Épidermolyse

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EPIDERMOLYSES BULLEUSES HEREDITAIRES

J.-Ph. Lacour, G. Meneguzzi

Les épidermolyses bulleuses héréditaires (EBH) sont des génodermatoses rares caractérisées cliniquement par une fragilité épithéliale conduisant à la formation de bulles et d’érosions cutanées (et parfois muqueuses) par clivage entre l’épiderme et le derme. Elles touchent environ un nouveau-né sur 20 000. Leur gravité est très variable, allant d’une gêne mineure à des formes rapidement incompatibles avec la vie en passant par des affections responsables de handicaps très graves par les complications infectieuses, nutritionnelles, cicatricielles et fonctionnelles voire viscérales qu’elles entraînent. Des progrès considérables ont été réalisés ces dernières années dans la compréhension des mécanismes et la connaissance des anomalies moléculaires et génétiques responsables d’un certain nombre de ces EBH. En effet, les mécanismes de la cohésion dermo-épidermique et de sa pathologie sont de mieux en mieux connus : elle est le résultat d’interactions moléculaires complexes entre le cytosquelette des kératinocytes, les hémidesmosomes (HD) et les molécules d’ancrage dermo-épidermique. L’identification des mutations génétiques induisant les différentes formes d’EBH a permis la révision de leur classification, la réalisation d’un diagnostic anténatal précoce et la conception de nouvelles approches thérapeutiques.

Sommaire

[modifier] Classification

La classification des EBH a longtemps reposé sur des critères cliniques. Les études histologiques, puis immunohistologiques et ultrastructurales, ont permis de distinguer trois groupes selon le niveau de clivage dans la peau : les EB épidermolytiques ou simples (EBS) sont caractérisées par un clivage intraépidermique; les EB jonctionnelles (EBJ) ont un clivage situé à la jonction dermo-épidermique au sein de la membrane basale; les EB dermolytiques ou dystrophiques (EBD) ont un clivage situé sous la membrane basale épidermique [5]. Au sein de chacun de ces trois groupes, il existe plusieurs formes cliniques d’EBH distinguées par le mode de transmission héréditaire.

En pratique, la détermination du niveau de clivage est l’étape première et indispensable du diagnostic d’une EBH. Elle n’est pas réalisable de façon fiable par la microscopie optique mais par étude ultrastructurale. La biopsie doit être faite sur peau frottée plutôt que sur un élément bulleux de façon à obtenir une amorce de clivage sans séparation complète dermo-épidermique qui pourrait gêner l’interprétation. Le niveau de clivage peut aussi être apprécié de façon plus rapide et précise par immunolocalisation : l’utilisation d’anticorps dirigés contre l’antigène de la pemphigoïde bulleuse 230, le collagène IV et le collagène VII permet de repérer le plancher et le toit de la bulle par rapport au niveau de ces antigènes dans la jonction dermo-épidermique. C’est également grâce à l’immunohistochimie que les défauts d’expression de certains antigènes de la jonction dermo-épidermique permettent d’identifier très rapidement un certain nombre d’EBH : absence ou diminution de l’expression de la laminine 5 ou de l’intégrine  dans les EBJ, absence ou diminution de l’expression du collagène VII dans les EBD. Récemment la classification moléculaire de ces affections a permis de simplifier l’ancienne classification basée sur le phénotype clinique. Chaque variante clinique majeure est maintenant associée à une anomalie moléculaire et génétique caractérisée [6, 11].


[modifier] Épidermolyses bulleuses simples ou épidermolytiques

Les EBS sont les plus fréquentes des EBH. Elles sont caractérisées par un clivage situé au sein des kératinocytes de l’assise basale de l’épiderme, sans altération de la membrane basale elle-même. Ces génodermatoses sont généralement transmises de façon autosomique dominante. Elles sont compatibles avec une vie normale, mais dans les formes généralisées l’enfance peut être troublée par l’importance des bulles ou des érosions post-traumatiques. Elles n’ont habituellement pas d’évolution atrophique ou cicatricielle et ne comportent pas de grains de milium.

