Affaire de l'annulation d'un mariage pour erreur sur la virginité de l'épouse

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Un mariage à la mairie du 10e arrondissement de Paris, en septembre 2007
Un mariage à la mairie du 10e arrondissement de Paris, en septembre 2007

Fin mai 2008, une polémique est née de l'annulation en France d'un mariage pour erreur sur les qualités essentielles du conjoint[1], la femme n'étant pas vierge alors que, selon le tribunal, elle savait que cette condition avait un caractère déterminant dans la motivation et le consentement de l'homme qu'elle épousait.

Sommaire

[modifier] Faits judiciaires

Le 8 juillet 2006, des jeunes gens se marient à Mons-en-Baroeul[2]. Le mari est français[3], né en 1976 au Maroc, ingénieur consultant. L'épouse d'origine marocaine, est née en 1983 dans le nord de la France et poursuit des études d'infirmière. Tous deux sont musulmans, et se sont rencontrés à l'occasion d'une noce.

Vers quatre heures du matin, après que les époux se sont retirés dans la chambre nuptiale, le marié, très en colère, retourne auprès des invités et les informe de la non-virginité de son épouse.

Le 26 juillet 2006, le conjoint dépose une demande d'annulation de mariage au tribunal de grande instance de Lille. Il argue du fait que son épouse lui a été présentée comme chaste avant le mariage. Il s'agit d'une procédure en nullité du mariage pour « erreur sur les qualités essentielles du conjoint [...] déterminante de son consentement » fondée sur l'article 180 alinéa 2 du Code civil[4] concernant les « erreurs sur la personnalité du conjoint ». L'épouse donne son approbation à la procédure de nullité, tandis que le Ministère public « déclare s'en rapporter à justice ». Le 1er avril 2008, le tribunal de grande instance de Lille prononce l'annulation de ce mariage sur le fondement de l'article 180 du Code civil[5], l'acquiescement de la femme à la demande permettant de déduire qu'elle avait perçu que sa virginité constituait pour son époux une qualité essentielle déterminante du consentement au mariage projeté.

Bien qu'ayant initialement approuvé la décision du tribunal, la ministre de la Justice, Rachida Dati, demande le 2 juin au parquet de faire appel du jugement, appel qui sera déposé le 3 juin[6]. (Cet appel demeure recevable, le délai d'un mois dont dispose le Ministère public pour le déposer devant être calculé à partir de la notification qui lui est faite du jugement)[7]. Le jugement ayant été pourvu de l'exécution provisoire, le Parquet a également assigné les parties (y compris l'officier d'état civil de Mons-en-Baroeul[8]) pour demander sa levée, avec notamment pour objectif de prévenir l'imbroglio juridique qui résulterait du remariage d'un des intéressés avant le jugement d'appel[9]. L'audience sur ce point a eu lieu le 12 juin et la décision est attendue pour le 19 juin.[10]

[modifier] Points de vue des ex-époux

La version des faits donnée par l'époux est d'abord connue par le résumé de son mémoire dressé par le Tribunal[5] : sa future épouse lui avait été « présentée comme célibataire et chaste » et ce n'est que « lors de la nuit des noces » qu'elle lui a « avoué une liaison antérieure ». Du fait de ce mensonge, la confiance nécessaire à une relation conjugale lui paraît faire défaut, justifiant l'annulation de l'union.

Une fois l'affaire médiatisée, l'avocat de l'époux, Xavier Labbée, s'est exprimé pour préciser la position de son client[11]. Il a notamment exposé que l'épouse avait vécu une « longue liaison antérieure » jamais évoquée avant le mariage, et a souligné de nouveau que c'était surtout à cause de cette dissimulation que son client avait souhaité être délié des liens matrimoniaux -même si la non-virginité a aussi joué son rôle.

Xavier Labbée souligne par ailleurs que la religion n'a rien eu à voir avec la décision de la justice, et que certains commentaires l'ayant mise en exergue sans subtilité sont « scandaleux » (son assignation ferait cependant état d'une « communauté où une tradition veut que son épouse demeure vierge jusqu'à son mariage »[2]); il explique par ailleurs qu'une annulation a sur un divorce l'intérêt d'aider l'ex-épouse à « se reconstruire ».

