Survivre avec les loups (roman)

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Survivre avec les loups (titre original : Misha: A Mémoire of the Holocaust Years) est un récit de Misha Defonseca, écrit en collaboration avec Vera Lee[1], qui a mis en forme et rédigé le livre. Il est paru en France en 1997 aux Éditions Robert Laffont, après avoir été publié aux États-Unis, à Boston, par les éditions Mt. Ivy Press. Il raconte l’histoire d’une petite fille pendant la Seconde Guerre mondiale. Il a été traduit en 18 langues et adapté au cinéma en 2007 par Véra Belmont dans un film éponyme. Il a été vendu à plus de 200 000 exemplaires dans sa version française[2],[3]. En février 2008, à la suite d’une polémique relayée par Internet et la presse belge, l’auteure a été obligée de reconnaître que son récit n’était pas autobiographique comme elle l’avait longtemps prétendu mais était une histoire inventée.

Un loup
Un loup

Sommaire

[modifier] Le livre

[modifier] L’histoire

L’édition utilisée pour analyser l’intrigue de Survivre avec les loups est l’édition Pocket de 2005.

Le livre, écrit à la première personne du singulier, commence par la quête infructueuse de la narratrice, Mishke, pour retrouver à Bruxelles les traces de sa petite enfance. Elle se rappelle ensuite cette époque où elle vivait quasi cloîtrée dans un appartement sauf pour aller à l’école. La fillette se réfugie souvent dans son imaginaire. Un jour, son père ne vient pas la chercher à l’école. Une vieille femme l’emmène dans un autre quartier où elle est confiée à une famille d’accueil sans tendresse. Elle y est très malheureuse. Elle doit rapporter à la maison les provisions venant de la ferme du grand-père. Rapidement, une véritable complicité s’installe entre elle et le vieil homme. Il lui apprend que ses parents ont été arrêtés et déportés à l’Est par les Allemands. Pour la consoler de la méchanceté de Marguerite, sa mère d'accueil, il lui offre un jour une petite boussole incrustée dans un coquillage.

Quand Mishke apprend à l’automne 1941 qu’elle ne peut plus se rendre à la ferme du grand-père, elle décide de partir chercher ses parents à l’Est. Elle vole une musette, un couteau, de la ficelle, du pain et deux pommes et s’enfuit, avec comme seul guide, la boussole que Ernest lui a offert. Au bout de deux jours de marche, elle commence à voler dans les fermes pour se nourrir. Elle est parfois obligée de manger des vers de terre, des baies, de l’herbe pour tromper sa faim[4]. Elle passe en Allemagne alors que l’hiver arrive. Elle se nourrit de carcasses d’animaux morts, de vermine. Malgré, les vomissements et les diarrhées causés par son alimentation, elle continue à avancer. Elle finit par arriver en Pologne. Alors qu’elle vole de la nourriture dans une ferme, elle est blessée et s’évanouit dans la forêt. Quand elle se réveille elle se retrouve face à un loup[5] ou plutôt une louve.

Reste du mur du ghetto de Varsovie
Reste du mur du ghetto de Varsovie

L’animal et la petite fille s’adoptent mutuellement.. La louve la protège même de son nouveau compagnon, un grand loup noir. Hélas, les deux loups sont tués par un chasseur. Après avoir assisté à l’agonie d’un déporté juif, assassiné par « jeu » par les Nazis, Mishke est capturée par des partisans polonais. Elle se retrouve ensuite devant une colonne juive avec qui elle entre dans ghetto de Varsovie à la recherche de ses parents. Terrorisée par la violence des Allemands et révoltée par l’indifférence des habitants[6] du ghetto devant le sort des enfants faméliques et des morts, elle s’enfuit du ghetto en passant par dessus le mur. Poursuivant sa route vers l’est, elle trouve un soir refuge dans un caverne avec des louveteaux. Elle parvient à se faire adopter par le meute. Les loups partent même une fois à la chasse en la laissant seule avec les louveteaux[7]. Elle se nourrit des restes de loups. Mishke se décide à quitter la meute et continue sa route vers l’est avec deux petits devenus adultes . Un jour, elle assiste au viol et à l’assassinat d’une jeune russe par un soldat allemand[8]. Terrifiée, elle le tue à coups de couteau[9]. Elle est ensuiter le témoin impuissant et révolté du massacre par les nazis d'un convoi d'enfants.

