Abolition de l'esclavage

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L'abolition de l'esclavage constitue l'acte juridique d'interdire la pratique esclavagiste. Si on trouve historiquement des exemples ponctuels et localisés d'affranchissement des esclaves, l'interdiction légale de l'esclavage, étendue à toutes les catégories de population, reste rare jusqu'à l'époque contemporaine. À la fin du XVIIIe siècle et au XIXe siècle, un mouvement historique d'ampleur internationale, consécutif à l'émergence de l'abolitionnisme, a conduit à l'abolition de l'esclavage au sein des États américains et des sociétés colonisées par l'expansion européenne. Au XXe siècle, l'interdiction de l'esclavage s'est progressivement étendue à l'ensemble des États de la planète.

Sommaire

[modifier] Précédents historiques

[modifier] Des interdictions ponctuelles et localisées

Selon l'historien du colonialisme Yves Benot, la première abolition connue est celle de l’archonte grec Solon au VIe siècle av. J.-C.[1]. Sa législation, la seisakhtheia ou libération des dettes, ne concerne cependant qu’une catégorie très particulière de la population, les citoyens athéniens asservis pour dettes. Elle interdit toute créance garantie sur la personne du débiteur et l'interdiction de vendre un Athénien libre, y compris soi-même. Solon essayait d'enrayer la crise économique et sociale que traversait Athènes : l'esclavage pour dettes des paysans, qui constituaient la base de la démocratie athénienne, prenait de telles proportions qu’il mettait en danger le fonctionnement de la cité-État.

À partir du VIIIe siècle l'esclavage rural, hérité de l'Antiquité, est progressivement remplacé par le système du servage en Europe occidentale[2]. Aucune législation ne vint cependant mettre un terme officiel à cette pratique. Dans le royaume de France, une ordonnance de Louis X le Hutin, datée de 1315, proclame que le sol de France affranchit quiconque y pose le pied[3]. On trouve des traces tardives et ponctuelles de l’application de ce texte par les parlements français au XVIe siècle. A Bordeaux, en 1571, il est invoqué pour justifier la libération d’une cargaison d’esclaves noirs, transportée par un négrier normand qui prend la fuite[4]. L'application de l'ordonnance royale sera cependant strictement circonscrite au territoire métropolitain, ne remettant à aucun moment en cause la participation active de la France au commerce triangulaire et à la mise en place d'une économie esclavagiste dans ses colonies antillaises. Avec le développement de la traite, la législation évolua sur le sol de la métropole dans un sens de plus en plus défavorable aux esclaves noirs : l'affranchissement fit place à la tolérance de l'esclavage (édit d'octobre 1716) puis au strict contrôle du séjour des Noirs (déclaration royale de 1738)[5].

En Europe, l'esclavage connaît un renouveau avec le début de l'expansion européenne au XVe siècle. L'esclavage des Indiens d'Amérique, pratiqué dès l'arrivée de Christophe Colomb sur Hispaniola, est progressivement constitué en problème politique. Le souverain espagnol Charles Quint commence par l'autoriser, puis l'interdit en 1526 dans tout son empire sur recommandation de son Conseil des Indes. Peu de temps après, le 2 juin 1537, le pape Paul III l'interdit à son tour en termes vigoureux dans sa lettre Veritas ipsa, suivie le 29 mai de la bulle officielle Sublimis Deus. La controverse de Valladolid suivra treize ans plus tard. Le Nouveau Monde est toutefois loin de Rome, les nouvelles qui en parviennent ne sont que celles que des témoins peuvent ou veulent en donner, et il n'est par ailleurs « point de droit possible sans force pour le faire appliquer » : la bulle du pape sera complètement ignorée, en dépit d'actions de Bartolomé de Las Casas et d'une partie des évêques.

[modifier] La liberté conquise : révoltes et marronages

L'émergence de multiples formes de résistance peut être considérée comme une donnée structurelle des sociétés esclavagistes. Les guerres serviles sous la République romaine puis, à partir du XVIe siècle, le marronnage, constituaient des formes de contestation de l'esclavage par l'esclave. Les Marrons fuyaient de la propriété de leur maître et partaient se réfugier dans des lieux inaccessibles où ils se regroupaient parfois pour former des sociétés organisées capables de s'organiser contre les chasseurs ou les armées envoyés à leurs trousses, comme le montre l'exemple emblématique du quilombo brésilien de Palmares. La rébellion des Zandj contre le pouvoir des Abbassides entre 869 et 883 dans le sud de l'Irak constitue historiquement l'une des principales révolte d’esclaves noirs.

