Bombe H

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.

Pour les articles homonymes, voir Bombe.

La bombe H (aussi appelée bombe à hydrogène, bombe à fusion ou bombe thermonucléaire) est une bombe nucléaire dont l'énergie principale provient de la fusion de noyaux légers.

Explosion de Ivy Mike, la première bombe H testée, le 1er novembre 1952
Explosion de Ivy Mike, la première bombe H testée, le 1er novembre 1952

Sommaire

[modifier] Historique

Dès 1940, le Hongro-américain Edward Teller entrevoit la possibilité d'utiliser l'énorme puissance thermique (108°C, soit cent millions de degrés Celsius) produite par l'explosion d'une bombe à fission pour déclencher le processus de fusion nucléaire. En 1941, Teller rejoint le projet Manhattan, qui a pour objectif de développer la bombe à fission.

Après des travaux préliminaires à Chicago avec Enrico Fermi, et à Berkeley avec Robert Oppenheimer, Teller se rend au Laboratoire national de Los Alamos pour travailler sur la bombe atomique sous la direction d'Oppenheimer. Mais devant les difficultés rencontrées à réaliser une bombe à fission, moins complexe, la piste de la bombe H n'est pas suivie, à la grande déception de Teller.

En 1949, après que les Soviétiques aient fait exploser leur propre bombe à fission le 29 août, les analyses des services de renseignements américains démontrent que c'est une bombe utilisant le plutonium. Le monopole des États-Unis n'existe alors plus et la nouvelle cause un choc psychologique considérable. En effet, les Américains estimaient pouvoir conserver le monopole de l'arme nucléaire pendant une dizaine d'années. Ils s'engagent alors dans une nouvelle épopée, celle de la recherche d'une bombe encore plus puissante que la bombe à fission : la bombe à fusion.

Le président des États-Unis Harry Truman demande ainsi au laboratoire de Los Alamos de développer une bombe fonctionnant grâce à la fusion des noyaux. Oppenheimer est contre cette décision, considérant qu'elle n'est qu'un autre instrument de génocide. Teller est alors mis en charge du programme. Cependant, son modèle, bien que raisonnable, ne permet pas d'atteindre le but visé.

Le mathématicien polono-américain Stanislaw Marcin Ulam, en collaboration avec C. J. Everett, réalise des calculs détaillés qui montrent que le modèle de Teller est inefficace. Ulam suggère alors une méthode qui sera retenue. En plaçant une bombe à fission à une extrémité et le matériel thermonucléaire à l'autre extrémité d'une enceinte, il est possible de diriger les ondes de choc produites par la bombe à fission. Ces ondes compressent et « allument » le combustible thermonucléaire.

Au début, Teller infirme l'idée, puis comprend tout son mérite, mais suggère l'utilisation de radiations plutôt que des ondes de choc pour comprimer le matériel thermonucléaire. La première bombe H, Ivy Mike, explose sur l'atoll de Eniwetok (près de Bikini, Océan Pacifique) le 1er novembre 1952 et ce, à la satisfaction de Teller, malgré le désaccord d'une majeure partie de la communauté scientifique.

L'« implosion par radiation » est maintenant la méthode standard pour créer les bombes à fusion. Les deux créateurs, Ulam et Teller, ont d'ailleurs breveté leur bombe H.

[modifier] Bombe H type « Teller-Ulam »

[modifier] Structure

Configuration d'une bombe à fission-fusion-fission  A : étage de la fission B : étage de la fusion  1. Lentilles d'explosifs à haute puissance 2. Uranium 238 (« tampon ») 3. Vide (« lévitation ») 4. Gas de tritium (« surcharge », en bleu) enfermé dans un coeur évidé de plutonium ou d'uranium 5. Mousse de polystyrène 6. Uranium 238 (« tampon ») 7. Deutérure de lithium 6 (combustible de la fusion) 8. Plutonium (allumage) 9. Enveloppe réfléchissante (réfléchit les rayons X vers l'étage de fusion)
Configuration d'une bombe à fission-fusion-fission

A : étage de la fission
B : étage de la fusion

1. Lentilles d'explosifs à haute puissance
2. Uranium 238 (« tampon »)
3. Vide (« lévitation »)
4. Gas de tritium (« surcharge », en bleu) enfermé dans un coeur évidé de plutonium ou d'uranium
5. Mousse de polystyrène
6. Uranium 238 (« tampon »)
7. Deutérure de lithium 6 (combustible de la fusion)
8. Plutonium (allumage)
9. Enveloppe réfléchissante (réfléchit les rayons X vers l'étage de fusion)

