Allemands des Sudètes

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Les Sudètes est le nom d'une région montagneuse bordant la Bohême et la Moravie et donc situées le long des frontières du Grossdeutschland. Ces montagnes étaient, historiquement, peuplées d'une population majoritairement allemande qu'on a appelée par métonymie les Allemands des Sudètes ou les Sudètes, terme qui, par extension, a fini par désigner toutes les minorités allemandes de Bohême-Moravie, qu'elles habitent ou non les montagnes du nord-ouest du pays. La minorité allemande de Slovaquie, depuis le début du XXe siècle, est dénommée Allemands des Carpates.

Zone en noire peuplée par des populations allemandes en Bohême et en Moravie au début du XXe siècle
Zone en noire peuplée par des populations allemandes en Bohême et en Moravie au début du XXe siècle

Sommaire

[modifier] En Bohême

Durant le Moyen Âge, les rois de Bohême font appel aux Allemands pour coloniser des terres et peupler des villes, lesquels Allemands apportent leur savoir-faire. Ils sont très souvent majoritaires dans les villes, même en dehors des Sudètes proprement dites et quand ils sont minoritaires, il en forment souvent l’élite et sont les édiles des villes et ce, en raison de leur proximité linguistique et culturelle avec le pouvoir impérial de Vienne qui les favorise. Prenons l'exemple de Prague, cité par Angelo Ripellino, dans son livre Praga Magica[1] :

« Le sortilège de Prague était en partie dû à son caractère de ville ou cohabitaient trois peuples (Dreivölkerstadt): le tchèque, l'allemand et le juif. Le mélange et le contact des trois cultures donnaient à la capitale de Bohême un caractère particulier, une extraordinaire richesse de ressources et d'impulsions. À l'aube du XXe siècle, y résidaient 414 899 Tchèques (92,3 %) et 37 776 Allemands (7,5 %) parmi lesquels 25 000 personnes d'origine juive. La minorité de langue allemande possédait deux théâtres somptueux, une vaste salle de concert, l'université[2] et l'institut polytechnique, cinq lycées, quatre Oberrealschulen, deux quotidiens, une foule de cercles et d'Instituts. »

Il est permis d'imaginer les rancœurs réciproques, les Tchèques considérant les Allemands comme des colonisateurs et usurpateurs, les Allemands voyant leurs concitoyens comme des « bouseux » arriérés et mal dégrossis.

La défaite à la bataille de la Montagne Blanche (1620) qui a vu l'extermination ou l'exil forcé des élites protestantes tchèques et la confiscation de leurs terres par l'Empire qui les redistribue largement aux nobles allemands qui lui sont inféodés, a laissé, et pour longtemps, des marques indélébiles.

Pour simplifier, on peut dire qu'à la fin du XIXe siècle, à quelques notables exceptions près, la paysannerie et le prolétariat sont tchèques, la noblesse est allemande et l'industrie et la banque aux mains d'une prospère bourgeoisie juive.

[modifier] En Tchécoslovaquie

Cartes de l'Autriche-Hongrie en 1911 montrant la répartition des nationalités dans l'ancien empire et la présence majoritaire des Allemands sur le pourtour de la Bohême.
Cartes de l'Autriche-Hongrie en 1911 montrant la répartition des nationalités dans l'ancien empire et la présence majoritaire des Allemands sur le pourtour de la Bohême.

Les Allemands des Sudètes représentent, au début du XXe siècle, près de 30 % de la population totale de la Bohême.

[modifier] Période de transition 1918-1920

Le traité de Saint-Germain-en-Laye stipule, sur la base du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, qu'il est fait droit à la revendication des Tchèques et des Slovaques en vue de se doter d'un pays : la Tchécoslovaquie, qui dans les faits existe depuis octobre 1918 est reconnue. Elle intègre les territoires du royaume de Bohême (jusqu'alors dépendant de la couronne d'Autriche), de la Slovaquie et de la Ruthénie subcarpatique (jusqu'alors dépendantes de la couronne de Hongrie[3]).