[modifier] Le XVIIIe siècle : une remise en cause progressive

[modifier] L'argumentaire anti-esclavagiste

[modifier] Les arguments philosophiques et moraux

Dès le milieu du XVIIIe siècle l'esclavage devient un sujet fréquemment évoqué par les philosophes des Lumières : Montesquieu, Voltaire, Rousseau, Raynal (secrètement épaulé par Diderot) écriront tous sur le sujet. Si la dénonciation morale de l'esclavage est fréquente, elle franchit plus rarement le cap de la remise en cause du système esclavagiste existant dans les colonies[6].

[modifier] Les arguments économiques

Dans les années 1760 émerge chez les économistes libéraux et les physiocrates français une condamnation économique de l'esclavage. Considéré comme moins productif que le travail libre, le système esclavagiste apparaît aussi pour ces auteurs comme un frein au développement du marché intérieur. Adam Smith écrivait ainsi que « l'expérience de tous les temps et de tous les pays s'accorde, je crois, pour démontrer que l'ouvrage fait par des mains libres revient définitivement à meilleur compte que celui qui est fait par des esclaves. »[7] Ces arguments, qui trouvent en France dans le comte de Mirabeau un relai fidèle, permettront de rallier une partie des milieux d'affaire.

Devant la condamnation morale qui se généralisera au XIXe siècle, les esclavagistes français se replieront néanmoins derrière des arguments économiques opposés : sans l'esclavage, affirmaient-ils, la prospérité de la France ainsi que sa position dans le concert des nations serait mise en danger.

[modifier] Les premières sociétés anti-esclavagistes

À la fin des années 1780, des sociétés anti-esclavagistes sont fondées quasi-simultanément aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en France. Leur travail de dénonciation, qui se place principalement sur le terrain moral, permet de diffuser à une large échelle l'information existant sur les conditions de vie des esclaves. En attestent le succès des pétitions des années 1788-1789 demandant un débat parlementaire sur l'esclavage en Angleterre ou la revendication de l'abolition de l'esclavage dans les colonies dans une cinquantaine de cahiers de doléance français en 1789[8].

[modifier] L'intensification des révoltes d'esclaves

Le XVIIIe siècle se caractérise par une recrudescence des révoltes d'esclaves dont le nom des leaders connut une postérité importante dans toute l'Europe. Makandal, chef des insurgés de 1748 à Saint-Domingue, Orookono, leader des marrons de Surinam ou Moses Bom Saamp en Jamaïque sont autant de figures qui ont nourri le mythe du Spartacus dont Raynal se fit l'écho dans son Histoire philosophique et politique des établissemens & du commerce des européens dans les deux Indes.

Le point d'orgue de cette « chaîne des insurrections » constitue la révolution haïtienne (1791 à 1804), première révolution anti-esclavagiste du continent américain. Les noirs libres et les esclaves de la colonie française de Saint-Domingue se sont rebellés sous la direction de François Dominique Toussaint Louverture puis de Jean-Jacques Dessalines, tous deux anciens esclaves émancipés. La République d'Haïti, proclamée en 1804, devient alors le deuxième État indépendant du continent après les États-Unis.

[modifier] Les voies nationales de l'abolition

[modifier] Aux États-Unis

Texte de Benjamin Franklin en faveur de l'abolition de l'esclavage
Texte de Benjamin Franklin en faveur de l'abolition de l'esclavage

Dès 1770, les sociétés Quakers de Nouvelle-Angleterre s'interdisent toutes pratiques esclavagistes. A la même époque, la Société d’émancipation des Noirs libres et illégalement réduits à la servilité est fondée à Philadelphie[9]. Pendant la Révolution américaine, plusieurs intellectuels ont défendu les droits des Noirs comme Thomas Paine, l'auteur du Sens commun (1776)[10]. Durant ses dernières années, Benjamin Franklin (1706-1790) fut un fervent défenseur de l'abolition de l'esclavage (il libéra ses esclaves dès 1772). Thomas Jefferson, George Washington, James Madison et Patrick Henry militèrent au Congrès américain pour la suppression de l'esclavage[11].