L'avocat de la femme, Charles-Édouard Mauger, a à son tour précisé la version des faits et la position de sa cliente[12]. Les futurs époux avaient fait connaissance deux ans avant le mariage, durée pendant laquelle la future épouse n'a pas eu « la force » d'expliquer à son fiancé qu'elle n'était plus vierge ; elle aurait même envisagé une opération pour faire reconstituer son hymen. Lors de la nuit de noces, son époux, très courroucé, aurait « annoncé la nouvelle aux invités » à quatre heures du matin avant de la reconduire chez ses parents « dans la foulée ». Maître Mauger tient à souligner qu'il a trouvé en sa cliente une femme en grande souffrance. Il éclaire ensuite sa décision d'acquiescer à l'annulation : ce n'est pour lui pas une « soumission » mais une stratégie permettant de « sortir techniquement » d'une procédure qui risquait d'être longue, mais dans laquelle il était convaincu que sa cliente aurait pu obtenir raison de la justice si elle avait choisi de s'opposer à la demande de son mari. La décision du tribunal, en fin de compte, la satisfait entièrement puisqu'elle « lui a permis de re­trouver sa liberté ».

Après que la garde des Sceaux a fait savoir son intention de faire interjeter appel, maître Mauger déclare que sa cliente se sent « très, très mal » depuis qu'elle a appris la décision d'appel, alors que l'annulation de son mariage lui avait apporté « du soulagement ». Selon lui, sa cliente n'est « pas d'accord » avec l'appel et lui a dit : « J'ai ma vie à reconstruire. Je n'ai pas à être victime du système politique (...). Je comprends la polémique mais elle absorbe ma vie ». L'avocat a ajouté que dès que sa cliente avait compris « qu'elle était embarquée dans une aventure qui pouvait durer de nombreuses années, elle m'a mandaté pour signifier au tribunal son désir d'acquiescement au principe de demande en nullité. » Ce « n'était pas un acte de soumission mais de libération ». Il estime qu'une « infirmation totale du jugement serait pour [s]a cliente un désastre. Une confirmation serait un soulagement mais avec beaucoup d'angoisse inutile ».[13]

L'ex-mariée a également vivement critiqué la manière dont cette affaire a été traitée ; elle s'indigne également de ne pas avoir été consultée pour la décision d'appel :

« Entendre tout le monde parler de moi est très difficile, déclare-t-elle. Je ne suis pas le leader d'un mouvement, je ne revendique rien. Depuis le début je subis tout dans cette histoire. [...] Que l'on puisse faire appel du jugement alors que je n'ai rien demandé me révolte. Je voudrais juste pouvoir vivre ma vie normalement. »[14]

[modifier] Réactions et interprétations

L'affaire a d'abord été mentionnée le 10 mai dans la presse régionale [15][16]. Y voyant un cas d'école, l'avocat de l'homme, Xavier Labbée, mentionna l'affaire à son frère[17] Pascal[18], avocat et rédacteur de la revue juridique Recueil Dalloz ; celui-ci publia une note concernant cette affaire dans l'édition du 22 mai[19] . Le 29 mai 2008, l'affaire est reprise par le quotidien généraliste national Libération, dans un article intitulé « L’épouse a menti sur sa virginité, le mariage est annulé »[20]

[modifier] La classe politique

Dès le 30 mai 2008 la classe politique condamne presque unanimement la décision du tribunal.

À l'UMP, Frédéric Lefebvre, porte-parole du mouvement, demande à la chancellerie de déposer un recours dans l'intérêt de la loi, tandis que le député Jacques Myard fustige une décision qui « avalise un intégrisme archaïque »[21].

Au PS, Laurence Rossignol, secrétaire nationale chargée des droits des femmes et de la parité, critique en termes très durs une décision qui « porte atteinte au principe constitutionnel d’égalité entre les hommes et les femmes » et « bafoue les principes de laïcité en soumettant les lois de la République au droit coutumier », allant jusqu'à faire le rapprochement entre cette décision de justice et l'obsession de la virginité du tueur en série Michel Fourniret[22].

Un communiqué de la LCR dénonce un jugement qui a « cautionné l’assimilation de cette femme (et plus largement des femmes) à une marchandise avariée » tout en mettant en garde contre ceux qui voudraient par ce biais « relancer une campagne de stigmatisation des personnes musulmanes »[23].