Aspects cliniques

L’EBS localisée de Weber-Cockayne, la forme plus commune d’EBS, a une transmission autosomique dominante. Elle se caractérise par une éruption bulleuse principalement située sur les régions palmoplantaires se manifestant à l’âge des premiers pas (fig. 6.9), parfois plus tardivement. La marche prolongée, surtout par temps chaud, provoque des bulles de plus ou moins grande taille, le plus souvent de l’avant-pied. Les bulles contiennent un sérum ou un liquide hémorragique et évoluent vers la formation d’érosions et de croûtes. Il n’y a généralement pas de manifestation unguéale ou muqueuse.

L’EBS généralisée de Koebner se manifeste le plus souvent dès la naissance par une éruption bulleuse plus étendue. L’accouchement peut produire des décollements bulleux sur les zones de frottement. La muqueuse buccale peut être atteinte au cours des premiers mois de la vie, nécessitant des précautions d’alimentation. Les zones atteintes vont progressivement se limiter aux mains, pieds, coudes, genoux et au siège chez le nourrisson, aux pieds et genoux à l’âge de la marche. Les bulles, claires, de taille variable, sont déclenchées par les chocs et les frottements appuyés, et sont favorisées par la chaleur. Elles guérissent sans laisser de trace, si ce n’est, parfois, une hyperpigmentation transitoire. Il n’y a pas d’altération unguéale permanente et les dents sont normales. La maladie s’atténue nettement vers la puberté, mais la fragilité cutanée persiste toute la vie.

L’EBS herpétiforme de Dowling-Meara est la forme la plus sévère. Les bulles sont présentes dès la naissance et peuvent s’étendre sur la totalité de la surface corporelle. Elles ont une disposition arciforme ou annulaire, d’où le qualificatif d’herpétiforme. Leur déclenchement n’est pas toujours traumatique. Une kératodermie palmoplantaire apparaît ultérieurement. Des lésions muqueuses et unguéales sont possibles. L’évolution est variable : l’extension importante des lésions peut causer des complications graves (septicémie), mais généralement les lésions s’améliorent progressivement jusqu’à l’âge adulte. Des formes plus rares d’EBS ont été décrites : EBS type Ogna (décrite uniquement dans une famille norvégienne, se distinguant par le caractère hémorragique des bulles); EBS localisée avec hypodontie; EBS avec pigmentation mouchetée prédominant au tronc et au cou, avec papules hyperkératosiques palmoplantaires et atrophie cutanée; EBS type Mendes da Costa; EBS superficielle. Il existe de rares formes à transmission autosomique récessive, l’une d’entre elles, l’EBS-DM, est associée à une dystrophie musculaire progressive qui peut se manifester quelque fois dans l’enfance mais plus souvent à l’âge adulte [16].

Aspects morphologiques

L’EBS de Dowling-Meara est caractérisée histologiquement par un clivage suprabasal, au sein des kératinocytes de l’assise basale de l’épiderme. En microscopie électronique on observe dans les cellules de la couche basale des agrégats intracytoplasmiques de tonofilaments en mottes, suggérant la responsabilité d’anomalies du cytosquelette dans la pathogénie des EBS. En immunohistochimie ces amas sont reconnus par des anticorps dirigés contre les kératines basales de l’épiderme. L’EBS de Koebner est en revanche associée à des modifications minimes du cytosquelette avec réduction ou condensation des tonofilaments.

