Vedem

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Vedem (« Nous menons » en tchèque) était un magazine littéraire en langue tchèque publié de 1942 à 1944 au camp de concentration de Theresienstadt. Il était fabriqué artisanalement par un groupe de jeunes garçons de 13 à 15 ans, sous la direction du jeune Petr Ginz. Au total, 800 pages de Vedem seront retrouvées après la guerre.

Sommaire

[modifier] Histoire du magazine

Le magazine était entièrement écrit, édité et illustré par de jeunes garçons qui vivaient dans la baraque L147, dite « Maison Une », à laquelle les garçons faisaient référence sous le nom de « République de Škid ». Au total, à peine une centaine de garçons vivait dans les baraques, que les enfants rebaptisèrent d'après une coopérative pour enfants établie par Anton Makarenko en Union soviétique à destination des orphelins de la révolution communiste. La plupart des garçons moururent à Auschwitz, une quinzaine verront la fin de la guerre.

La Terre vue de la Lune, par Petr Ginz, croquis emporté par Ilan Ramon lors du vol de la navette Columbia qui s'acheva tragiquement par la désintégration de l'appareil.
La Terre vue de la Lune, par Petr Ginz, croquis emporté par Ilan Ramon lors du vol de la navette Columbia qui s'acheva tragiquement par la désintégration de l'appareil.

Vedem comprenait des poèmes, des essais, des blagues, des dialogues, des critiques littéraires, des histoires et des dessins. Les onze dernières pages sont une pièce de théâtre, À la recherche des fantômes, écrite par Hanuš Hachenburg, qui mourut plus tard à Auschwitz. Les exemplaires étaient copiés à la main et lus dans les baraques le vendredi soir. Pendant un certain temps, les nouveaux numéros étaient aussi annoncés sur le tableau d'affichage des baraques, mais cette pratique cessa par mesure de prudence en raison des inspections régulières des SS. L'esprit satirique de nombreux articles aurait en effet pu mettre en danger les garçons.

Les auteurs de Vedem tiraient leur inspiration de leur professeur, personnage charismatique pour les jeunes de l'enceinte, Valtr Eisinger (décédé en 1945 près de Buchenwald), qui vivait dans les baraques et supervisait les garçons avec Josef "Pepek" Stiassny. Eisinger était à l'origine enseignant en langue et littérature tchèque avant d'être révoqué par les nazis puis déporté à Theresienstadt en 1942. À Theresienstadt, il utilisa son expérience de l'enseignement pour développer l'étude et l'amour de la littérature chez les garçons. Il les encourageait à s'exprimer de manière créative, à décrire à la fois ce qu'ils voyaient, souvent de manière humoristique, et ce qu'ils espéraient de l'avenir. C'est probablement sous son influence que les garçons adoptèrent une fusée s'envolant d'un livre pour aller à une étoile, inspirée par Jules Verne, comme symbole de leurs baraques et de leur magazine.

Eisinger et Stiassny ne contribuèrent pas directement à Vedem, à l'exception de quelques éditoriaux et, s'agissant de Eisinger, quelques traductions du russe. Les articles étaient entièrement écrits par les garçons, qui vagabondaient dans le camp à la recherche de sujets. Tous les garçons choisirent un surnom pour signer leurs articles : des initiales mystérieuses, un pseudonyme, plus ou moins personnel parfois (« bêta », « bolchevique » ...), avec des variations souvent. Ainsi, l'un de ces contributeurs prolifiques, Jiří Grünbaum, s'appelait alternativement « Šnajer le médecin », « Šnajer le socialiste » ou simplement « Šnajer », selon son humeur. Il est aujourd'hui presque impossible de savoir qui se cachait derrière ces surnoms. Au cours de l'année 1943, dix des rédacteurs les plus productifs commencèrent à se désigner comme l'« Académie ».

Petr Ginz (1928 - 1944), dit « nz », était l'un des plus importants contributeurs de Vedem. Il devint à quatorze ans le premier et seul rédacteur-en-chef du magazine. Ginz fut déporté et gazé à Auschwitz, à l'âge de quinze ans. Un dessin de Ginz représentant la Terre vue de la Lune fut emporté par l'astronaute israélien Ilan Ramon lors du vol de la navette Columbia qui s'acheva tragiquement le 1er février 2003 par la désintégration de l'appareil à son retour dans l'atmosphère.

Les garçons essayaient autant que possible de créer un vrai magazine, ajoutant même un prix sur la couverture, par plaisanterie. En plus de la poésie, des récits d'aventure et des critiques de livres, le journal comprenait une rubrique très populaire, la « phrase de la semaine ». Une phrase de « Šnajer le médecin » figura ainsi une fois dans cette rubrique : « J'ai peur de parler. Je pourrais dire quelque chose de bête ». « Embryon » fut également à l'honneur : « Le football est le meilleur des jeux, juste après le Monopoly ».

Dans un article sur le livre La Case de l'oncle Tom, le destin des esclaves afro-américains était comparé à celui des juifs de Theresienstadt : il était relevé que jusqu'à ce que les déportations commencent, le sort des afro-américains était pire car leurs familles étaient séparées ; mais depuis les déportations, les deux groupes souffraient de manière équivalente. Une autre rubrique populaire était « Promenades dans Terezín » par Petr Ginz, dans laquelle celui-ci retraçait ses visites dans différentes institutions du ghetto et ses interviews des personnes qu'il rencontrait. Ses promenades le menèrent à la boulangerie, la maternité de l'hôpital, la station de lutte contre l'incendie et même une incursion effrayante au crématorium.

[modifier] Conservation et publication

En 1944, la plupart des habitants de la caserne L147 avaient été déportés dans les chambres à gaz d'Auschwitz et le magazine cessa de paraître. Sur la centaine de garçons qui avaient participé à l'aventure du magazine, une quinzaine seulement survécut. Un seul, Zdeněk Taussig, resta à Theresienstadt jusqu'à la libération du camp en mai 1945. Il avait caché le manuscrit du magazine dans un atelier de forgeron où son père avait travaillé et l'emporta avec lui à Prague à son départ du camp.

Après la guerre, les rares survivants revinrent chez eux en Tchécoslovaquie ; certains émigrèrent aux États-Unis, au Canada et en Europe de l'Ouest. Le manuscrit demeura en Tchécoslovaquie. Sous le régime communiste, jusqu'en 1968, les efforts en vue de sa publication furent constamment contrariés. Des extraits furent passés en fraude vers Paris, où ils furent publiés par le magazine des tchèques émigrés Svĕdectví. Un samizdat dactylographié fut publié simultanément en Tchécoslovaquie, et re-publié dans les années 1980. Cette dernière version fut présentée à la foire du livre du Francfort en 1990.

Des extraits de Vedem, illustrés avec des dessins qui avaient figurés dans le magazine, furent publiés avec une préface de Václav Havel sous le titre Nous sommes des enfants aussi : Vedem, le magazine secret des garçons de Terezín en 1994. Kurt Jiři Kotouč et Zdenĕk Ornest, qui avaient participé au magazine à Theresienstadt, travaillèrent à la publication de cette sélection.

La collection complète de Vedem est aujourd'hui conservée au mémorial de Terezín en République tchèque.

[modifier] Liens externes

[modifier] Sources

  • (en) Terezín. Council of Jewish Communities in the Czech Lands, 1965.
  • (en) We Are Children Just the Same: Vedem, the Secret Magazine by the Boys of Terezin. Ed. Zdenek Ornest, Marie Rut Krizkova, et. al. Philadelphia: Jewish Publication Society of America, 1995. ISBN 082760534X.