Pour le PCF, Marie-George Buffet s'indigne spécifiquement de la position prise par la garde des Sceaux. Soulignant que « le corps ne peut être considéré comme une marchandise » et évoquant une « logique communautariste », elle invite Rachida Dati à reconsidérer sa position et à proposer un appel du jugement[24].

Un communiqué des Verts estime que le jugement « porte atteinte aux libertés fondamentales des femmes, à leur dignité et à leur intégrité » et qu'il « renforce ce symbole de domination patriarcale qu’est la valorisation de la virginité de la femme ». Ils réclament qu'un recours dans l'intérêt de la loi soit entrepris contre cette décision[25].

Au Nouveau Centre, Damien Abad, président des Jeunes Centristes se déclare « outré » par le jugement qui est « tout simplement scandaleux », parce qu'il contrevient au principe d'égalité entre hommes et femmes, et parce qu'on ne peut prouver une virginité. Il se réjouit de l'appel interjeté et souhaite la modification de la loi[26].

Pour le Front national, Marine Le Pen, qui intitule son communiqué «  La justice française à l’heure de la charia ? » s'indigne d'une décision « consternante et scandaleuse » qu'elle rattache à « l’influence des revendications communautaristes », et dénonce conjointement « la compromission d’une gauche multiculturaliste qui semble aujourd’hui découvrir avec effroi les effets dévastateurs de l’immigration de masse »[27].

Le mardi 3 juin, la question est évoquée dans une vive tension à la séance des questions d'actualité de l'Assemblée Nationale [28]

Le vendredi 6 juin, les réactions s'internationalisent puisque ce sont 150 députés européens, représentant l'ensemble du spectre politique, qui adressent à Rachida Dati une pétition dirigée contre un jugement qui constitue un « précédent dangereux qui ne peut que conforter certains fondamentalistes dans leur combat archaïque »[9].

[modifier] Le gouvernement

Au sein du gouvernement, Valérie Létard, secrétaire d'Etat au droit des femmes, se déclare immédiatement « consternée » par cette « atteinte à l'intégrité des femmes »[29] tandis que Fadela Amara, secrétaire d'État à la politique de la ville, évoque une « fatwa contre l'émancipation des femmes »[30]. Deux ministres se distinguent toutefois par une position à contrepied de celle de l'ensemble de la classe politique : Christine Boutin sur RTL défend le jugement en conjecturant que cette procédure ait peut-être permis à la mariée « d'exercer sa liberté » jusque-là bridée par les « contraintes familiales, sociales, culturelles et peut-être religieuses de son milieu » ; pour elle, ce qui est important ici n'est pas le débat juridique mais « la difficulté que nous avons à pacifier nos relations avec l'Islam »[31]. Mais on remarque surtout l'avis de la garde des Sceaux, Rachida Dati, qui exprime sa compréhension envers la décision de justice en laquelle elle voit « aussi un moyen de protéger (...) cette jeune fille »[30] ; son porte-parole, Guillaume Didier déclarant le 29 avril : « Le tribunal ne s'est pas fondé sur la virginité ou la non-virginité. Il a simplement soulevé que l'un des deux époux avait menti sur un aspect essentiel au yeux des deux époux »[32].

Rachida Dati va pourtant demander quelques jours plus tard d'interjeter appel de la décision de la juge, suite semble-t-il à un arbitrage de l'Élysée[33].

[modifier] Les autorités religieuses

Pour le vice-président du conseil régional du culte musulman du Nord-Pas-de-Calais, Abdelkader Assouedj, « l'islam n'exige pas que l'épouse soit vierge » mais « demande que le mariage ne soit pas basé sur le mensonge »[34][35].

[modifier] Société civile et « blogosphère »

Dès le 29 avril, dans un communiqué de l'association Ni putes ni soumises la présidente de l'association, Sihem Habchi, dénonce une « « fatwa » contre la liberté des femmes »[36].

Face à l'unanime condamnation de la classe politique et des éditorialistes des grands quotidiens, le site web de maître Eolas est un des lieux les plus notables[37] où est défendu le jugement de Lille ; il est parmi les premiers à mettre en ligne une copie du jugement.