Une bombe à architecture Teller-Ulam est la même chose qu'une bombe à fission-fusion-fission. Une telle bombe est composée de deux parties principales :

  • La partie haute ou partie primaire : c'est la bombe à fission qui, en explosant, entraîne une très forte augmentation de la température et par la même le déclenchement de la fusion.
  • La partie basse ou partie secondaire : c'est le matériau qui va fusionner, ici du lithium, accompagné d'un cœur de plutonium et d'une enveloppe d'uranium 238. Cette partie est entourée d'une mousse en polystyrène qui permettra une montée très haute en température.
  • Enfin, il est possible d'utiliser un troisième étage, du même type que le second, pour produire une bombe à hydrogène beaucoup plus puissante. Cet étage supplémentaire est beaucoup plus volumineux (en moyenne 10 fois plus) et sa fusion est amorcée par l'énergie dégagée par la fusion du deuxième étage. On peut donc fabriquer des bombes H de très grandes puissances en ajoutant plusieurs étages.

La bombe est elle-même entourée d'une structure qui va permettre de retenir l'apport massif de rayons X produits par l'explosion de la bombe à fission. Ces ondes sont alors redirigées afin de comprimer le matériel de fusion et l'explosion totale de la bombe peut alors commencer.

[modifier] Déroulement de l'explosion

L'explosion d'une bombe H se déroule sur un intervalle de temps très court : 6x10-7s, soit 600 milliardièmes de seconde. La réaction de fission réclame 550 milliardièmes de seconde et celle de fusion 50 milliardièmes.

  1. Après l'allumage de l'explosif chimique, la bombe à fission se déclenche.
  2. L'explosion provoque l'apparition de rayons X, qui se réfléchissent sur l'enveloppe et ionisent le polystyrène qui passe à l'état de plasma.
  3. Les rayons X irradient le tampon qui compresse le combustible de fusion (6LiD) et l'amorce en plutonium qui, sous l'effet de cette compression et des neutrons, commence à fissionner.
  4. Compressé et porté à de très hautes températures, le deutérure de lithium (6LiD) démarre la réaction de fusion. On observe généralement ce type de réactions de fusion :
    H_1^2 + H_1^3\longrightarrow He_2^4 + n
    D + D → 3He + n
    D + D → T + p
    D + 3He → 4He + p
    T + T → 4He + 2n
    3He + D → 4He + p
    6Li + n → T + 4He
    7Li + n → T + 4He + n
    [n étant un neutron et p un proton.]
    Lorsque le matériel de fusion fusionne à plus de 100 millions de degrés, il libère énormément d'énergie. À température donnée, le nombre de réactions augmente en fonction du carré de la densité : ainsi, une compression mille fois plus élevée conduit à la production d'un million de fois plus de réactions.
  5. La réaction de fusion produit un large flux neutronique qui va irradier le tampon, et si celui ci est composé de matériaux fissiles (comme 238U) une réaction de fission va se produire, provoquant une nouvelle libération d'énergie, du même ordre de grandeur que la réaction de fusion.
Déroulement de l'explosion d'une bombe H  A Bombe avant explosion; étage de la fission en haut (primaire), étage de la fusion en bas (secondaire), toutes suspendues dans une mousse de polystyrène. B L'explosif haute puissance détonne dans le primaire, comprimant le plutonium en mode supercritique et démarrant une réaction de fission. C Le primaire émet des rayons X qui sont réfléchis à l'intérieur de l'enveloppe et irradient la mousse de polystyrène. D La mousse de polystyrène devient plasma, comprimant le secondaire, et le plutonium commence une fission. E Comprimé et chauffé, le deutérure de lithium 6 entame une réaction de fusion, un flux de neutrons allume la fission du tampon. Une boule de feu commence à se former...
Déroulement de l'explosion d'une bombe H

A Bombe avant explosion; étage de la fission en haut (primaire), étage de la fusion en bas (secondaire), toutes suspendues dans une mousse de polystyrène.
B L'explosif haute puissance détonne dans le primaire, comprimant le plutonium en mode supercritique et démarrant une réaction de fission.
C Le primaire émet des rayons X qui sont réfléchis à l'intérieur de l'enveloppe et irradient la mousse de polystyrène.
D La mousse de polystyrène devient plasma, comprimant le secondaire, et le plutonium commence une fission.
E Comprimé et chauffé, le deutérure de lithium 6 entame une réaction de fusion, un flux de neutrons allume la fission du tampon. Une boule de feu commence à se former...