Mécanismes moléculaires, génétique

Les principaux types d’EBS sont secondaires à des mutations touchant l’un des deux gènes des kératines 5 et 14 [6, 9]. Ces kératines sont les constituants principaux des filaments intermédiaires des kératinocytes de l’assise basale. Leur formation résulte de l’appariement d’une kératine de type acide (ou type I; numérotées de 9 à 19) avec une kératine de type basique (ou type II; numérotées de 1 à 8). Ces deux familles de kératines sont codées par des gènes localisés sur des chromosomes différents : 17 (q12-21) pour le type I et 12 (q11-13) pour le type II. Le phénotype, et en particulier la gravité des EBS, est conditionné par le siège et la nature (type de la substitution d’un résidu par un autre acide aminé) de l’anomalie moléculaire sur ces kératines : selon ces derniers les conséquences sont plus ou moins délétères sur l’assemblage des molécules et l’organisation des filaments intermédiaires. La majorité sont des mutations faux-sens changeant un acide aminé dans le domaine en bâtonnet de la kératine 5 ou de la kératine 14 (arginine 125 de la kératine 14 au cours de l’EBS ou isoleucine 161 de la kératine 5 dans l’EBS). Dans une famille atteinte d’EBS, au phénotype moins sévère, une mutation a été localisée sur le gène de la kératine 14 dans une région moins cruciale pour l’assemblage des filaments intermédiaires. D’autres mutations affectant le gène de la kératine 5 ou 14 ont été décrites. D’autres EBS sont secondaires à des mutations de la plectine, une protéine de liaison des HD entre les filaments intermédiaires et l’intégrine 4. La plectine est également exprimée dans les cellules musculaires. Elle est impliquée dans 3 types d’EBS : les EBS-DM à transmission autosomique récessive [7], l’EBS type Ogna et une forme d’EB avec atrésie pylorique, souvent léthale. Enfin, dans environ 20 % des patients avec EBS, la/les mutation(s) génétique(s) ne sont pas identifiées. Il est donc possible que certaines EBS soient dues à des mutations touchant d’autres constituants cellulaires intervenant dans l’assemblage et l’organisation du cytosquelette du kératinocyte ou de la jonction dermo-épidermique.


[modifier] Épidermolyses bulleuses jonctionnelles

Les EBJ sont caractérisées par un niveau de clivage survenant au sein de la lamina lucida de la jonction dermo-épidermique. Trois types d’EBJ présentant des caractéristiques cliniques distinctes ont été décrits (tableau 6.6.) [6]. Elles sont transmises de façon autosomique récessive.

Aspects cliniques

L’EBJ de type Herlitz (EBJ-H) ou EB atrophicans gravis est la forme la plus grave car habituellement létale en quelques semaines ou mois. Les premières lésions sont constatées dès la naissance sous forme de bulles et d’érosions prédominant sur le tronc, les jambes, le cuir chevelu et la région péri-orale. Les extrémités digitales et les ongles sont souvent atteints. Les zones où le derme est mis à nu cicatrisent lentement mais sans séquelles dystrophiques ni grains de milium. La persistance de plaies étendues est responsable de dénutrition, d’anémie et de surinfections. Il y a en général des lésions muqueuses, en particulier buccales et œsophagiennes, gênant l’alimentation, et des manifestations ORL, respiratoires, digestives, urinaires et oculaires liées à l’atteinte plus ou moins diffuse et sévère des membranes basales épithéliales. Le pronostic de l’EBJ-H est grave car le décès survient rapidement dans plus de 60 % des cas à cause des pertes métaboliques et des problèmes infectieux, malgré la réanimation néonatale. Certains enfants survivent (fréquence difficile à apprécier, environ 10 %) et présentent alors des lésions granulomateuses croûteuses et hémorragiques, des dystrophies unguéales et des caries dentaires causées par une mauvaise qualité de l’émail dentaire.

L’EBJ associée à une atrésie pylorique (EBJ-AP) se caractérise par une fragilité des épithéliums et une atrésie pylorique, parfois associée à une aplasie cutanée, à des anomalies urinaires et à un retard de développement. On distingue une forme grave, mortelle en quelques mois après la naissance malgré la correction chirurgicale de l’atrésie [13], et des formes plus légères comparables aux EBJ non-H (cf. infra). La grossesse est caractérisée par un hydramnios et un taux élevé d’-fœtoprotéine.

Formes non létales (EBJ non H ou mitis). Des cas d’épidermolyses bulleuses jonctionnelles d’évolution prolongée, jusqu’à l’âge adulte, ont été observés. Les tableaux sont de gravité variable, comportant des bulles traumatiques, avec des cicatrices éventuellement atrophiques, des anomalies unguéales et dentaires, mais pas de dystrophie majeure [11] L’EBJ généralisée atrophique bénigne (EBJ-GAB) se manifeste par des bulles présentes dès la naissance guérissant en laissant une hyperpigmentation et une atrophie, sans grain de milium; la muqueuse buccale, les dents et les ongles sont souvent atteints.

Aspects microscopiques

Sur le plan ultrastructural, le clivage se produit au sein de la lamina lucida. Il existe dans la plupart des cas des anomalies des HD qui paraissent hypoplasiques et réduits en nombre.