[modifier] La presse écrite

Comme la classe politique, la presse nationale à grand tirage fustige unanimement le jugement.

Dans Libération, Laurent Joffrin centre son éditorial sur la thématique de l'articulation entre République et religion (« est-ce à la religion de s’adapter à la République, ou bien l’inverse ? »), en dénonçant les « obscurantistes de toutes obédiences », sans nulle part particulariser son discours aux spécificités de la religion musulmane[38].

Laurent Greilsamer, dans Le Monde après avoir ironisé sur les pudeurs de certains confrères, s'étonne de ce que la justice ait, elle aussi, été insensible au contexte culturel et religieux, ayant « exclu soigneusement toute dimension religieuse ou communautaire du dossier pour s'en tenir au "mensonge" » pour conclure que « Le temps, que l'on croyait passé, dépassé, du contrôle de l'hymen sous l'autorité ecclésiastique n'est plus très loin »[39].

Pour Alain-Gérard Slama dans Le Figaro, cette affaire judiciaire témoigne de l'envahissement de la raison juridique par les intérêts particuliers, voire l'obscurantisme ; il y voit le symptôme ponctuel d'un long processus qui « ronge » la société : « l'ébranlement de l'universalisme républicain »[40].

Louis-Marie Horeau estime pour Le Canard enchaîné que « les juges de Lille ont inventé la justice à géométrie religieuse variable »[41].

[modifier] Opinions d'intellectuels

Interrogée à chaud pour France-Inter le 29 mai 2008, la philosophe Elisabeth Badinter déclare avoir « honte » de ce jugement et être « ulcérée » par la décision du tribunal : soulignant que « la sexualité des femmes est une affaire privée et libre », elle redoute que ce genre de décisions ait pour conséquence de « faire courir nombre de jeunes filles musulmanes dans les hôpitaux pour se faire refaire l'hymen »[42].

La féministe Caroline Fourest estime qu'il y a bien de quoi « être révolté » : au motif que « notre conception juridique du mariage doit être en phase avec son temps », elle souligne que le mariage doit être « dépoussiéré », proposant une révision générale des motifs d'annulation de mariage[43].

Dans Marianne, la philosophe Catherine Kintzler, sous la forme ironique d'un dialogue entre une juriste « moderne » et une femme émue par le jugement donc « archaïque », organise sa réflexion autour de la domination contemporaine de la pensée libérale, qui conduit à la contractualisation des rapports juridiques, voire à la chosification des personnes ; elle met en relief l'irénisme des juristes qui, au nom de la liberté individuelle, ferment les yeux sur la réalité des rapports sociaux et sur les pressions qui peuvent être exercées sur les individus[44].

La philosophe Chantal Delsol, dans sa tribune publiée dans Le Figaro, centre son analyse de l'événement sur cette « intimidation si présente qui nous fait reculer devant les exigences des communautés musulmanes », estimant que ce jugement pose aussi la « question de l'identité française ». Tout en soulignant qu'elle n'est pas forcément défavorable à une évolution de la société vers un certain communautarisme, elle estime inacceptable que dans une République définie par « une identité commune et laïque », la justice puisse céder « dès qu'un groupe devient assez menaçant pour l'intimider »[45].

[modifier] L'opinion publique

Selon un sondage OpinionWay publié par Le Figaro[46], 73 % des personnes interrogées se déclarent « choquées » par cette décision de justice (contre 27 % non choquées). Le 7 juin 2008, plusieurs manifestations ont eu lieu dans les grandes villes de France avec comme slogans « pour le droit de femmes », « non aux violences faites aux femmes »[réf. souhaitée].

[modifier] Éléments de contexte

[modifier] L'annulation de mariage en France

En 2004, la Justice française a annulé 737 mariages, soit 60,9 % des 1 210 requêtes d'annulation : dans 59,5% des cas, il s'agit d'annulations pour mariage blanc demandées par le Procureur de la République ; dans 18,8% des cas, il s'agit d'annulation pour bigamie. L'« erreur sur les qualités essentielles du conjoint » représente 8 % des annulations.
La même année 2004, il y a eu 130 000 divorces prononcés et 272 000 mariages[47]. Il s'agit généralement de la découverte après le mariage que le conjoint est divorcé, qu'il a menti sur sa nationalité, qu'il fait l'objet d'une mesure de curatelle ou qu'il n'est pas apte à avoir des relations sexuelles normales[48][49].