L'esclavage est aboli en 1777 dans le Vermont[12], en 1780 en Pennsylvanie[13], en 1783 dans le Massachusetts[14]. En 1794 est créée la Convention des sociétés abolitionnistes à Philadelphie[15]. En 1783, le Maryland interdit l'importation d'esclaves[16]. En 1786, la Caroline du Nord augmente fortement les droits sur l’importation des esclaves ; l’esclavage disparaît au nord des États-Unis au début 19e siècle[17].

L'Ordonnance du Nord-Ouest (1787) interdit l'esclavage dans le territoire du Nord-Ouest[18] et établit de fait la limite entre les états esclavagistes et les autres sur l'Ohio.

Pourtant, lorsque la Constitution américaine entre en vigueur le 4 mars 1789, elle consacre l'esclavage pratiqué dans un grand nombre d'États, notamment du Sud. L'une de ses dispositions permet aux propriétaires d'esclaves de calculer le nombre de suffrages à partir de l'équation : 1 noir = 3/5 d'un blanc. L’attorney général du Maryland Luther Martin, représentant de son État à la convention de Philadelphie, refusa la constitution parce qu’elle ne condamnait pas l’esclavage explicitement. La Société de Pennsylvanie pour l'abolition de l'esclavage fit circuler une pétition, signée notamment par Benjamin Franklin en 1790[19].

Dans les années 1820, la Female Anti-slavery Society dénonce l'esclavage. L'esclavage dans les États Unis d'Amérique est aboli en 1865 suite à la guerre de sécession qui opposa les États du Nord aux États du Sud.

[modifier] En France

[modifier] L'abolition révolutionnaire

En France, l'article « traite des nègres » de L’Encyclopédie rédigé en 1776 par Louis de Jaucourt condamne l'esclavage et la traite : « Cet achat de nègres, pour les réduire en esclavage, est un négoce qui viole la religion, la morale, les lois naturelles, et tous les droits de la nature humaine. »
Brissot créa en 1788 la Société des amis des Noirs dont l'objectif affirmé est l'interdiction de la traite négrière ; malgré les efforts de ses membres éminents comme l'abbé Grégoire ou Condorcet, il ne put obtenir l'abolition de l'esclavage auprès de la Constituante. Le 4 avril 1792, l'Assemblée nationale décide d'accorder la pleine citoyenneté à tous les libres de couleur. Mais, ce ne fut que le 16 pluviôse an II (4 février 1794) que la Convention abolit l'esclavage en avalisant et généralisant la décision unilatérale du commissaire civil à Saint-Domingue, Léger-Félicité Sonthonax, prise le 12 fructidor an I (29 août 1793).

L'abolition de l'esclavage (1849) par François-Auguste Biard - Château de Versailles
L'abolition de l'esclavage (1849) par François-Auguste Biard - Château de Versailles

Cette abolition, certes dictée par un humanisme hérité des Lumières, avait aussi comme objet de rallier les esclaves révoltés de Saint-Domingue, face à la double menace royaliste et d'invasion anglaise. Du reste, cette abolition ne sera pas appliquée dans toutes les possessions françaises d'alors, loin s'en faut.

[modifier] Le rétablissement napoléonien

Par la loi du 20 mai 1802, Napoléon maintient l'esclavage dans les territoires restitués comme la Martinique à la suite du traité d’Amiens. La loi de 1802, si elle ne prévoit pas le rétablissement de l'esclavage dans toutes les colonies françaises, laisse à travers son article IV toute latitude au gouvernement pour légiférer en faveur de son rétablissement général.

En Guadeloupe, en mai 1802, une partie des soldats de couleur se rebelle. L'insurrection est écrasée. On estime que près de 4 000 personnes ont été tuées entre mai et décembre 1802, dont un millier de soldats réguliers[20]. L'esclavage est progressivement rétabli. Le 17 juillet 1802, Richepance publie un arrêté qui refuse aux gens de couleur de porter le titre de citoyens[21], qui replace les cultivateurs dans une servitude complète et qui supprime les salaires aux cultivateurs[22]. Par contre, l'arrêté consulaire du 16 juillet 1802 n'a jamais été publié[23]. Le rétablissement légal de l'esclavage est publié le 14 mai 1803. Le 26 mai 1803, la Guadeloupe revient au régime antérieur à 1789[24].

