Ultimatum de Khrouchtchev

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L'expression « Ultimatum de Khrouchtchev » désigne l'une des crises politiques les plus graves de l'histoire de Berlin pendant la guerre froide.

Sommaire

[modifier] Origine

Le sort de l'Allemagne nazie fut décidé par les alliés lors de la conférence de Yalta et de la conférence de Potsdam en particulier.

« L'Allemagne, à l'intérieur de ses frontières de 1937[1], sera pour les besoins de l'occupation divisée en trois, qui seront chacune attribuée à l'une des trois puissances[2] et une région spéciale de Berlin qui sera placée sous l'occupation conjointe des trois puissances. »[3]

[modifier] Déroulement

Pendant l'automne[4] 1958, plusieurs responsables politiques du Pacte de Varsovie (l'Allemand de l'Est Walter Ulbricht[5], le Soviétique Nikita Khrouchtchev[6] et le Polonais Wladyslaw Gomulka[7]) remirent publiquement à plusieurs reprises le statut de Berlin en question. À l'unisson, la presse communiste européenne entama à son tour une campagne dans ce sens.

Le 27 novembre 1958, le premier secrétaire du parti communiste soviétique Nikita Khrouchtchev envoya une note de 9 600 mots[8] aux trois occupants occidentaux (les États-Unis, la Royaume-Uni et la France), ainsi qu'au gouvernement de la République fédérale allemande dans laquelle il proposait d'abroger le statut quadripartite de l'ancienne capitale du Reich et de transformer Berlin en une « ville libre » démilitarisée, dotée d'un gouvernement propre garanti par les quatre puissances ex-occupantes, la RDA, la RFA, voire l'ONU. Ce qui impliquait que toutes les troupes alliées soient retirées de la ville. Ce nouvel « État » aurait entretenu des relations privilégiées avec la RDA et l'URSS, en particulier en « interdisant toute activité subversive »[9] contre la RDA et en accroissant son commerce avec l'Union soviétique[10].

Selon Khrouchtchev, la partition de Berlin était devenue anachronique et ne se justifiait plus. La présence occidentale à Berlin était devenue illégitime, en particulier à la suite de la création de la République fédérale allemande, surtout après l'autorisation du réarmement de la RFA (accords de Paris en 1955). Dans une conférence de presse qu'il tient le même jour au Kremlin, Krouchtchev n'hésite pas à qualifier Berlin-Ouest d' « espèce de tumeur cancéreuse » sur laquelle il propose une « opération chirurgicale ». Il relève toutefois que sa démarche n'est pas un ultimatum[11].

L'arrière-pensée manifeste de cette proposition était d'intégrer complètement la ville dans le domaine d'influence soviétique. La rédaction en était relativement ambiguë, mais elle ressemblait davantage à un diktat qu'à une simple proposition : Krouchtchev accordait par exemple seulement six mois aux Occidentaux pour entamer des « négociations ».

Krouchtchev était cependant particulièrement menaçant en ajoutant : « Seuls des fous pourraient aller jusqu'à déclencher une autre guerre pour défendre le privilège d'occuper Berlin-Ouest »[12]. Deux jours après l'ultimatum de Krouchtchev, Walter Ulbricht déclara qu'il considérerait un nouveau pont aérien comme une menace militaire dirigée contre la RDA[13].

La réaction des trois puissances occidentales, du gouvernement allemand et du maire en exercice de Berlin-Ouest Willy Brandt fut tout aussi résolue. Les Américains prirent acte de la note en dénonçant son caractère unilatéral et marquèrent ostensiblement leur présence à Berlin. Le 7 décembre, eurent lieu des élections municipales à Berlin-ouest. Le maire socialiste Willy Brandt et le chancelier démocrate-chrétien Konrad Adenauer firent campagne ensemble pour battre les communistes[14].

Le 31 décembre de la même année, les puissances occidentales envoyèrent une réponse formelle commune à la proposition réfutant l'argumentaire juridique de Krouchtchev, réaffirmant de leur droit d'être à Berlin et imputant la responsabilité de la crise à l'URSS, mais faisant part de leur ouverture à des négociations concernant l'ensemble de l'Allemagne[15].

Au bout des six mois, l'ultimatum prit fin sans résultat tangible.

On peut attribuer le fait que la crise ne conduisit pas à une escalade, à la réaction très ferme et mesurée de Willy Brandt, de Konrad Adenauer et des puissances alliées[16]. Mais il est probable que l'insuccès de cette crise ne fut pas pour rien dans la décision de construire le Mur de Berlin en août 1961.

[modifier] Objectifs

L'acceptation de la proposition par les Occidentaux aurait représenté une reculade considérable : seuls les secteurs de Berlin-Ouest étant concernés. Les objectifs de Khrouchtchev étaient probablement multiples :

  • s'emparer sans coup férir du contrôle total sur Berlin par un chantage à la guerre. Les forces conventionnelles étaient en effet à l'avantage des Soviétiques et la menace d'une riposte atomique hautement improbable.
  • supprimer à terme le « chancre capitaliste » que représentait Berlin-ouest ;
  • colmater la brèche par laquelle la RDA continuait à connaître une importante déperdition (l'émigration vers l'Ouest se faisant alors presque uniquement par Berlin).
  • consacrer la division allemande en accentuant le clivage Est-Ouest[17].
  • tester les Occidentaux en essayant de semer la zizanie dans l'OTAN.

[modifier] Notes

  1. Amputée toutefois de la Prusse-Orientale et des territoires à l'est de l'Oder-Neisse.
  2. La France ne sera incluse dans le partage que le 26 juillet 1945.
  3. Article premier du protocole anglo-américano-soviétique du 12 septembre 1944, confirmé à Yalta. Cité par André Fontaine Histoire de la guerre froide tome 2, page 349
  4. Selon André Fontaine, la campagne orchestrée contre le statut de Berlin commença dès le mois de mars, mais fut mise en veilleuse en raison des événements qui se produisirent pendant l'année.
  5. Le 27 octobre 1958 à Berlin.
  6. Le 10 novembre 1958 au stade Lénine à Moscou, en présence de Gomulka, et en reprenant à son compte l'argumentaire d'Ulbricht.
  7. Le 29 octobre 1958.
  8. André Fontaine, Histoire de la guerre froide, tome 2, page 350
  9. André Fontaine y voit le souci de préparer le prétexte de la future annexion de la ville à l'Allemagne de l'Est.
  10. Anne-Marie Le Gloannec, Un Mur à Berlin, page 47
  11. André Fontaine, Histoire de la guerre froide, page 351.
  12. Anne-Marie Le Gloannec, Op. cit., page 49
  13. Anne-Marie Le Gloannec, Un Mur à Berlin, page 51
  14. Les communistes du SED obtinrent moins de 2% des voix.
  15. Les Soviétiques, par l'intermédiaire de leur ministre des affaires étrangères, Andrei Gromyko, tentèrent vainement à plusieurs reprises de dissocier les deux dossiers, Berlin et la question allemande.
  16. Le gouvernement français, empêtré dans la guerre d'Algérie fut assez discret au début.
  17. À l'époque, la RDA n'était pas reconnue par les États-Unis.

[modifier] Sources

  • Anne-Marie Le Gloannec, Un Mur à Berlin, Éditions Complexe, Bruxelles, 1985 ;
  • André Fontaine, Histoire de la guerre froide, tome 2 De la guerre de Corée à la guerre des alliances. 1950-1971, Points Histoire 1983.