis de l’État. Dans le second cas, l'expression peut se confondre avec des concepts et des théories plus précis comme le mercantilisme, le protectionnisme ou encore l’interventionnisme. Ce dernier usage, davantage fréquent en anglais qu'en français, sert alors à appuyer l'opposition avec le capitalisme de marché et désigne des politiques économiques telles que le New Deal, la politique de Vladimir Poutine, ou l'aide publique à France Telecom.

Enfin, dans le langage courant et journalistique, le capitalisme d'État peut désigner une politique volontariste de l'État à l'égard des entreprises[réf. nécessaire].

On parle également de « capital d'État », quant au capital accumulé par l'État.

[modifier] Historique du concept

Michel Bakounine développera les prémices du concept sur le plan théorique, dans Étatisme et Anarchie et au cours de ses écrits et de ses critiques vis à vis des théories de Karl Marx qualifiées de « communisme autoritaire ». Michel Bakounine proclamera que s’il arrivait à ce que ces théories (marxistes) soient appliquées, cela deviendrait simplement « l'application du capital à la production par le seul banquier, l'État » (Cit). Autrement dit, l'État se comporterait de la même manière qu'un gestionnaire capitaliste (tel un banquier ou un patron). 50 ans plus tard, certains anarchistes voient une confirmation des prédictions de Bakounine dans la réalité économique de l'Union soviétique (même si la politique économique menée en URSS ne correspond pas à la pensée économique de Karl Marx).

En avril 1918 en Russie, Nikolaï Ossinski et Nikolaï Boukharine dans la revue Le Communiste, reprenaient et développaient ce thème, en critiquant l'appropriation par l'État des moyens de production (le programme de Lénine). Ils y voyaient une opération au détriment de l'ensemble du prolétariat, ce dernier qui deviendrait alors salarié de l'État Patron.

Lénine (dirigeant de la faction bolchévique du Parti ouvrier social-démocrate de Russie) et d'autres léninistes se réclamèrent du capitalisme d'État (Cit), considérant que le passage du capitalisme de marché au capitalisme d'État était une première étape vers le socialisme. Lénine utilisa l'expression « capitalisme d'État » (qu'il avait plus tôt, en 1917, énoncée comme inspiration du « capitalisme monopoliste d'État » d'Allemagne), considérant que c'était une phase nécessaire afin d'arriver à une phase socialiste, puis théoriquement au communisme. Ces théories seront dénoncés par divers mouvements dont des anarchistes et des communistes « de gauche » (appelés plus tard « communistes de conseil »), comme étant de la social-démocratie (ou socialisme d'État).

En 1921, par exemple, Rudolf Rocker dénoncera le capitalisme d'État appliqué en URSS, dans son livre Les Soviets trahis par les bolcheviks. Le marxiste Anton Pannekoek fera de même, mais en refusant la désignation de marxisme aux bolcheviks.

Une minorité au sein du parti bolchevik, l'Opposition ouvrière (Alexandra Kollontaï, Alexandre Chliapnikov, etc.), dénonce en 1920-1921 un tournant procapitaliste de Lénine.

Les groupes appartenant au courant bordiguiste considèrent depuis les années 20 que la Révolution n'ayant pas pu se développer au niveau international, la structure économique et sociale de l'URSS n'a pas pu donner naissance à des nouveaux rapports sociaux, humains et économiques. En Russie, après la révolution d'Octobre il y aurait selon eux eu un début de modification des rapports de production qui aurait rapidement tourné court.

A partir des années 1940, certains trotskistes considèrent également que l’URSS et les pays dits « socialistes » sont des capitalismes d’État[1] : par exemple Grandizo Munis, Benjamin Péret, Natalia Sedova (la veuve de Léon Trotski), ou encore Tony Cliff. Ce dernier développe une théorie du capitalisme d'État qui est en désaccord avec les précédentes. Selon lui, le régime stalinien a remis en place la logique du capitalisme en gardant les structures étatiques de l'économie. Dans l'époque d'internationalisation de l'économie, une classe dirigeante capitaliste pouvait, selon lui, étatiser toute la production de son pays, tout en restant capitaliste dans la mesure où l'économie est basée sur l'exploitation des travailleurs. Le slogan de son courant fut pendant longtemps : « Ni Washington, ni Moscou, mais le Socialisme international ».