[modifier] Les autres bombes H

Bombes russes

La structure de certaines bombes H soviétiques puis russes utilise une approche différente, en couches au lieu des composants séparés. Ce qui permit à l'URSS d'avoir les premières bombes H transportables (et donc aptes à être utilisées en bombardement). Cependant, ils utilisèrent par la suite le concept Teller-Ulam, obtenu par espionnage.

Bombes des autres pays

Les Britanniques n'eurent pas accès à la technologie américaine pour concevoir leur bombe à fusion et tâtonnèrent jusqu'en 1957 pour réussir à produire une bombe de plusieurs mégatonnes.

La République populaire de Chine (1967) et la France (1968) ont construit et testé des bombes « H » mégatonniques. À cause du secret qui entoure les armes nucléaires, la structure Teller-Ulam a été « réinventée » (en France par Carayol - voir Liens externes-1).

L'Inde prétend avoir fait de même, mais plusieurs experts, en se référant aux enregistrements sismographiques, lui dénient ce résultat.

[modifier] Bombe H dite « propre »

Les militaires parlent de bombe H « propre » lorsque moins de 50% de son énergie totale provient de la réaction de fission. En effet, la fusion seule ne produit directement aucun composé radioactif[1]. Les retombées radioactives d’une bombe H « propre » seraient donc a priori moins importantes que celles d’une bombe H classique de même puissance, alors que les autres effets restent tout aussi dévastateurs. La différence provient de la conception de l'étage de fusion. Si le tampon est en uranium, alors il fissionnera, libérant ainsi la moitié de la puissance de la bombe, mais provoquant 90% des retombées radioactives. En le remplaçant par un tampon en un autre métal lourd, mais non fissible, comme le plomb, la bombe perdra la moitié de sa puissance, mais avec des retombées bien plus faibles.

[modifier] Puissance

Une valeur « classique » de l'énergie dégagée par l'explosion d'une bombe à fission est d'environ 14 kt de TNT (soit 14 000 tonnes), une tonne de TNT développant 10⁹ calories, soit 4,184.10⁹ joules. De par leur conception, la valeur maximale ne dépasse guère 700 kt.

En comparaison, les bombes H seraient typiquement au moins 1 000 fois plus puissantes que Little Boy, la bombe à fission larguée en 1945 sur Hiroshima par les Américains. Par exemple, Ivy Mike, la première bombe à fusion américaine, a dégagé une énergie d'environ 10 400 kT (10,4 Mt). L'explosion la plus puissante de l'histoire fut celle de la Tsar Bomba soviétique qui devait servir de test à des bombes de 100 Mt : sa puissance était de 57 Mt. Ce fut une bombe de type « FFF » (fission-fusion-fission) mais « bridée » : le 3e étage étant inerte.

L'énergie maximale dégagée par une bombe à fusion peut être augmentée indéfiniment (du moins sur le papier). La Tsar Bomba dégagea 2,84x10¹⁷ joules.

[modifier] Effets

Icône de détail Article détaillé : Explosion atomique.

Les bombes thermonucléaires ont des effets semblables aux autres armes nucléaires. Cependant, elles sont généralement plus puissantes que les bombes A, donc les effets peuvent être plus importants.

Le souffle

L'explosion crée une onde de choc très importante, qui détruit les bâtiments, et provoque de multiples traumatismes chez les êtres vivants, et ce sur une grande surface. De plus, sa vitesse est impressionnante, d'à peu près 1 000 kilomètres par heure.

Effets thermiques

Une part importante de l'énergie libérée par l'explosion l'est sous forme de rayonnements. Le rayonnement thermique peut provoquer des incendies ou des brûlures importantes sur une large surface. Plus précisément, la température atteint plusieurs milliers de degrés au sol comme au lieu de l'explosion (500 mètres d'altitude environ). Jusqu'à 4 kilomètres de diamètre, les êtres vivants et bâtiments prennent feu instantanément. À 8 kilomètres de distance, ils subissent des brûlures au 3e degré.

Effets radiologiques

Dans une bombe H classique, les rayonnements ionisants (rayons gamma et neutrons) jouent un faible rôle, leur zone d'influence étant moins étendue que les autres effets. Cependant, dans le cas de la bombe à neutrons, les autres effets étant très limités (la majeure partie de la puissance étant émise sous forme de neutrons), une dose létale de neutrons est émise sur un rayon de quelques kilomètres.