En Guyane, Victor Hugues rétablit l'esclavage par le règlement général du 25 avril 1803.

En métropole, une série de mesures discriminatoires à l'égard des populations de couleur, datant de l'Ancien régime, est de nouveau appliquée. Le 30 juin 1802, l'entrée en métropole des « Noirs, mulâtres ou autres gens de couleurs » est soumise à visa[25]. Le 8 janvier 1803, les mariages mixtes sont interdits sauf autorisation.

Napoléon Ier, de retour de l'île d'Elbe lors des Cent-Jours, décrète l'abolition de la traite négrière. Sa décision sera confirmée par le traité de Paris le 20 novembre 1815. Néanmoins, à la Restauration, celle-ci restera aussi lettre morte.

[modifier] Le décret d'abolition de 1848

Victor Schoelcher, nommé dans le Gouvernement provisoire de 1848 sous secrétaire d'État à la Marine et aux colonies par le ministre François Arago, contribue à faire adopter le décret sur l'abolition de l'esclavage dans les Colonies. Le Décret d'abolition du 27 avril, signé par tous les membres du gouvernement paraît au Moniteur, le 5 mars.

[modifier] Dans les colonies africaines françaises

La loi de 1848 ne s'applique cependant pas à l'Algérie, pourtant déclarée la même année partie intégrante de la République. Elle ne prévoit pas non plus le statut des esclaves présents sur les territoires d'éventuelles nouvelles colonies. Saint-Louis du Sénégal et Gorée bénéficient de la loi mais toutes les nouvelles possessions africaines postérieures à 1848 sont soumises à un régime particulier, défini par un arrêté de Faidherbe en date du 18 octobre 1855[26]. Ce dernier stipule que les possesseurs d'esclaves favorables aux autorités françaises pourront conserver ceux qui sont désignés sous le qualificatif euphémisé de « captifs »[27]. Les récalcitrants se voient imposer la libération de leurs esclaves dont certains seront regroupés à partir de 1887 dans des « villages de liberté », qui permettent à administration française de regrouper une main d'œuvre employée aux travaux de construction[28]. Une grande part du corps des tirailleurs sénégalais proviendra jusqu'en 1905 d'anciens esclaves affranchis. Le 12 décembre 1905, un décret s'appliquant à l'Afrique occidentale française interdit l'atteinte à la liberté d'un tiers : il prohibe, sans l'évoquer explicitement, la pratique esclavagiste[29]. La tolérance à l'esclavage reste cependant élevée comme en atteste la persistance de l'institution au Mali.

[modifier] Au Royaume-Uni

Au Royaume-Uni, le mouvement anti-esclavagiste s'inscrit dans le sillage du renouveau religieux impulsé par le fondateur du méthodisme, le prédicateur John Wesley. Les Quakers en sont les précurseurs. La « Société pour l'abolition de la traite » (Society for the abolition of the slave trade) créée en 1787 est la première des associations anti-esclavagistes non exclusivement quaker à s'emparer du sujet[30]. Modérée dans ses objectifs, elle vise non à abolir l'esclavage dans les colonies britanniques mais à mettre fin à la traite négrière[31]. Son action se manifeste par un travail de mobilisation de l'opinion publique britannique, doublé d'une action politique au sein même du Parlement. Elle multiplie à cet effet les campagnes de distribution de tracts, récolte les témoignages des esclaves et met en avant les atrocités commises à leur encontre, avant de lancer des pétitions qui sont régulièrement déposées devant les parlementaires de la Chambre des Communes et des Lords.

Son principal relai au niveau parlementaire est William Wilberforce, un jeune député qui s'est fait connaître par son implication dans la lutte contre le travail des enfants. L'autre personnalité marquante du mouvement est Thomas Clarkson qui joue un rôle de propagandiste efficace. Olaudah Equiano, un ancien esclave calviniste connu sous le nom de baptême de Gustavus Vassa, est rendu célèbre par la publication d'un des rares livres de témoignage sur la traite vue du côté des africains déportés[32].

Les campagnes pétitionnaires se multiplient fortement à la fin du siècle : en 1792, 500 pétitions réunissent 390 000 signatures[33]. En réaction à cette revendication, le Conseil privé de la Couronne diligente en 1788 une enquête sur les conditions de la traite. En 1796, sous l'impulsion de Wilberforce, la Chambre des Communes vote l'abolition de la traite négrière qui est différée par la Chambre des Lords à 1807[34].