Cet état de fait est dénoncé par les minorités allemandes incluses dans le nouvel État et majoritaires dans certaines régions :

  • Le Böhmerwaldgau (région des Forêts de Bohême), en Bohême du sud se déclare District (Kreis) du Land de Haute-Autriche ; administré par le Kreishauptmann (chef de district) Friedrich Wichtl (1872 - 1922) depuis le 30 octobre 1918,
  • Le Deutschböhmen (la Bohême germanique), au nord-est de la Bohême se déclare partie entière du nouvel État autrichien et est administré par un Landeshauptmann : Rafael Pacher (1857-1936), du 29 octobre au 6 novembre 1918 puis par Rudolf Ritter von Lodgman von Auen (1877 - 1962) du 6 novembre au 16 décembre 1918 (sa capitale, Reichenberg, est la dernière à être conquise par l'armée tchécoslovaque mais son gouvernement continue en exil tout d'abord à Zittau en Saxe puis à Vienne, jusqu'au 24 septembre 1919),
  • Le Sudetenland (les Sudètes proprement-dits), au nord de la Moravie et en Silésie se déclarent partie entière du nouvel État autrichien et est administré par le Landeshauptmann Robert Freissler (1877-1950) du 30 octobre au 18 décembre 1918 (date à laquelle les Tchécoslovaques occupent sa capitale, Opava),
  • Le Deutschsüdmähren (la Moravie germanique du sud) se proclame District (Kreis) du Länder de Basse-Autriche et est administré par le Kreishauptmann Oskar Teufel (1880 - 1946) du 30 octobre 1918 jusqu'en décembre de la même année quand les troupes tchécoslovaques reprennent la situation et les territoires en main.

Dans la problématique ainsi exposée, il ne faut pas oublier que les terres et territoires des Sudètes résultent d'un vol caractérisé suite a défaite à la bataille de la Montagne Blanche (1620) qui a vu l'extermination ou l'exil forcé des élites protestantes tchèques et la confiscation de leurs terres par l'Empire qui les redistribue largement aux nobles allemands.

[modifier] 1920-1938

L'opposition entre les Allemands et les Tchèques est latente tout au long des années 1920 et s'intensifie dans les années 1930, après la dissolution de deux partis irrédentistes par le gouvernement tchécoslovaque, puis la création par Konrad Henlein d'un Front patriotique des Allemands des Sudètes en 1933, forcé de changer de nom en 1935 pour devenir Parti allemand des Sudètes. Ce parti réclame, avec l'appui de l'Allemagne nazie, le rattachement au Troisième Reich et amplifie graduellement ses exigences. La crise éclate suite à l'Anschluss de l'Autriche et du Reich en 1938.

Il convient toutefois de préciser que pendant la période 1920-1938 il y avait d'autres partis politiques allemands en Tchécoslovaquie, dont des sociaux-démocrates, des sociaux-chrétiens et des agrariens, et que de nombreux Allemands soutenaient le Parti communiste tchécoslovaque. Ces partis étaient largement majoritaires dans l'électorat allemand jusqu'en 1935.

Les gouvernements de coalition tchécoslovaques de 1926 à 1938 étaient appuyés par des partis allemands modérés, dont certains élus y participèrent en tant que ministres, notamment l'agrarien Franz Spina (Bund der Landwirte), à diverses reprises entre 1926 et 1938, le social-démocrate Ludwig Czech (Deutsche sozialdemokratische Arbeiterpartei in der Tschechoslowakischen Republik), de 1929 à 1938, et le social-chrétien Erwin Zajicek (Deutsche Christlich-Soziale Volkspartei) de 1936 à 1938[4].

résultats des partis allemands et de la liste magyaro-allemande * aux élections législatives [5],[6]