Adandonnée par les loups, Mishke entame le chemin du retour. Elle rencontre des charniers, des villages brûlés et abandonnés. Elle traverse la Moldavie, la Roumanie. Elle atteint une gare et parvient à prendre un train qui s’arrête au pied d’une montagne. La traversée de cette montagne la mène au bord de la mer en Yougoslavie. Elle s’évanouit et se réveille dans un bateau qui transporte des réfugiés vers l’Italie. Le pays a été libéré par les Américains et elle peut voyager sans crainte. Elle traverse la France. Elle pense retrouver ses parents en Belgique. La voilà de retour dans la banlieue où elle vivait avec la « virago ». Elle se retrouve avec d’autres enfants qui vivent de chapardages. Mais ce groupe fraternel est dispersé par le suicide d’un de ses membres. Recueillie par la police belge, elle est identifiée par le grand-père comme étant Monique Valle. La police la confie alors à Sybil et Léontine, deux vieilles filles enseignantes qui prennent en charge son éducation. Elle garde intacte sa rage et son indépendance.

Le dernier chapitre raconte brièvement la vie d’adulte de la narratrice, une courte carrière d’institutrice, un emploi dans une compagnie maritime qui fait découvrir le Congo belge, un mariage sans amour avec un Juif séfarade qui lui laisse un fils, un second mariage particulièrement heureux avec Maurice, le retour au judaïsme aux États-Unis…