Ce cas est qualifié par certains journaux de première en France[50], la chancellerie ayant affirmé n'avoir « pas le souvenir » d'une annulation pour mensonge sur la virginité, cependant les cas d'annulation de mariage pour mensonge sur une des « qualités » d'un des époux ne sont pas rares[51].

À l'inverse, le Tribunal de grande instance du Mans, avait refusé l'annulation d'un mariage le 18 mars 1965, en indiquant :[52]« Attendu que si le dol ne constitue pas une cause de nullité de mariage, la jurisprudence récente étend la notion d'erreur sur la personne ; que toutefois l'erreur sur la fortune, l'intelligence, le caractère, la race, la religion, la virginité ou la grossesse de la femme, la santé de l'époux, ne paraît pas devoir être retenue comme cause de nullité. »

La différence des deux jugements provient du fait que l'article 180 du code civil permettait en 1965 l'annulation uniquement en cas d'erreur sur la personne ; il a été en 1975 modifié pour autoriser l'annulation en cas d'erreur sur la personne ou sur ses qualités essentielles[53].

[modifier] Virginité et hymen

L'invocation de la virginité comme critère a été dénoncée comme introduisant une inégalité homme-femme, par exemple par Valérie Létard, secrétaire d’État chargée du Droit des femmes. Il est pourtant bien connu que, médicalement parlant, l'absence d'hymen ne peut pas constituer une preuve de non-virginité, puisque celui-ci peut-être déchiré pour diverses raisons qui n'ont rien à voir avec l'acte sexuel, comme la pratique régulière de l'équitation.

Il y a débat parmi les gynécologues pour savoir s'il faut accepter les demandes de restauration d'hymen pour de tels motifs, et Émile Daraï, secrétaire général du Collège des Gynécologues, a exprimé sa « crainte » d'une recrudescence des demandes à la suite de cette affaire[54].

[modifier] Analyses juridiques

[modifier] La virginité peut-elle être une « qualité essentielle » ?

Le mariage n'étant pas régi par les règles du contrat civil de droit commun, on pourrait concevoir que les « qualités essentielles » auxquelles se réfère l'article 180 du Code Civil doivent être définies de façon absolue, indépendamment des préférences particulières de tel ou tel justiciable : l'annulation d'une union sur le fondement de l'article 180 ne serait possible que lorsqu'une condition essentielle à tout mariage ne serait pas remplie[55].

Cette interprétation n'est pas celle de la jurisprudence, bien stabilisée, qui retient une conception subjective de l'erreur comme dans le droit commun des contrats. Ainsi, en 1997, la Cour de cassation a-t-elle validé l'annulation d'un mariage au motif que la qualité de « non-divorcé » faisait défaut à l'époux, dès lors qu'il était établi que sa femme aurait refusé de l'épouser si elle avait été informée de ce divorce, tenant à conclure un mariage religieux[56] [57]. S'alignant pour une bonne part sur les règles de nullité des conventions posées à l'article 1110 du Code Civil[58], le juge a ainsi à vérifier s'il y a eu une erreur sur la substance de l'objet du contrat qui a été déterminante du consentement, c'est-à-dire sans laquelle une partie aurait refusé de contracter.

Pour Hugues Fulchiron, professeur à l'Université de Lyon, on doit tout de même prendre garde aux limites de cette analogie. L'article 1110 du Code Civil se réfère à la « chose » qui est l'objet du contrat, terme qu'il conteste pour qualifier le mariage, au sujet duquel il soutient que la liberté contractuelle des époux au moment de la formation du contrat doit être limitée au profit de l'institution. Pour cet auteur, le mariage n'est pas la chose des parties ; des qualités essentielles précises doivent être retenues ou écartées, et la virginité de l'épouse ne devrait pas pouvoir faire partie de ces qualités. Il critique donc le jugement du tribunal de Lille. En sens opposé, il est peut-être (mais pas certainement) possible de justifier l'invocation de l'article 180 en plaidant non le défaut de virginité, mais l'absence de sincérité -et c'est d'ailleurs aussi ainsi qu'a plaidé le requérant et qu'a implicitement jugé le tribunal de Lille[58].