Parti Sièges en 1920 Sièges en 1925 Sièges en 1929 Sièges en 1935 Voix en 1935
Parti allemand des Sudètes - - - 44 1.256.010
Deutsche Nationalpartei - 10 7 (dissous en 1933) -
Deutsche Nationalsozialistische Arbeiterpartei 15 17 8 (dissous en 1933) -
Parti social-démocrate allemand 31 17 21 11 300.406
Parti social-chrétien allemand 7 13 14 6 163.666
Parti agrarien allemand 11 24 - 5 142.775
Liste magyaro-allemande ** 9 4 9 9 292.847
« Partis allemands réunis » 6 - 16 - -
Total 79 85 75 75
  • Il faut noter qu'il y avait également des électeurs et des élus allemands dans d'autres partis, non spécifiquement allemands, comme le Parti communiste tchécoslovaque (848.822 voix et 30 députés).
  • composée de: Deutsch-demokratische Freiheitspartei, Deutsche Gewerbepartei, Deutschnationale Partei, Sudetendeutsche Landbund, Deutsche Arbeiterpartei, Zipser deutsche Partei, Parti Chrétien-social hongrois et Parti national hongrois[7]

De nombreux Allemands des Sudètes, sociaux-démocrates, communistes, juifs ou simplement antinazis, seront déportés après l'annexion par le troisième Reich, d'autres fuiront dans les autres parties de l'ex-Tchécoslovaquie, et participeront à la résistance tchèque et slovaque contre le nazisme. Par ailleurs, parmi les Allemands de Tchécoslovaquie, « des Sudètes » comme « des Carpates » (ces deux catégories ne recoupent pas la totalité des Allemands de Tchécoslovaquie), il y a aussi bien des catholiques et des protestants que des juifs.

[modifier] La crise des Sudètes et l'annexion de la Bohême

Le 29 et 30 septembre 1938, Hitler, poursuivant ses objectifs pangermanistes et se faisant alors le champion du principe des nationalités, déclare vouloir « libérer les Allemands des Sudètes » de l'« oppression » tchécoslovaque. Hitler affirme ses revendications en s'appuyant sur les agitations de l'organisation nazie locale, menée par Konrad Henlein. Le Führer évoque le « droit des nations » pour exiger de Prague l'annexion au Reich des Sudètes. Il annonce aux Français et aux Britanniques qu'une fois ce dernier problème territorial résolu, l'Allemagne se contentera de ces nouvelles frontières en Europe. L'Europe connaîtra ensuite la paix pour mille ans.

Pour Prague, il n'est pas question de laisser tomber le seul secteur défendable d'une zone frontalière stratégique abritant de plus la principale région industrielle du pays, avec notamment les usines d'armement Škoda qui à l'époque étaient parmi les plus grandes et les plus modernes.

Bien qu'alliée à la France et à l'Union soviétique, la Tchécoslovaquie ne peut compter sur leur soutien. Paris, veut absolument éviter le conflit militaire, incitée en cela par le refus britannique de participer à une éventuelle intervention. Le souvenir de la Première Guerre mondiale influence également cette attitude : si les Allemands ont développé un désir de revanche, les Français entretiennent en revanche une ambiance générale résolument pacifiste. Hitler exige alors que les Tchèques habitant les Sudètes évacuent la région en y laissant leurs biens. La guerre paraît imminente…

Le 29 septembre 1938, réunis dans la capitale bavaroise, Adolf Hitler, le président du Conseil français Édouard Daladier, le Premier ministre britannique Neville Chamberlain et le duce italien Benito Mussolini, signent les accords de Munich. La France et le Royaume Uni acceptent que l'Allemagne annexe les Sudètes, pour éviter la guerre. En échange, Hitler, manipulateur, a assuré que les revendications territoriales du Troisième Reich cesseraient. Le lendemain, la Tchécoslovaquie, qui avait commencé à mobiliser ses troupes, est obligée de s'incliner. Parallèlement, le Troisième Reich autorise la Pologne et la Hongrie à s'emparer respectivement de la ville de Český Těšín et du sud de la Slovaquie. Alors que les opinions publiques françaises et britanniques sont enthousiastes, Winston Churchill commente :

« Entre le déshonneur et la guerre, vous avez choisi le déshonneur. Et vous allez avoir la guerre. »

De fait, quelques mois plus tard, Hitler rompt sa promesse.