Génétique

Les différentes formes cliniques d’EBJ sont dues à des mutations des gènes codant les différents composants du complexe d’ancrage constitué par les HD et les filaments d’ancrage. L’EBJ est donc une maladie cliniquement et génétiquement hétérogène impliquant la laminine 5, le collagène XVII (aussi appelé BP180) et l’intégrine 64 [6]. La distribution tissulaire de la protéine et la nature de la mutation déterminent les différents phénotypes cliniques. Les EBJ-H sont liées à des mutations portant sur l’un des trois gènes des chaînes de la laminine-5. Il s’agit d’une glycoprotéine non collagénique d’un poids moléculaire apparent d’environ 400-440 kDa, localisée dans la partie profonde de la lamina lucida, au contact de la lamina densa et entrant dans la composition des filaments d’ancrage des HD. Elle joue un rôle majeur dans l’attachement des kératinocytes à la jonction dermo-épidermique. Cette isoforme de la laminine est constituée d’une chaîne 3 (165 kDa), b3 (140 kDa) et 2 (155 kDa) réunies par des ponts disulfure. Les trois gènes codant ces chaînes (LAMA3, LAMB3, LAMC2) ont été localisés sur le chromosome 18p pour la chaîne 3 et sur le chromosome 1 pour la chaîne 3 (1q32) et 2 (1q25-q31) [1, 6]. Chez la plupart des malades atteints d’EBJ-H, l’expression de la laminine-5 dans la peau ou les épithéliums où cette protéine est normalement détectée est absente [17]. L’étude immunohistochimique de cellules en culture montre que l’antigène est synthétisé et sécrété par les kératinocytes normaux, mais qu’il n’est généralement pas décelable dans les cellules provenant de malades atteints d’EBJ-H à cause d’un défaut de synthèse de l’une des chaînes da le laminine-5. Celui-ci est causé par des mutations génétiques homo ou hétérozygotes sur un des gènes codant la laminine-5. En revanche, chez les malades atteints d’EBJ-non H, le tableau clinique moins sévère est associé à des mutations sur un des trois gènes de la laminine 5 permettant la synthèse d’une chaîne mutée mais partiellement fonctionnelle. Certains patients souffrant d’EB non H (formes précédemment désignées GABEB) sont porteurs de mutations affectant le gène COL 1711 et par conséquent induisent une expression absente ou aberrante du collagène XVII/BP180, un composant des hémidesmosomes [3, 18]. Cette molécule n’est pas indispensable à la formation des HD et présente une distribution tissulaire restreinte essentiellement à la peau et aux muqueuses oro-pharyngées. Son absence a des conséquences moins graves que celle de la laminine 5. Dans les EBJ-AP associées à une atrésie antropylorique les mutations génétiques intéressent les gènes ITGA6 et ITGB4 codant l’intégrine récepteur cellulaire de la laminine-5. Comme pour son ligand, l’intégrine est exprimée dans les épithéliums stratifiés et simples, ce qui explique la formation de lésions bulleuses et d’érosions cutanées et viscérales. Dans les formes non létales cliniquement moins sévères, la maladie est causée par des mutations permettant l’expression d’une intégrine altérée, mais encore partiellement fonctionnelle [2]. Certaines formes d’EBJ-AP sont secondaires à des mutations de la plectine. L’ensemble de ces résultats a permis la mise en place d’un dépistage anténatal rapide à 11 semaines de grossesse, grâce à l’analyse moléculaire de l’ADN génomique purifié à partir de biopsies de villosités choriales.


[modifier] Épidermolyses bulleuses dystrophiques ou dermolytiques

Les EBD sont caractérisées par un clivage situé sous la lamina densa. Elles sont responsables de cicatrices atrophiques avec grains de milium. Selon leur mode de transmission, dominant ou récessif, elles sont classées en deux groupes (tableau 6.6) [6, 11].