L'interdiction de la traite obtenue pour la Grande-Bretagne, les abolitionnistes britanniques, menés par l' African Institution continuent leur travail de propagande pour étendre l'interdiction du commerce triangulaire à l'ensemble des nations. En 1823, la création de la Society for the Mitigation and Gradual Abolition of Slavery, plus connue sous le nom d' Anti-slavery society, marque le passage vers la revendication de l'abolition graduelle de l'esclavage[35]. Ce parti pris d'une abolition progressive s'appuie sur la conviction largement répandue, même au sein du mouvement anti-esclavagiste, que les esclaves doivent être préparés à la liberté, notamment par l'apprentissage des principes élémentaires la chrétienté. Elle entend aussi, dans une perspective cette fois plus stratégique, se rallier la part des élites économiques la plus réticente, en laissant la possibilité aux planteurs d'obtenir une période transitoire vers l'organisation du travail libre des esclaves. Après le retrait de Wilberforce en 1825, Thomas Fowell Buxton est le principal défenseur de cette position au Parlement[36].

Le 28 août 1833, le roi Guillaume IV sanctionne l'abolition bill voté par le Parlement britannique[37]. Le texte prévoit une abolition graduelle : un délai de sept ans est accordé pour les esclaves des plantations et de cinq ans pour les esclaves domestiques ou urbains. Elle comporte aussi une clause d'indemnisation des propriétaires. Le 1er janvier 1838, l’émancipation des deux catégories d'esclaves, urbains et agricoles, est proclamée, avant l'échéance prévue par le texte de 1833 pour les esclaves des plantations.

Comme après l'abolition de la traite, l'élan des abolitionnistes britanniques n'est pas brisé par l'obtention d'une législation nationale. La British and foreign anti-slavery society succède en 1839 à l'Anti-slavery society : elle joue un rôle d'expertise, envoyant des émissaires dans le monde entier pour vérifier les conditions d'application des décrets anti-esclavagistes et informer le Parlement britannique des persistances de la traite illégale. Elle tient aussi une place prépondérante au sein du mouvement anti-esclavagiste international, participant même au financement de sociétés étrangères comparables[38].

[modifier] Au Venezuela

En Amérique du Sud, les voies de l’abolition sont liées, bien que de manière indirecte, au mouvement indépendantiste. Au début du XIXe siècle, les forces sécessionnistes sont dans leur grande majorité constituées des élites créoles dont la richesse s’appuie souvent sur le système esclavagiste. Les revendications indépendantistes s’accompagnent ainsi d’une volonté de conservation de l’ordre social : la Révolution française qui a conduit à l’abolition en 1794 est dans toutes les mémoires.

La question est sensible. Le Venezuela a connu dix révoltes d’esclaves notables entre 1770 et 1799 et on estime à 30 000 le nombre de nègres marrons présents dans le pays à la fin du siècle[39]. Lors des premiers soulèvement contre le roi d’Espagne, les esclaves prennent majoritairement parti pour la couronne contre les indépendantistes, menées par Simón Bolívar, qui ne sont souvent rien d’autre que leurs propres maîtres. En 1815, «  La lettre de Jamaïque » , écrite par Bolivar à destination de la Royal Gazette de Kingston, nie, contre toute évidence, la spontanéité du ralliement des esclaves à la cause loyaliste. Elle présente les conditions de vie des esclaves sud-américains sous un jour quasiment « idyllique »[40].

Bolivar effectue toutefois quelques mois plus tard un virage stratégique en optant explicitement pour l’abolitionnisme. Réfugié en Haïti après l’échec de sa campagne de 1815, il négocie avec Alexandre Pétion, le président du pays, son soutien contre l’Espagne en échange de la promesse de la suppression de l’esclavage sur les territoires libérés. Il espère aussi que ce changement de cap ralliera à sa cause la masse des esclaves dont il promet l’affranchissement.

En 1816, les trois décrets du 2 juin, 6 juillet et 31 décembre 1816 viennent, progressivement, concrétiser cette promesse qui vise avant tout à grossir les rangs de l’armée d’insurrection, comme en atteste l’évolution de la doctrine. Le premier des trois textes subordonne l’émancipation à l’engagement aux côtés des troupes de Bolivar, le second l’accorde sans condition[41]. Au final, les esclaves tiendront une place importante dans les succès de l’armée indépendantiste.