[modifier] Les personnages

Conquêtes allemandes (bleu) pendant la Seconde Guerre mondiale.
Conquêtes allemandes (bleu) pendant la Seconde Guerre mondiale.
  • La narratrice Mischke, appelée par ses tutrices Monique Valle, se présente dans le premier chapitre comme un « loup égaré dans la ville »[10]. Elle se décrit comme une adolescente de 17 ans, blonde, « couverte de plaies et de croûtes », une sauvage rétive aux règles de vie qu’on veut lui imposer. Elle revient ensuite sur son enfance. En 1941, c’est une petite fille de 7 ans, pleine de vie et d’imagination, qui souffre de ne pouvoir courir et sauter à sa guise car ses parents juifs se cachent dans un appartement. Après l’arrestation de ses parents, elle est confiée à une famille d’accueil et devient Monique Valle, 4 ans. Elle explique qu’elle peut passer pour une fillette de 4 ans parce qu’elle est de petite taille[11] mais, plus loin, elle précise qu’elle est solide et costaud et peut transporter chaque jour des paniers de victuailles sur plusieurs kilomètres[12]. Elle montre son caractère intrépide en traitant un jour un soldat allemand, rencontré dans un autobus, de « sale boche »[13]. Après son départ vers l’Est, elle fait preuve d’une grande insensibilité à la douleur et d’une froide détermination à atteindre son but[14]. Dès le premières semaines de son périple, elle acquiert une grande insensibilité à la douleur[15] et fait preuve d’une résistance physique hors norme. Peu à peu son apparence physique se transforme. Arrivée en Pologne, après quelques temps avec un couple de loups, elle se décrit comme « couverte de plaies, la peau crevassée »[16], comme étant devenue loup. Ses vêtements deviennent peu à peu de guenilles. Elle est tellement sale qu’elle finit par avoir une odeur plus animale qu’humaine. C’est du moins comme cela qu’elle explique le peu de méfiance de la vieille louve à son égard[17]. Avec les loups, elle fait preuve d’esprit d’observation et de patience pour comprendre leurs mœurs et se faire adopter par eux. La solitude dans laquelle a vécu Mishke est palpable lorsqu’elle renonce temporairement à trouver ses parents pour faire partie de la meute de loups. La narratrice écrit alors : « J’appartenais à un clan, à une famille, je n’étais plus seule et je pouvais jouer surtout. Le jeu m’avait tant manqué ! »[18] Lorsqu’elle est le témoin de l’exécution sommaire d’enfants par les nazis, elle prend conscience des dangers qu’elle court et du côté chimérique de son entreprise. De retour en Belgique, elle a le plus grand mal à s’adapter à la vie sociale. Elle a entre autres des grandes difficultés de langage[19].
  • Les tutrices de Mishke après 1945, Sybil et Léontine, deux vieilles filles très pieuses qui s’efforcent d’éduquer la narratrice, qu’elles connaissent uniquement sous le nom de Monique Valle dans le catholicisme. Elles ne croient pas en l’histoire du périple de Mishke, ni en sa judéité. Elles prennent soin d’elle mais ne la comprennent pas.
  • La mère, Gerusha, est une Juive russe. C’est une belle femme brune, aux yeux sombres, qui a gardé un fort accent russe. Elle est arrêtée en 1941 par les Allemands. Elle est pour la narratrice l’image même de l’amour et de la douceur. C’est elle qui manque le plus à Mishke et que la petite fille veut retrouver.
  • Le père, Reuven, est un Juif allemand blond. Il parle aussi bien l’allemand que le français. Il refuse de porter l’étoile jaune. Il est arrêté par les Allemands en 1941.
  • La mère d’accueil en 1941, Marguerite : la narratrice la surnomme la « virago » et souligne son âpreté au gain. C’est une femme sèche aux cheveux gris mauve, une bourgeoise catholique. Elle confie un jour à une parente : « si elle [Mishke] s’en va, ça m’est égal, mais si Janine [la bonne] devait me quitter, j’en pleurerais des larmes de sang » »[20]. Elle humilie sans cesse la petite fille. C’est avec elle que Mishke fait l’apprentissage de la haine.
  • Le grand père, Ernest : c’est en fait l’oncle du père. Il a une ferme qui permet à la famille de s’alimenter sans restriction. Il est décrit comme étant un incroyant de gauche, un moqueur qui n’apprécie ni sa nièce par alliance, ni son petit neveu. Lui et sa femme Marthe sont les seuls à être gentils avec Mishke, qu’ils surnomment affectueusement « mon petit coco ». Il dit à la petite fille : « Les bêtes, c’est mieux que les hommes. Les bêtes ne te veulent pas de mal, elles sont reconnaissantes… Un animal ne tue que pour manger. L’humain tue pour n’importe quoi. »[21] Il lui apprend aussi à ne pas avoir peur. La narratrice explique que le grand-père lui a transmis cette « philosophie de vie ».
  • La grand-mère, Marthe : elle a perdu son fils très jeune. Elle se prend d’une grande affection pour Mishke qui est pour elle un fils de remplacement. Elle l’appelle Joseph comme son fils défunt.

[modifier] Analyse

Bernard Fixot, l’éditeur français, Vera Belmont et Gérard Mordillat qui ont adapté Survivre avec les loups pour le cinéma soulignent qu’il s’agit d’une belle histoire, une histoire de quête et de survie dans le chaos de la Seconde Guerre mondiale et de la Shoah.

Une boussole, objet vénéré par Mishke.
Une boussole, objet vénéré par Mishke.

Plusieurs thèmes ressortent de ce récit. La quête de la mère traverse tout le roman. La beauté et la douceur de la mère sont idéalisés. La narratrice va même jusqu’à identifier la louve qu’elle rencontre en Pologne à sa mère. Elle l’appelle d’ailleurs « ma maman Rita »[22]. La fourrure de la bête lui rappelle la chaleur de la chevelure maternelle. Lors de sa deuxième rencontre avec une meute de loups, la mère des louveteaux accepte même de la nourrir. Elle est tellement heureuse de faire partie de la meute qu’elle arrête de rechercher ses parents. Lorsqu’elle est chez les partisans russes, Malka, une autre figure maternelle, lui fait prendre son premier bain depuis son départ.