Aspects cliniques

EBD récessive (EBDR)

La forme classique, dite de Hallopeau-Siemens (EBDR-HS), est la plus grave car responsable de handicaps majeurs. Elle se manifeste précocement par une éruption bulleuse généralisée mais prédominant aux extrémités des membres. Elle comporte des complications dentaires et des lésions des muqueuses entraînant des sténoses buccales, anales et œsophagiennes responsables de malnutrition et de retard de croissance. La cicatrisation des érosions cutanées, lente et anormale, s’accompagne de grains de milium et aboutit à des lésions atrophiques caractéristiques et invalidantes (syndactylies, contractures en flexion des membres) (fig. 6.11). Au cours de l’enfance, la répétition des bulles et des longues périodes de cicatrisation pathologique aboutissent à un handicap important : la marche et les gestes de la vie courante deviennent de plus en plus difficiles. Des érosions anales rendent la défécation douloureuse. Le décès survient souvent au cours des trois premières décennies du fait de complications infectieuses, de malnutrition avec anémie, retard de croissance voire amylose secondaire. Des carcinomes spinocellulaires surviennent sur les zones de peau et des muqueuses les plus atteintes.

La forme dite non Hallopeau-Siemens. Les variantes d’EBD récessive comprennent la forme non-Hallopeau-Siemens (précédemment désignée mitis), qui se distingue de la forme classique d’Hallopeau-Siemens par l’absence de déformations graves et un spectre clinique très variable du point de vue de la sévérité et de l’étendue des lésions. Les ulcérations récidivantes sur les membres peuvent être associées au développement de carcinomes spinocellulaires.

EBD dominantes (EBDD)

La forme principale, dite de Cockayne-Touraine (EBDD-CT), est caractérisée par une éruption bulleuse généralisée apparaissant à la naissance ou pendant la prime enfance, épargnant dans la majorité des cas les muqueuses, prédominant aux zones traumatisées (mains, pieds, coudes, genoux). Les dystrophies cicatricielles sont aussi limitées à ces zones et n’ont donc pas la gravité de celles de l’EBDR. Elles sont responsables de peau atrophique en papier à cigarettes, plus rarement kératosique, de grains de milium, d’anomalies unguéales dont les plus typiques sont des pachyonychies. Les dents sont normales. La fonction des mains et des pieds n’est pas compromise et, la fragilité cutanée s’atténuant avec l’âge, le pronostic global est favorable. Il n’y a pas d’atteinte viscérale extracutanée.

La forme albopapuloïde de Pasini est semblable à l’EBDD-CT mais s’individualise par la présence de lésions cutanées dites albopapuloïdes. Il s’agit de papules blanchâtres groupées siégeant sur le tronc et les membres, apparaissant à l’adolescence.

L’épidermolyse bulleuse prétibiale est une forme localisée d’EBDD caractérisée par des lésions bulleuses et cicatricielles apparaissant dans l’enfance sur la face antérieure des jambes et le dos des pieds. Le phénotype est variable avec possibilité de dystrophies unguéales, lésions albopapuloïdes ou lichénoïdes [15].

L’épidermolyse bulleuse transitoire du nouveau-né se traduit par des bulles de survenue précoce diminuant puis disparaissant progressivement avec l’âge. Il existe des anomalies des fibrilles d’ancrage en microscopie électronique et une accumulation intracellulaire de collagène VII en immunofluorescence indirecte.

Autres formes. Les malades atteints de la forme localisée ou mitis ont un phénotype moins sévère. Dans la forme inversée, les bulles se localisent préférentiellement aux plis de flexion. Il existe une atteinte buccale et œsophagienne marquée, parfois exclusive. L’EBD pruriginosa se caractérise par des lésions prurigineuses lichénifiées ou lichénoïdes, simulant un prurigo ou un lichen plan hypertrophique. Ce groupe hétérogène associe des formes à transmission dominante et des formes à transmission récessive.

Aspects microscopiques

Le clivage se localise sous la jonction dermo-épidermique. Dans l’EBDD l’examen ultrastructural montre une hypoplasie ou une diminution du nombre de fibrilles d’ancrage. Dans l’EBDR les anomalies ultrastructurales sont identiques à celles des formes dominantes; elles sont beaucoup plus sévères dans l’EBDR-HS.