Malgré cette adhésion instrumentale à la cause abolitionniste, Bolivar semble mettre tout en œuvre pour faire valider ses décrets devant le Congrès fondateur d’Angostura qui, dominée par les propriétaires terriens, n’accède pas à sa demande[42]. À l'image d'Oruno Denis Lara, certains historiens remettent cependant en cause cette sincérité, arguant que Bolivar disposait des moyens de faire "plier" le Congrès[43]. Plusieurs dispositions juridiques, comme la loi d’affranchissement du 21 juillet 1821, mettent en place des systèmes d’émancipation graduels qui ne sont appliqués qu’avec parcimonie sur l'ensemble du territoire de la Grande Colombie[44].

Dans un contexte d’instabilité politique et sociale chronique, le nombre d’esclaves diminue toutefois progressivement : au Venezuela, il passe de 87 800 en 1810, à 36 000 en 1836 puis 12 000 en 1854[45]. Au Venezuela, c’est seulement le 24 mars de l’année 1854 que le président José Gregorio Monagas décrète l’abolition de l’esclavage. En Colombie, il avait été aboli trois ans auparavant, en 1851.

[modifier] Conséquences de l'abolition

[modifier] Impacts économiques

Bien souvent les nouveaux affranchis quittent les habitations pour développer leurs propres cultures. L'affranchissement entraîne alors la faillite des économies de plantation. Par exemple la production de sucre est divisée par quatre en Guyane entre 1847 et 1851. Beaucoup de planteurs doivent se reconvertir dans des cultures moins exigeantes en main-d'œuvre ou cesser leur activité.

Malgré ces épiphénomènes, l'impact de l'abolition sur l'économie mondiale, alors en pleine révolution industrielle, a été très limité contrairement aux prévisions des anti-abolitionnistes.

Le système esclavagiste avait entraîné un grand retard dans le développement technique. Ce retard est particulièrement flagrant aux États-Unis entre les États du Sud et ceux du Nord à la fin de la guerre de Sécession.

L'abolition de l'esclavage ne fut pas synonyme de libération et d'égalité pour tous : la condition prolétarienne induite par l'économie libérale s'avère, particulièrement au XIXe siècle, porteuse de misère, de paupérisme, de chômage et d'exploitation.

[modifier] La traite des asiatiques et l’engagisme

Pour remplacer les esclaves, les planteurs firent appel à des « engagés volontaires » d'origine asiatique, indienne notamment, voire locale (aux Comores). Cette pratique dégénéra très rapidement en une forme d'exploitation, la clause de retour du contrat des coolies ne fut notamment pas respectée à l'issue de leur période d'engagement et beaucoup durent rester sur place car il n'avaient pas été rémunérés suffisamment pour pouvoir payer le trajet retour.

[modifier] Colonisation de l'Afrique

Les puissances coloniales présentèrent la lutte contre l'esclavage comme une des justifications de leur pénétration à l'intérieur du continent noir.

[modifier] Mémoriaux

[modifier] Bibliographie

[modifier] Témoignages d'époque sur l'esclavage

  • Discours Sur l'abolition de l'esclavage, prononcé par Anaxagoras Chaumette, au nom de la commune de Paris. 1794 (l'an deuxième de la République française).
  • Benjamin Sigismond Frossard, "La cause des esclaves nègres et des habitants de la Guinée…ou histoire de la traite et de l’esclavage" (Lyon, Aimé de La Roche 1789).
  • Mungo Park, Voyage à l'intérieur de l'Afrique, FM/ La Découverte, Maspero, Paris 1980.
  • Jehan Mousnier, Journal de la traite des Noirs, Editions de Paris, Paris, 1957.
  • João Mascarenhas, Esclave à Alger, traduit du portugais par Paul Teyssier, Éditions Chandeigne, Paris, 1993.