[modifier] Discrimination des sexes

De nombreux commentateurs médiatiques ou politiques ont fermement condamné le jugement au motif qu'il ferait fi du principe constitutionnel d'égalité, en opérant une discrimination entre les hommes et les femmes, notamment parce que la preuve de non-virginité ne peut être rapportée, au mieux, qu'à l'égard d'une femme[59]. Aline Cheynet de Beaupré, maître de conférences à l'Université d'Orléans ne pense pas que ces critiques soient complètement fondées en droit. Pour elle, d'une part une telle jurisprudence n'entame en rien le droit des femmes à disposer de leur corps ; par ailleurs la prétendue différence entre hommes et femmes n'est pas totale, la preuve par aveu (comme dans cette affaire) étant ouverte aux deux sexes. Enfin l'annulation pour impuissance est acceptée par la justice sans qu'on y ait jamais vu une discrimination, bien que l'impuissance ne puisse concerner que des hommes[57].

[modifier] Notes et références

  1. Expression reprenant les termes de l'article 180 alinéa 2 du Code civil
  2. ab (fr) Isabelle Monnin, « Une justice communautariste ? Scandale pour un hymen » sur nouvelobs.com, Le Nouvel Observateur, n°2274, 5 juin 2008. Consulté le 6 juin 2008
  3. (fr) Anne Chemin et Stéphanie Le Bars, « Débat après l'annulation d'un mariage entre musulmans » sur lemonde.fr, 30 mai 2008, Le Monde. Consulté le 2 juin 2008. « Célébré le 8 juillet 2006, le mariage unissait un ingénieur français converti à l'islam et une étudiante française de confession musulmane. »
  4. «  S'il y a eu erreur dans la personne, ou sur des qualités essentielles de la personne, l'autre époux peut demander la nullité du mariage.  » 
    Article 180, alinéa 2 du Code civil