Génétique

Les EBD sont dues à des mutations touchant le gène COL7A1 qui code le collagène de type VII. Le collagène VII est une protéine composée de trois chaînes identiques. Il est synthétisé et sécrété sous forme d’un monomère, le pro1 (VII), par les kératinocytes basaux des épithéliums squameux stratifiés et par les fibroblastes du mésenchyme sous-jacent. Chaque chaîne du pro1 (VII), d’environ 300 kDa, est constituée d’un long domaine collagénique (environ 145 kDa) reliant deux domaines globulaires non collagéniques : le NC-1 (d’une taille approximative de 145 kDa) du côté aminoterminal, et le NC-2 (d’environ 30 kDa) à l’extrémité carboxylique. Une fois sécrétés, les homotrimères forment des dimères antiparallèles qui, après clivage protéolytique des domaines NC-2, s’agrègent latéralement et forment les fibrilles d’ancrage. L’interaction du collagène VII par l’intermédiaire de son domaine NC-1, avec la laminine 5 et avec le collagène IV assure l’attachement des fibrilles d’ancrage à la membrane basale. En outre le croisement avec des fibres interstitielles constituées de collagène I et III contribue à la formation d’un réseau arrimant les fibrilles d’ancrage au derme superficiel. Un défaut d’expression du collagène VII compromet donc gravement la cohésion derme-épiderme. Le gène COL7A1 est localisé sur le chromosome 3, en 3p21. D’une longueur d’environ 25 kb, COL7A1 est constitué de 118 exons. Dans la majorité des cas d’EBDR-HS, le collagène VII n’est détectable ni par des techniques d’immunofluorescence sur biopsies cutanées, ni par Western blot à partir d’extraits dermiques et épidermiques. Ces observations concordent avec les anomalies qualitatives et quantitatives des fibrilles d’ancrage observées dans la peau des malades. Les études immunohistologiques soulignent de plus l’hétérogénéité de ce groupe d’affections, puisque dans les autres formes d’EBD, le collagène VII est détecté dans la jonction dermo-épidermique à un niveau normal ou parfois seulement diminué. Les études de génétique moléculaire ont défini plusieurs centaines de mutations chez les malades porteurs d’EBD. Ceci a permis d’ébaucher une corrélation génotype-phénotype pour ce groupe de maladies [10]. Dans la plupart des cas, l’EBD récessive de Hallopeau-Siemens est due à des mutations sur les deux allèles COL7A1 induisant une absence complète de collagène VII et un tableau clinique grave. Dans la forme récessive non-Hallopeau-Siemens (mitis), au moins un des allèles porte une mutation (faux-sens ou touchant un site d’épissage), permettant une synthèse réduite de collagène VII fonctionnel et immunoréactif. Dans les EBDD (EBDD de Cockayne-Touraine et EBDD de Pasini), la forme prétibiale et les formes localisées, des mutations faux-sens provoquent la substitution d’un résidu de glycine (Gly) dans la partie collagénique du collagène VII (qui est formée par des répétitions du motif Gly-X-Y) par un autre acide aminé. Les polypeptides précurseurs pro-1 (VII) mutés, produits par l’allèle morbide, s’associent aux chaînes pro-1(VII) de type sauvage produites à partir de l’allèle normal pour former des homotrimères. Il en résulte que, statistiquement, sept homotrimères sur huit contiennent au moins une chaîne mutée qui interfère avec la stabilité et/ou la sécrétion de ces complexes. Ceci amène à la formation d’un nombre réduit de fibres d’ancrage et à un effet dominant négatif délétère de la mutation. Les études de génétique moléculaire ont aussi montré qu’une partie des cas sporadiques d’EBD dominante est due à des mutations de novo. Il a été démontré que des mutations faux-sens n’altèrent pas de manière significative la production de collagène VII et, étant récessives, elles contribuent à la manifestation d’un phénotype EBDR seulement à l’état homozygote ou en combinaison avec une autre mutation en trans de Col7A1. À l’heure actuelle, aucune corrélation n’est établie entre la localisation des substitutions faux-sens et l’effet pathologique qu’elles induisent. D’autre part, des mutations touchant les sites d’épissage peuvent être associées aussi bien à des EBD récessives qu’à des EBD dominantes. Ces observations confirment que des altérations structurales des molécules de collagène VII sans perte significative de la fonctionnalité des fibres d’ancrage peuvent être tolérées. L’identification des mutations génétiques dans les familles à risque rend possible le diagnostic moléculaire, permet de définir avec précision le mode de transmission de ces affections et surtout d’effectuer un diagnostic anténatal.