L’analyse des rapports de production en URSS conduisent Socialisme ou barbarie ou encore Maximilien Rubel à dénoncer le capitalisme d’État, en poussant plus loin dans l’analyse de la domination bureaucratique stalinienne.

L'analyse, et la critique, du capitalisme d'État en URSS est reprise par des philosophes comme Simone Weil ou Guy Debord (et à sa suite le mouvement situationniste), ainsi que par des historiens comme Charles Bettelheim, des économistes comme Jacques Sapir, ou encore des dissidents comme Ante Ciliga et Andreï Sakharov.

Plus récemment certains auteurs parlent de capitalisme d'État pour exprimer la politique d'un pays pratiquant le dirigisme[réf. nécessaire].

[modifier] Applications historiques

Le terme apparaît au moins à partir de 1896[2]. Pour ce qui est des régimes l’ayant exercé, Lénine considérait que l’Allemagne impériale était un capitalisme monopoliste d'État. Le terme sera massivement employé pour l'URSS, et ensuite pour les autres pays appliquant une gestion totalitaire Étatique de l'économie capitaliste (au fur et à mesure de leur apparition : Chine maoïste, Cuba castriste, le bloc dit "communiste" et "soviétique", etc.). Ces régimes ont tous appliqué la mainmise de la bureaucratie d’État sur les outils de production. Cela correspond au cas d'une application intégrale.

Depuis la chute du mur de Berlin en 1989, les États ayant pratiqué cette économie s'orientent vers une libéralisation de l'économie capitaliste, cette forme de capitalisme est parfois qualifiée d’économie mixte ou de dirigisme, où l'État agit dans le cadre d'une économie de marché, avec une participation capitalistique, mais en recherchant une optimisation politique et non une optimisation économique de sa participation au sein du capitalisme. C’est le cas de la Russie, de la Chine, etc.

[modifier] Cas d'une application intégrale

Lorsque ce régime est appliqué de façon intégrale (contrôle étatique de tous les moyens de production), sa cause et son résultat est donc une division en classe sociale semblable à celle des autres sociétés capitalistes : les prolétaires louent leur force de travail à une bourgeoisie politique, qui contrôle les moyens de production.

Le terme est notamment appliqué aux pays du « bloc communiste ». Le patron Étatique donnant des ordres de production, selon ses propres objectifs économiques, et s'aidant de la propagande en prônant le dévouement au travail productiviste (ex : le stakhanovisme), permettant ainsi à l'État de faire des bénéfices.

[modifier] Cas d'une application partielle

Icône de détail Article détaillé : économie mixte.
Un TGV à Paris, géré par l'entreprise publique SNCF. Le secteur du transport ferroviaire est fréquemment contrôlé ou détenu par l'État, partiellement ou complètement.
Un TGV à Paris, géré par l'entreprise publique SNCF. Le secteur du transport ferroviaire est fréquemment contrôlé ou détenu par l'État, partiellement ou complètement.
Un camion de livraison de courrier aux É-Us. Des exceptions concernent parfois les entreprises privées de courrier dans le contexte d'une économie mixte : c'est le cas pour le United States Postal Service qui dispose d'un monopole législatif sur les lettres non urgentes, qui lui est conféré part les (en) Private Express Statutes.
Un camion de livraison de courrier aux É-Us. Des exceptions concernent parfois les entreprises privées de courrier dans le contexte d'une économie mixte : c'est le cas pour le United States Postal Service qui dispose d'un monopole législatif sur les lettres non urgentes, qui lui est conféré part les (en) Private Express Statutes.
Cet hôpital fonctionne sous l'administration du National Health Service au Royaume-Uni. Dans bien des pays l'État joue un rôle important dans le domaine des prestations de santé.
Cet hôpital fonctionne sous l'administration du National Health Service au Royaume-Uni. Dans bien des pays l'État joue un rôle important dans le domaine des prestations de santé.

Le terme désigne la politique économique d'un État dans le but d'influer sur la politique du pays. C'est une doctrine issue du colbertisme, qui se rapproche du dirigisme.