[modifier] Historique de l’esclavage

  • Jacques Heers, Les Négriers en terre d'islam, Paris, Perrin, 2003. ISBN 2262018502
  • Raymond-Marin Lemesle, Le Commerce colonial triangulaire, XVIIIe ‑ XIXe siècles, Presses universitaires de France, 1998, Que sais-je ?. ISBN 2130493408
  • Salvador de Madariaga, Le Déclin de l'Empire espagnol d'Amérique, Ed. Albin Michel, Paris, 1958.
  • Jean Meyer, Esclaves et Négriers, Gallimard, 1986, Découverte Gallimard. ISBN 2070530183
  • Olivier Pétré-Grenouilleau, La Traite des noirs, Que sais-je ?, ASIN 2130484158
  • Louis Sala-Molins, Le Code noir, PUF, Paris, 1988
  • Jean-Claude Deveau, Esclaves noirs en Méditerranée, Cahier de la Méditerranée, vol. 65, Sophia-Antipolis

[modifier] L'abolition de l’esclavage

  • Nelly Schmidt, Victor Schoelcher et l’abolition de l’esclavage, Fayard, Paris, 1994
  • Nelly Schmidt, Abolitionnistes de l'esclavage et Réformateurs des colonies 1820-1851, Karthala, Paris, 2000, 1196 p.
  • Patricia Motylewski, La Société française pour l'abolition de l'esclavage", L'Harmattan, Paris, 1998.
  • Philippe Maudrere, De l’esclave au citoyen, Gallimard, Paris, 1998
  • François Renault, Libération d’esclaves et nouvelles servitudes, Les nouvelles Editions africaines, 1976
  • Gaston Martin, L’Abolition de l’esclavage (27 avril 1848), PUF, Paris, 1996
  • Célimène, F., & Legris, A., (2002). L’Économie de l’esclavage colonial : enquête et bilan du XVIIe au XIXe siècle.
  • Mobiclic, Moussa l'itinéraire d'un esclave (2006), Milan presse, Toulouse (obiclic.com)
  • Claude Garrier, "L'abolition de l'esclavage : du mythe de 1848 à la victoire de 1905… 1946", in « Sociétés africaines et diaspora », n° 11, septembre 1998, pp. 165-172 [1]