  5. ab (fr) Jugement du tribunal de grande instance de Lille, 1 avril 2008, n° 07-08458, recueil Dalloz 2008, p. 1389 sur http://www.prochoix.org, ProChoix. Mis en ligne le 2008, consulté le 5 juin 2008
  6. LeMonde.fr avec AFP, « Mariage annulé : le parquet général va faire appel » sur http://www.lemonde.fr/, 2 juin 2008, Le Monde. Consulté le 3 juin 2008
  7. NOUVELOBS.COM, « Mariage annulé pour "non virginité" : le parquet va faire appel du jugement » sur http://tempsreel.nouvelobs.com, 2 juin 2008, Le Nouvel Observateur. Consulté le 3 juin 2008
  8. Frédérick Lecluyse, « Mariage annulé : les époux déjà remariés à l'état civil ! », 6 juin 2008, La Voix du Nord. Consulté le 6 juin 2008
  9. ab S.L. (avec AFP), « Les eurodéputés s'élèvent contre le mariage annulé », 6 juin 2008, Le Figaro. Consulté le 6 juin 2008
  10. Mariage annulé : décision de la cour d'appel le 19 juin, 12 juin 2008, Nord Éclait. Consulté le 12 juin 2008
  11. Le Post
  12. (fr) Agnès Leclair, « Mariage annulé : l'épouse a cédé aux pressions » sur lefigaro.fr, 2 juin 2008, Le Figaro. Consulté le 5 juin 2008
  13. Dépêche AFP, « Mariage annulé, le parquet de Lille fait appel » sur http://www.la-croix.com/, 4 juin 2008, La Croix. Consulté le 4 juin 2008
  14. Libération
  15. Me Labbée, « Me Labbée défend une demande d’annulation de mariage » sur www.nordeclair.fr, 10 mai 2008, Nord éclair. Consulté le 9 juin 2008
  16. Didier Specq, « Les époux sont remariés ! » sur www.nordeclair.fr, 5 juin 2008, Nord éclair. Consulté le 8 juin 2008
  17. L'auteur de la note a le même nom de famille que l'avocat, et tous deux sont avocats au barreau de Lille ; ce lien de parenté est affirmé par l'article d'Isabelle Monnin qui s'étonne qu'il ne soit pas mentionné dans la note, et semble confirmé TGI Lille, 4 mai 1999, recueil Dalloz 1999 p. 596. Alors que le fac-similé du jugement, disponible sur le web, mentionne le nom des deux avocats de l'épouse et de l'avocat de l'époux, seuls les deux premiers figurent sous le texte du jugement publié au recueil Dalloz, Xavier Labbée n'étant mentionné que dans la bibliographie de la note.
  18. Scandale pour un hymen
  19. Pascal Labbée, « La mariée n'était pas vierge », recueil Dalloz 2008, p. 1389 : exprime l'avis que la preuve des faits est difficile mais qu'en l'espèce, grâce à l'aveu, l'annulation suivait nécessairement ; conclut sur l'utilité du juge dans des litiges liés au respect des traditions, qui pourraient entraîner des violences.
  20. (fr) Charlotte Rotman, « L’épouse a menti sur sa virginité, le mariage est annulé » sur liberation.fr, 29 mai 2008, Libération. Consulté le 2 juin 2008
  21. (fr) AFP, « Mariage annulé faute de virginité: l'UMP demande à la chancellerie d'agir », 30 mai 2008. Consulté le 3 juin 2008. « L'un des porte-parole de l'UMP Frédéric Lefèbvre a souhaité vendredi dans un communiqué que la chancellerie "déclenche un recours dans l'intérêt de la loi pour dire le droit" »
  22. (fr) Laurence Rossignol, « Atteinte au principe constitutionnel d’égalité entre les hommes et les femmes » sur parti-socialiste.fr, 29 mai 2008, PS. Consulté le 3 juin 2008
  23. (fr) Un jugement contre le droit des femmes sur www.lcr-rouge.org, LCR. Consulté le 5 juin 2008
  24. (fr) Marie-George Buffet, « Annulation du mariage / virginité : Marie-George Buffet appelle Rachida Dati à se ressaisir » sur www.pcf.fr, 29 mai 2008, PCF. Consulté le 5 juin 2008
  25. (fr) Une annulation de mariage discriminatoire envers les femmes sur lesverts.fr, Les Verts. Consulté le 5 juin 2008
  26. (fr) Damien Abad, « Un jugement vierge de tout soupçon ? » sur www.le-nouveaucentre.org, 3 juin 2008, Nouveau Centre. Consulté le 5 juin 2008
  27. (fr) Marine Le Pen, « La justice française à l’heure de la charia ? » sur www.frontnational.com, 30 mai 2008, Front National. Consulté le 5 juin 2008
  28. Voir ici
  29. (fr) AFP, « Mariage annulé: Létard "consternée" » sur lefigaro.fr, 29 mai 2008. Consulté le 3 juin 2008. « Valérie Létard a déclaré aujourd'hui être "consternée" que certaines interprétations du code civil puissent conduire "à une régression du statut de la femme" »
  30. ab (fr) lemonde.fr avec afp, « Mme Dati défend l'annulation d'un mariage pour mensonge sur la virginité » sur www.lemonde.fr, 30 mai 2008, Le Monde.fr. Consulté le 5 juin 2008