Le capitalisme d'État dans son application partielle est l'ensemble des relations capitalistiques ou autres entre l'État et les entreprises privées.

Des exemples de capitalisme d'État partiel :

  • Complexe militaro-industriel américain : ensemble de relations entre l'armée américaine et les entreprises privées afin d'augmenter l'efficacité du dispositif militaire américain et développer ces firmes
  • Nationalisation d'entreprises en France après 1981 : ces nationalisations ont par la suite permis au gouvernement français d'opérer des fusions entre entreprises afin de créer des "champions nationaux"
  • La vente au "concours de beauté" des entreprises Est-Allemandes : après la réunification allemande, le gouvernement allemand a vendu 14 200 entreprises pour lesquels le choix ne s'est pas seulement opéré en choix financier, mais en choix stratégique pour l'avenir des régions ou elles était implantées.
  • La création d'Airbus Industrie en Europe : entreprise créée dans le cadre d'un partenariat public-privé par différentes nations européennes et différents investisseurs.

L'État va nationaliser, fusionner et éventuellement privatiser des sociétés afin de leurs donner la taille critique qu'il juge indispensable pour leur survie, ou les protéger de prises de contrôle étrangères par l'actionnariat.

La commande publique est la stratégie qui fut élaborée dans la mise en place du complexe militaro-industriel américain ou dans la politique industrielle de soutien aux chantiers de l'Atlantique en France. Elle consiste à faire commander par l'état sur le marché national, souvent plus cher que sur les marchés étrangers, des marchandises afin de développer cette industrie aux détriments de ses concurrents étrangers. Elle permet également la mise en dépendance du vendeur par rapport à l'état qui exerce alors une influence décisive sur le développement de l'entreprise.