[modifier] Diagnostic différentiel

Chez le nouveau-né, le diagnostic peut se discuter avec un impétigo bulleux ou une épidermolyse staphylococcique aiguë néonatale; une incontinentia pigmenti, une érythrodermie ichtyosiforme congénitale bulleuse ou des bulles palmoplantaires d’une syphilis congénitale; une aplasie cutanée congénitale en cas d’EBH avec absence congénitale localisée de peau. Lorsque la maladie se révèle plus tard, une bulleuse auto-immune de l’enfant se distingue des EBH par l’examen anatomopathologique et immunopathologique. Le syndrome de Kindler se caractérise par des bulles acrales, des syndactylies et une poïkilodermie généralisée progressive. Cette entité paraît distincte des EBD qu’il peut simuler. L’épidermolyse bulleuse acquise ne pose guère de problèmes diagnostiques avec les EBH sauf dans les formes localisées prétibiales; l’immunofluorescence directe montre les dépôts d’IgG qui sont toujours absents dans les EBH.


[modifier] Traitement

Il existe en France, comme dans d’autres pays, une association de malades atteints d’EBH, l’EBAE (http://www.ebae.org), ce qui témoigne de la difficulté de la prise en charge de ces malades par les familles concernées. Des Centres de Référence Maladies Rares ont été créés sur le territoire français pour faciliter la prise en charge diagnostique et thérapeutique des EBH. Il n’existe actuellement aucun moyen de modifier radicalement l’évolution spontanée des EBH. Les mesures symptomatiques ont donc une importance considérable. Les problèmes les plus graves sont posés par les EBDR et les EBJ, à un moindre degré par l’EBS-DM, qui nécessitent une prise en charge spécifique. Une information détaillée sur la maladie, un soutien matériel et psychologique doivent être apportés aux malades et à leurs parents par les médecins et le personnel infirmier.

Traitement local préventif des décollements post-traumatiques

Ces mesures, communes à toutes les EBH, doivent être détaillées et comprises des parents et des soignants. Il faut éviter toute manipulation brutale, utiliser des vêtements amples; les couches de préférence en coton, doivent être rembourrées aux zones de friction; les chaussures doivent être larges et souples. L’environnement doit aussi être adapté de façon à limiter au maximum les traumatismes (moquette, rembourrage des coins des meubles, jouets souples, atmosphère non surchauffée). En cas de lésions buccales, les tétines doivent être adaptées, et l’alimentation doit être liquide ou semi-liquide. À l’âge scolaire, l’activité sportive n’est pas conseillée. L’orientation vers un métier non manuel doit être envisagée tôt.

Traitement des plaies post-traumatiques

Traitement local Les pansements doivent être épais, non adhérents, sans adhésif à même la peau. Les décollements étendus sont traités par des soins de type «grands brûlés» avec prévention des surinfections par utilisation d’antiseptiques peu toxiques voire d’antibiotiques. Les bains aident au décollement atraumatique des pansements. Les pansements occlusifs ou semi-occlusifs favorisent parfois la cicatrisation. Des greffes d’épiderme de culture sont parfois utilisées.

Traitement général En cas de surinfection, le recours à l’antibiothérapie générale est souvent nécessaire. Les antalgiques doivent être utilisés avant les grands pansements. Les EBJ et EBDR se compliquent aussi d’anémie et de dénutrition à compenser par des apports adaptés (fer, protéines, aliments hypercaloriques, vitamines). Les lésions digestives des épidermolyses bulleuses dystrophiques récessives nécessitent une alimentation liquide. La kinésithérapie et les orthèses sont souvent nécessaires dans les EBDR.

Traitements de fond

Aucun traitement de fond n’est régulièrement efficace dans les EBH, quelle que soit leur forme. Toutefois, certains traitements améliorent parfois la symptomatologie. Certains sont classiques, d’autres plus anecdotiques. La corticothérapie générale courte pourrait améliorer certaines poussées d’EBJ. Ce type de traitement n’est toutefois pas habituellement recommandé au cours des EBH. La vitamine E à fortes doses a été préconisée dans diverses variétés d’EBH, en particulier l’EBDD, mais son efficacité est controversée. La diphénylhydantoïne (Dihydan), un inhibiteur de la collagénase, a été proposée dans l’EBDR; l’amélioration obtenue est proportionnelle aux taux sanguins qui doivent être supérieurs à 8 g/ml; la dose initiale, 3 mg/kg/jour en deux prises, est adaptée en fonction des taux sériques obtenus. Le fait que la réponse au Dihydan soit très variable et imprévisible, et l’exclusion du rôle de la collagénase dans la pathogénie des EBD, font mettre en doute sa réelle efficacité. Il a également été utilisé dans certaines formes d’EBJ. De façon anecdotique, des résultats positifs ont été rapportés avec des inhibiteurs de protéases, les cyclines, la ciclosporine.