  31. (fr) RTL, « Mariage annulé : Christine Boutin évoque les "difficultés des relations entre notre société et l'Islam" » sur www.rtl.fr, 2 juin 2008. Consulté le 5 juin 2008
  32. Associated Press, « Mariage annulé pour non-virginité: Sihem Habchi dénonce une "fatwa contre la liberté des femmes" », 29 mai 2008, sur le site nouvelobs.com consulté le 9 juin 2008
  33. L'affaire du mariage annulé met Rachida Dati en difficulté, Le Monde, 4 juin 2008
  34. « Un mariage annulé à Lille car l'épouse avait menti sur sa virginité », Agence France Presse, 29 mai 2008
  35. D. M., « L'épouse ment sur sa virginité, son mariage est annulé »
  36. (fr) Jean François Laloué, « Décision du tribunal de Lille : Une Fatwa contre la liberté des femmes », 29 mai 2008. Mis en ligne le 29 mai 2008, consulté le 30 mai 2008
  37. Ainsi "maître Eolas" est-il choisi comme invité en charge de défendre le jugement dans deux émissions radiophoniques, sur France Info et sur France-Culture (cf. les articles Eolas sur France Info et Eolas vous donne du grain à moudre sur son blog, consultés le 6 juin 2008)
  38. (fr) Laurent Joffrin, « Régression » sur liberation.fr, 31 mai 2008, Libération. Consulté le 5 juin 2008
  39. (fr) Laurent Greilsamer, « La juge et la jeune musulmane » sur www.lemonde.fr, 2 juin 2008, Le Monde. Consulté le 5 juin 2008
  40. (fr) Alain-Gérard Slama, « Le jugement de Lille et le divorce français » sur www.lefigaro.fr, 2 juin 2008, Le Figaro. Consulté le 5 juin 2008
  41. Louis-Marie Horeau, « La comédie hymen », Le Canard enchaîné, n° 4571, 4 juin 2008, p. 1.
  42. (fr) Elisabeth Badinter "ulcérée" sur nouvelobs.com, 2 juin 2008, NouvelObs.com. Consulté le 6 juin 2008
  43. (fr) Affaire de Lille : cette jurisprudence doit être stoppée sur ProChoix, 2 juin 2008. Consulté le 6 juin 2008
  44. (fr) Catherine Kintzler, « Cachez cette virginité que je ne saurais voir ! » sur Marianne2, 2 juin 2008, Marianne. Consulté le 7 juin 2008
  45. (fr) Chantal Delsol, « Mariage annulé : y a-t-il détournement de la loi ? », 4 juin 2008, Le Figaro. Consulté le 6 juin 2008
  46. Sondage réalisé en ligne sur internet auprès de 968 individus représentatifs de la population française âgée de 18 ans et plus, publié dans Le Figaro le 6 juin 2008, page 4.
  47. (fr) Bernard Gorce et Gwenaëlle Moulins, « L’annulation d’un mariage pour « mensonge » de l’épouse suscite la controverse » sur la-croix.com, 1er juin 2008, La Croix. Mis en ligne le 1er juin 2008, consulté le 1er juin 2008
  48. « Vierge : être ou ne pas être ? », Claire Deysson et Virginie Tullat avec la collaboration de Maître Jean-Paul Ravalec, Le village de la justice, 30 mai 2008, sur le site village-justice.com.
  49. « Mariage annulé pour mensonge sur la virginité : pas de "souvenir" d'un précédent », Agence France Presse, 29 mai 2008
  50. « Un mariage annulé pour défaut de virginité », jeudi 29 mai 2008 sur le site leparisien.fr.
  51. (fr) L'annulation d'un mariage à Lille, pour mensonge sur la virginité de l'épouse, suscite de vives réactions sur lemonde.fr, 30 mai 2008, Le Monde. Consulté le 30 mai 2008
  52. JurisClasseur Notarial Répertoire > V° Mariage, > Fasc. 10 : MARIAGE. – Conditions à réunir dans la personne des époux > II. - Conditions résultant de la dimension personnelle du mariage : le consentement des époux > B. - Existence du consentement > 3° Vices du consentement ; renvoyant à Gaz. Pal. 1965, 2, p. 12 et à D. 1966, p. 203, note Pradel)
  53. Christelle Chalas, « Correction des cas pratiques sur les fiançailles et le mariage » sur http://www.univ-paris8.fr/, 2006/2007, Université Paris VIII. Consulté le 5 juin 2008
  54. «Les gynécologues n'ont pas à encourager cette régression»
  55. Une telle interprétation de la loi de 1975 est proposée, comme branche d'une alternative, par Jean Carbonnier, La famille, l'enfant, le couple, Thémis, 21e éd. 2002, p. 424.
  56. Cass. Civ 1, 2 décembre 1997, pourvoi n°96-10498, inédit. Allusion est faite à cette jurisprudence dans la note ci-dessous :
  57. ab (fr) Aline Cheynet de Beaupré, « A l'ombre des jeunes filles en fleurs » sur dalloz.fr, 2 juin 2008, Dalloz. Consulté le 5 juin 2008
  58. ab (fr) Hugues Fulchiron, « De la virginité dans le mariage » sur dalloz.fr, 2 juin 2008, Dalloz. Consulté le 5 juin 2008
  59. C'est par exemple particulièrement patent dans le communiqué de Laurence Rossignol au nom du Parti Socialiste.

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