[modifier] Citations

  • "Personne n'a combattu le "socialisme d'État" plus que nous les socialistes allemands, personne n'a montré plus distinctement que moi, que le "socialisme d'État" est en fait le capitalisme d'État !"
Wilhelm Liebknecht, 1896.
  • "Le socialisme et l’organisation socialiste doivent être construits par le prolétariat lui-même, ou alors il n’y aura aucune édification ; une toute autre chose surgira : le capitalisme d’État."
Nikolaï Ossinski, O stroitel’stve sotsialisma, revue Kommounist, 20 avril 1918.
  • "si nous payons un tribut plus élevé au capitalisme d'État, cela ne nous nuira en rien, mais servira au contraire à nous conduire au socialisme par le chemin le plus sûr. […] Quand la classe ouvrière aura appris […] à organiser la grande production à l'échelle de l'État, sur les bases du capitalisme d'État, elle aura alors, passez moi l'expression, tous les atouts en mains et la consolidation du socialisme sera assurée. […] Le capitalisme d'État est, au point de vue économique, infiniment supérieur à notre économie actuelle. […] Le socialisme est impossible sans la technique du grand capitalisme, conçue d'après le dernier mot de la science la plus moderne, sans une organisation d'État méthodique qui ordonne des dizaines de millions d'hommes à l'observation la plus rigoureuse d'une norme unique dans la production et la répartition des produits. […] notre devoir est de nous mettre à l'école du capitalisme d'État des Allemands, de nous appliquer de tous nos forces à l'assimiler, de ne pas ménager les procédés dictatoriaux pour l'implanter en Russie […] le raisonnement des « communistes de gauche » au sujet de la menace que ferait peser sur nous le « capitalisme d'État » n'est qu'une erreur économique […] le pouvoir soviétique confie la « direction » aux capitalistes non pas en tant que capitalistes, mais en tant que spécialistes techniciens ou organisateurs, moyennant des salaires élevés."
Lénine, dans Sur l'infantilisme "de gauche" et les idées petites-bourgeoises, le 5 mai 1918.
  • "1- La suppression du capitalisme d'État et de tout pouvoir."
1re résolution de la conférence des anarcho-syndicalistes réunie à Moscou entre le 25 août et le 1er septembre 1918.
  • "La révolution ouvrière russe ne peut pas, 'pour se conserver' s'écarter de la voie révolutionnaire internationale, en évitant continuellement le combat, en battant en retraite devant l'offensive du capital international, en faisant des concessions au capital national."
"Nos alliés dans le camp de nos adversaires", article SR de gauche, dans "La Russie socialiste".
  • "Le vrai sens de notre époque n'est pas la lutte entre le capitalisme, d'une part, et le bolchevisme, d'autre part, mais la lutte entre le capitalisme sous toutes ses formes (le «socialisme» autoritaire ou bolchevisme en est une) et le socialisme libre, antiautoritaire. Le véritable problème de notre époque n'est pas celui d'un choix entre la dictature blanche et la dictature rouge, mais celui d'un choix entre la dictature et la liberté."
Voline, tiré de « Le fascisme rouge » article parut en juillet 1934 dans le n° 2 de Ce qu'il faut dire (publié par Hem Day).
  • "Dans un capitalisme d’État qui a émergé progressivement du capitalisme monopoliste, les actionnaires apparaîtraient surtout comme consommateurs et l’État comme celui qui accumule."
Tony Cliff, "Le capitalisme d’État en Russie", 1955.
  • "L'appareil économique de la Russie présente le double caractère du capitalisme pur, et de l'esclavagisme sans masque"
Maximilien Rubel, La Croissance du capital en URSS, revue "Économie Appliquée", 1957.
  • "Il y a naturellement des différences entre le capitalisme d'entreprises privées et le capitalisme d'État. Mais elles concernent la classe dominante, et non la classe dominée, dont la position sociale reste, elle, identique dans les deux systèmes."
Paul Mattick, 1969.
  • "La présentation du régime russe comme "socialiste" - ou comme ayant un rapport quelconque avec le socialisme - est la plus grande mystification connue de l'histoire."
Cornelius Castoriadis, dans Devant la guerre, 1981.
  • "La fin du capitalisme gérontocratique d'État est cependant la fin d'une époque. À moins de penser que la transition au socialisme passe par le taylorisme, l'asservissement mental, le despotisme du Parti-État, l'exploitation, la nationalisation des moyens de production et d'échange, le salariat, le monopole du commerce extérieur, le crétinisme déterministe, le centralisme démocratique et l'électricité (catalogue non exhaustif), il faut voir que les "démocraties populaires" n'ont été que des sociétés d'exploitation et de domination. Ce qu'on appelle socialisme réellement existant, ou société de transition, n'est qu'un capitalisme d'État avec son régime de parti unique et sa vulgate marxiste-léniniste : une classe dominante bureaucratique imposant à la société une économie de commandement, sacrifiant les besoins sociaux à un industrialisme exacerbé, détruisant la nature, exploitant les travailleurs de manière sauvage pour maintenir son pouvoir et ses privilèges."
Organisation socialiste libertaire / Vaud, texte paru dans Confrontations, 1990 →[1].

[modifier] Voir aussi

[modifier] Bibliographie

  • La conception sociale-démocrate de la transition au socialisme. - Cronstadt : tentative de rupture contre l'État capitaliste en Russie. - La politique économique et sociale des bolcheviques : la continuité capitaliste. : textes parus dans la revue russe Le Communiste, n° 15/16 et 17.
  • La Crise mondiale ou Vers le capitalisme d'État, Otto Rühle, Gallimard, 1932, 254 p.
  • State Capitalism : The Wages System Under New Management, Adam Buick et John Crump, Palgrave Macmillan, 1986, ISBN : 0333367758
  • Les Luttes de classes en URSS, Charles Bettelheim, trois tomes, 1974-1982.
  • Le Capital socialiste, Bernard Chavance, 1980, 327 p.
  • L'Alternative : capitalisme d'état ou socialisme démocratique, Émile Vandervelde, L'Églantine, 1933, 264 p.
  • « Problems in the Theory of State Capitalism », Alex Dupuy, Barry Truchill, Theory and Society, vol. 8, n° 1, juillet 1979.

[modifier] Articles connexes

[modifier] Liens externes

[modifier] Notes et références

  1. Voir La théorie du Capitalisme d'État par Peter Binns
  2. Wilhelm Liebknecht, « Our Recent Congress », Justice, août 1896.




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