Traitements chirurgicaux

Les sténoses œsophagiennes des EBDR peuvent être traitées par dilatations endoscopiques itératives ou chirurgicalement par transposition colique. Une gastrostomie d’alimentation devient parfois nécessaire. Lorsque les déformations des mains conduisent à l’impotence fonctionnelle, des interventions chirurgicales deviennent nécessaires : réduction des contractures, séparation des syndactylies. Enfin, l’exérèse de carcinomes spinocellulaires est parfois nécessaire au cours des EBDR. Toute intervention chirurgicale chez un enfant atteint d’EBH, et en particulier d’EBDR, nécessite des précautions anesthésiques et techniques exceptionnelles afin de ne pas provoquer de décollement cutané ou muqueux.

Perspectives

La génétique moléculaire fait entrer l’histoire des EBH dans une ère nouvelle [4, 5, 8, 19]. La mise en évidence de nouvelles mutations a permis d’affiner la classification de ces génodermatoses, la compréhension de leurs variations phénotypiques et l’identification de mutations à partir d’échantillons d’ADN obtenus par biopsie de villosités choriales dès la dixième semaine d’aménorrhée. Actuellement, les EBH constituent un champ d’action idéal pour une approche de thérapie génique basée sur le transfert de gènes curatifs ex vivo dans des cultures de kératinocytes de patients. La reconstruction d’épithéliums à partir de kératinocytes épidermiques génétiquement modifiés a permis l’obtention de feuillet épidermiques transplantables re-exprimant la protéine (laminine 5, collagène VII ou intégrine ) défectueuse chez les patients. Des essais précliniques sur des chiens porteurs de formes spontanées d’EBJ non H et d’EBDR ont montré la faisabilité de la thérapie génique ex vivo. Un essai clinique chez un patient souffrant d’une EBJ non H causée par un défaut d’expression de la chaîne 3 de la laminine 5 a montré que cette approche thérapeutique était réalisable chez l’homme [14]. D’autres essais de ce type sont prévus à brève échéance.


[modifier] Centres de référence maladies rares

Pour aider les patients et leur famille et optimiser leur prise en charge des centres de référence ont été labellisés par le ministère de la santé. Ces centres ont pour mission de : Permettre au malade et ses proches de trouver une prise en charge globale : - en améliorant l’accès au diagnostic et son annonce, - en définissant, en organisant et en réévaluant régulièrement la stratégie de prise en charge et le suivi interdisciplinaire dans le cadre d’une filière de soins identifiée et cohérente, - en veillant à l’information et la formation du malade et de sa famille. Guider et coordonner les professionnels de santé non spécialisés participant à la prise en charge de proximité du malade (acteurs de soins ou sociaux de proximité, centre hospitalier proche du malade) en les informant et les formant sur la pathologie et sa prise en charge. Participer : - à la surveillance épidémiologique de la maladie, - à l’animation des recherches et essais thérapeutiques, - à la diffusion (indications et prescriptions) et au suivi des thérapeutiques et dispositifs orphelins, - à la mise en place de bonnes pratiques professionnelles concernant la pathologie, en liaison avec les équipes nationales et internationales travaillant dans le même domaine, - s’engager dans une dynamique de coordination entre centres prenant en charge la même pathologie ou groupe de pathologies, - être l’interlocuteur des autorités administratives et des associations de malades pour oeuvrer à l’amélioration de la prise en charge et de la qualité de vie du malade (et de sa famille). Il existe actuellement trois centres de référence sur les EBH en France : Service de dermatologie, Pr Lacour, hôpital Archet 2 CHU de Nice Service de dermatologie, Pr Bodermer, hôpital Necker APHP Service de dermatologie, Pr Taïeb, CHU de Bordeaux


[modifier] Bibliographie

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