En mars 1939, Hitler, lors d'une entrevue à Berlin avec le président tchécoslovaque Emil Hácha (remplaçant le président démissionnaire Edvard Beneš), menace de bombarder Prague si la Bohême et la Moravie ne sont pas incorporées au Reich. Le 15 mars, Hácha cède, et l'armée allemande entre à Prague le lendemain. La Bohême et la Moravie deviennent un protectorat du Reich, dirigé par Konstantin von Neurath à partir de novembre 1939. La Slovaquie proclame son indépendance sous la houlette de Mgr Jozef Tiso sans toutefois quitter l'orbite allemande. En mettant la main sur la Bohême-Moravie, le Reich dispose par la même occasion d'une importante industrie sidérurgique et notamment des usines Škoda, qui permettront de construire des chars d'assaut.

[modifier] L'expulsion des Sudètes en 1945

Expulsion des Sudètes
Expulsion des Sudètes

En 1945, la République tchécoslovaque est rétablie dans ses frontières initiales (les Sudètes sont réintégrées) à l'exception de la Ruthénie subcarpatique (annexée en 1938 par la Hongrie) qui est absorbée par l'Union soviétique.

Le président Edvard Beneš émet les décrets Beneš qui, en application de la conférence de Potsdam, expulsent du territoire tchécoslovaque les minorités allemandes et hongroises et confisquent leurs biens - en échange de quoi, l'État tchèque ne réclame pas de dommages de guerre à l'Allemagne vaincue[8].

La loi tchécoslovaque (comme celle de l'Autriche-Hongrie avant elle et de la Tchéquie après) reconnait la citoyenneté (par définition tchécoslovaque) et la nationalité : tchèque, slovaque, polonaise, hongroise, allemande, rom, etc. dont la mention est obligatoire sur les papiers d'identité. Il est alors aisé de déterminer lesquels des citoyens sont destinés à l'exil sur la base de leur nationalité.

Ce sont les municipalités (národní výbor) qui dans les faits sont chargées d'identifier les citoyens tchécoslovaques de nationalité allemande qui sont réunis dans des camps puis conduits par convois ferroviaires vers l'Allemagne. L'expulsion des Sudètes vers l'Allemagne, dans les faits, s'étalera sur trois ans, de 1945 à 1947.

[modifier] Voir aussi

[modifier] Notes

  1. Angelo Ripellino, Praga Magica, Plon, coll. Terre Humaine, Paris, 1993 (ISBN 2-266-06687-0)
  2. Pour être exact, les Tchèques obtiennent en 1882 la scission de l'Université Charles en deux entités dont l'une enseigne en tchèque.
  3. Notons, bien que ce fait soit beaucoup moins connu, que la situation des minorités hongroises en Slovaquie est l'exact pendant de celles des Allemands en Bohême ; ils se verront réintégrées à leur pays « natal » au même moment : l'amiral Horthy faisant main-basse sur les territoires en 1938 suite aux accords de Munich.
  4. Czechs and Germans in a Democratic Czechoslovakia, 1918-1938, in: Facing history — The evolution of Czech-German relations in the Czech provinces, 1848–1948
  5. « Prager Tagblatt », Nr. 116 du 18 Mai 1935, Tschechoslowakische Parlamentswahl vom 19. 5. 1935
  6. Alena Mípiková und Dieter Segert, Republik unter Druck
  7. « Prager Tagblatt », Nr. 116 du 18 Mai 1935, Tschechoslowakische Parlamentswahl vom 19. 5. 1935
  8. Ceci aura une incidence après la chute du régime communiste, le nouvel État démocratique décidant de restituer les biens confisqués en 1948 par les seuls communistes, considérant que (légaux ou non) les décrets Beneš ont été le fait d'un gouvernement démocratiquement élu et qu'il n'est pas nécessaire de les « réviser ». Cette décision sera contestée par les Allemands originaires des Sudètes, forts actifs politiquement en Bavière notamment mais ne sera pas rouverte par l'Allemagne réunifiée.