Effets électromagnétiques
Icône de détail Article détaillé : Impulsion électromagnétique.

L'ionisation de l'air lors de l'explosion crée une décharge électromagnétique, qui perturbe les communications radio et peut endommager des équipements électroniques.

Effets radioactifs (les retombées)

L'effet radioactif de la bombe H est inférieur à celui des bombes A. Les principaux polluants radioactifs sont ceux générés par la fission de l'amorce et des composants annexes. Le test Castle Bravo de 15 Mt (Bikini, 1954) a toutefois suffisamment pollué une zone de 450 km de long pour déclencher une évacuation d'urgence.

En effet, la réaction de fusion libère très peu de composés radioactifs (juste du tritium non fusionné). L'amorce libère des produits de fission radioactifs, mais sa puissance est faible. Cependant, si l'enveloppe est en uranium, il se produit une seconde réaction de fission à l'issue de la réaction de fusion (bombe fission-fusion-fission) : la puissance de la bombe est doublée, mais les retombées sont multipliées d'un facteur supérieur à 10.

Effets climatiques

En plus des dommages dus au souffle et aux retombées, l'hypothèse d'effets catastrophiques sur le climat fut mise en avant par un groupe de scientifiques en 1983. Or, selon eux, si lors d'un affrontement nucléaire majeur, les États-Unis ou la Russie utilisaient, ne serait-ce que la moitié de leur arsenal militaire nucléaire, cela engendrerait le soulèvement d'une masse colossale de poussières et de fumées, celles-ci obstruant alors, essentiellement dans l'hémisphère nord, le rayonnement solaire pendant plusieurs mois (comparable ou supérieur à l'explosion du volcan la Tambora en 1815). Ceci produirait un refroidissement général appelé couramment hiver nucléaire, qui détruirait et/ou altèrerait une grande partie de la flore dans les régions du monde touchées. De plus, ces scientifiques s'accordaient aussi à dire que les rejets dus à l'explosion de ces armes pourraient endommager la couche d'ozone et ainsi supprimer la filtration des rayons ultraviolets, ce qui causerait des dégâts supplémentaires.

[modifier] Incidents impliquant des bombes H

Un accident a eu lieu à Palomares près d’Alméria en Espagne le 17 janvier 1966. Un B-52, contenant quatre bombes H, explosa après une collision en vol. Une est tombée près de la côte espagnole et une autre est tombée près de Palomares. Ces bombes ont été récupérées depuis.[2]

Un autre accident a eu lieu à Thule, Groenland le 21 janvier 1968 (Danemark) Un B-52, contenant quatre bombes H, est tombé près de Thule. Trois bombes ont été récupérées, la quatrième a été présumé repérée au fond de l'océan, mais non-récupérée.[3]

Il existe d'autres accidents sur des bombes H perdues.

[modifier] Bombes à fusion « célèbres »

  • Ivy Mike, une bombe américaine, fut la première bombe H à être testée. Elle a explosé sur l'atoll d'Eniwetok (dans les îles Marshall) le 1er novembre 1952. Elle avait une puissance de 10,4 Mt.
Le test Castle Bravo avec une puissance de 15 mégatonnes (Bikini, 1954)
Le test Castle Bravo avec une puissance de 15 mégatonnes (Bikini, 1954)
  • Castle Bravo est le nom de la bombe H la plus puissante jamais testée par les États-Unis. D'une puissance de 15 Mt, l'explosion eut lieu sur l'atoll de Bikini (dans les îles Marshall), le 1er mars 1954.
  • Gerboise Bleue, la 1e bombe H française, d'une charge d'environ 70 kilotonne, explosa le 13 février 1960 à Reganne dans le désert du Sahara

[modifier] Voir aussi

[modifier] Articles connexes

[modifier] Liens externes

  1. (fr) Souvenirs d'un pionnier de l'armement nucléaire français, Pierre Billaud

[modifier] Bibliographie

  • Richard Rhodes, Dark Sun: The Making of the Hydrogen Bomb, Touchestone/Simon & Schuster, 1996. ISBN 0-684-824140
  • Bernhard Bröcker, Atlas de la physique atomique et nucléaire, Le Livre de Poche, 1997.

[modifier] Notes

  1. Indirectement, les neutrons ionisent la matière
  2. Article
  3. (En anglais)