[modifier] Notes

  1. Yves Benot, La modernité de l’esclavage. Essai sur la servitude au cœur du capitalisme, La Découverte, Paris, 2003, p. 22.
  2. Pierre Bonnassie, Les sociétés de l'an mil, De Boeck, 2001. Voir particulièrement le chapitre 3 : « Survie et extinction du régime esclavagiste dans l'Occident du Haut Moyen Age », p. 85-143.
  3. Yves Benot, op. cit., p. 31.
  4. Voir le texte de l’arrêt dans Serge Daget, La traite des Noirs : bastilles négrières et velléités abolitionnistes, Ouest-France, Rennes, 1990, p. 59. Le manuscrit est conservé à la bibliothèque de Bordeaux (cote D.U. 18039).
  5. Catherine Coquery-Vidrovitch, « Le postulat de la supériorité blanche et de l'infériorité noire », dans Marc Ferro (dir.), Le livre noir du colonialisme, Robert Laffont, Paris, 2003, p. 877. Le texte de 1716 comme celui de 1738 ne furent pas approuvés par le Parlement de Paris qui continua d'affranchir des esclaves tout au long du XVIIIe siècle.
  6. Sur les ambigüités du discours philosophique des Lumières concernant l'esclavage voir par exemple Yves Benot, Les Lumières, l’esclavage et la colonisation, Paris : Éditions La Découverte, 2005, ISBN : 2-7071-4702-8
  7. Adam Smith, « Des salaires du travail », dans Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations - Livre I, Chapitre 8.
  8. 49 cahiers de doléances sur 600 firent de l'abolition de l'esclavage une de leurs revendications. Le cahier du village de Champagney en Franche-Comté réclame ainsi l’abolition de l’esclavage dans son article 29. Voir Jacky Durand, « Il y a plus de deux siècles, Champagney se mobilisait pour "les nègres des colonies" » Libération, 9 mai 2006.
  9. Bernard Cottret, La Révolution américaine : La quête du bonheur 1763-1787, Paris, Perrin, 2003, (ISBN 2262018219), p.178
  10. Bernard Cottret, La Révolution américaine : La quête du bonheur 1763-1787, Paris, Perrin, 2003, (ISBN 2262018219), p.178
  11. Bernard Vincent, La Révolution américaine 1775-1783, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 1985, tome 2, (ISBN 2864802112), p.172
  12. Jacques Binoche, Histoire des États-Unis, p.103 ; Bernard Cottret, La Révolution américaine : La quête du bonheur 1763-1787, Paris, Perrin, 2003, (ISBN 2262018219), p.425
  13. Bernard Cottret, La Révolution américaine : La quête du bonheur 1763-1787, Paris, Perrin, 2003, (ISBN 2262018219), p.425 ; Bernard Vincent, La Révolution américaine 1775-1783, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 1985, tome 2, (ISBN 2864802112), p.11
  14. Bernard Vincent, La Révolution américaine 1775-1783, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 1985, tome 2, (ISBN 2864802112), p.12
  15. Bernard Cottret, La Révolution américaine : La quête du bonheur 1763-1787, Paris, Perrin, 2003, (ISBN 2262018219), p.425
  16. Bernard Cottret, La Révolution américaine : La quête du bonheur 1763-1787, Paris, Perrin, 2003, (ISBN 2262018219), p.478
  17. Bernard Cottret, La Révolution américaine : La quête du bonheur 1763-1787, Paris, Perrin, 2003, (ISBN 2262018219), p.478
  18. Claude Fohlen, Les pères de la révolution américaine, Paris, Albin Michel, 1989, (ISBN 2226036644), p.162
  19. G. B. Nash, Race and Revolution, Madison, Wisconsin, Madison House, « The Merill Jensen Lectures in Constitutionnal Studies », 1990, p.144 sq
  20. Frédéric Régent, "Esclavage, métissage, liberté, La Révolution française en Guadeloupe 1789-1802", éditions Grasset, 2004, p. 421
  21. Frédéric Régent, "Esclavage, métissage, liberté, La Révolution française en Guadeloupe 1789-1802", éditions Grasset, 2004, p. 425
  22. Frédéric Régent, "Esclavage, métissage, liberté, La Révolution française en Guadeloupe 1789-1802", éditions Grasset, 2004, p. 427
  23. Frédéric Régent, "Esclavage, métissage, liberté, La Révolution française en Guadeloupe 1789-1802", éditions Grasset, 2004, p. 431
  24. Frédéric Régent, "Esclavage, métissage, liberté, La Révolution française en Guadeloupe 1789-1802", éditions Grasset, 2004, p. 432
  25. Nelly Schmidt, op. cit., p. 94.
  26. Yves Benot, op. cit., p. 241.
  27. Ibid.
  28. Voir sur ce point Denise Bouche, Les villages de liberté en Afrique noire française, 1887-1910, EHESS, Paris, 1968.
  29. Yves Benot, op. cit., p. 242.
  30. Neuf de ses douze membres fondateurs sont toutefois quakers, les trois autres étant des anglicans.
  31. Nelly Schmidt, L'abolition de l'esclavage. Cinq siècles de combats, Fayard, Paris, 2005, p. 138.
  32. The Interesting Narrative of the Life of Olaudah Equiano, or Gustavus Vassa the African, paru pour la première fois en 1789. Traduction française, Olaudah Equiano ou Gustavus Vassa l'Africain. Le passionnant récit de ma vie, Paris, L'Harmattan, 2002.
  33. Nelly Schmidt, op. cit., p. 138.
  34. Nelly Schmidt, op. cit., p. 138.
  35. Nelly Schmidt, op. cit., p. 139.
  36. Ibid..
  37. Ibid.
  38. Nelly Schmidt, op. cit., p. 141.
  39. Voir sur cette question Charles Lancha, « Bolivar et le problème de l’esclavage », Histoire de l'Amérique hispanique de Bolívar à nos jours, L’Harmattan, 2003, pp. 48- 53.
  40. Ibid, p. 49.
  41. Ibid, p. 49.
  42. « J’implore la confirmation de la liberté absolue des esclaves comme j’implorerais ma vie et la vie de la république » déclare-t-il par exemple devant le congrès le 15 février 1819. Simon Bolivar, Obras Completas, t.I p. 180, cité in Charles Lancha, op. cit. p. 49. La décision du Congrès ne concerne pas seulement le territoire actuel du Venezuela mais l'ensemble de la Grande Colombie, c'est-à-dire les actuels Colombie, Panamá, [[Équateur (pays)|]] et Venezuela.
  43. Voir «  La place de Bolivar dans le procès de destruction du système esclavagiste aux Caraïbes  », Cahiers des Amériques Latine, 1984, n° 29-30, p. 232.
  44. Charles Lancha, op. cit., p. 50.
  45. Charles Lancha, op. cit, p. 50.

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