En contrepoint, la mesquinerie, l’opportunisme, l’avarice de Marguerite, la mère d’accueil sont des traits particulièrement appuyés par Misha Defonseca et Vera Lee. La petite fille l’entend dire à une amie : « tu vois ce que j’ai sur les bras » ; ce qui montre que la petite Juive que Marguerite a accepté d’héberger contre 75 000 francs est un fardeau. Puis elle ajoute : « Dans le fond, si les Allemands gagnent, on leur la donnera… et s’ils perdent, on pourra toujours dire qu’on a fait quelque chose pour elle[23] » Ainsi Mishke comprend qu’elle n’est qu’un pion au service des intérêts de la famille de Marguerite. L’amour et la haine sont les deux moteurs qui donnent à la petite fille la force de partir vers l’est retrouver ses parents. C’est aussi la haine qui lui permet de tuer un soldat allemand qui l’avait repérée[24].

Le second moteur est la résistance à toute épreuve de Mishke et sa haine des hommes. Elle supporte tout, la faim, le froid, la douleur, les pieds à vif. Elle n’écoute ni la douleur, ni la faim et continue à avancer par la seule force de la volonté gardant une lucidité à tout instant. Sa résistance et sa détermination sont nourris par la haine des hommes à qui elle préfère la compagnie des animaux, haine de Marguerite sa mère d’accueil, haine du soldat allemand qui tue le couple de loup avec qui elle vit en arrivant en Pologne, haine des Allemands encore qui tuent un déporté juif pour « s’amuser »[25]. La violence est un compagnon de voyage de la petite fille ; que ce soir se propre violence, elle casse les jambes de l’Allemand qui a tué maman Rita, elle tue un soldat allemand qui a violé une jeune russe ; la violence des adultes, elle voit quotidiennement des exécutions le peu de temps qu’elle passe avec les partisans polonais, des exécutions sommaires dans le ghetto de Varsovie[26]. De retour à la vie « normale » en Belgique, elle garde intacte cette rage et cette résistance qui lui font refuser l’éducation petite bourgeoisie catholique qu’on lui donne.

À partir du moment où la narratrice rencontre la louve grise, le récit s’attache à évoquer l’adaptation de la petite fille aux mœurs des loups. Elle se plaque à terre quand la louve retrousse ses babines en signe de soumission. Elle se couche sur le dos quand le nouveau compagnon de sa protectrice la menace[27]. Puis elle se tient assise ou couchée la tête baissée face à ce mâle noir pour montrer encore sa soumission. Elle fait la même chose quand elle se trouve face aux mâles de la meute. Dans les deux cas, les femelles la protègent des mâles, de façon très maternelle. Après avoir quitté le ghetto de Varsovie, elle se retrouve de nouveau avec des loups : quatre louveteaux qui jouent tout de suite avec elle et une vieille louve baptisée « nounou » qui ne la considère pas comme un danger[28]. Il est à noter que la narratrice parle de partage de nourriture avec les loups alors qu’elle ne parle pas d’un tel partage avec les hommes. La narratrice prête aussi des sentiments et des pensées humaines aux loups. Lorsqu’elle joue avec les louveteaux qu’elle vient de rencontrer, elle pense que l’attitude de la vieille louve signifie : « Ça va, je ne suis pas inquiète, vous pouvez jouer, je surveille.[29] » Elle pense qu’elle est adoptée par la meute de loups parce qu’elle n’a pas peur d’eux et qu’elle éprouve pour eux un amour absolu. La mère devient à son tour une mère de substitution. Le mythe de la louve nourricière, qui remonte à Romulus et Rémus, a été repris par Kipling est encore une fois utilisé[30].

À la fin du livre, les thèmes du la mémoire et du témoignage sont abordés. La jeune fille de 16 ans décide de ne plus aller à l’école est fait semblant d’être paralysée. Pendant sa convalescence, elle écrit des brides de souvenirs dans un carnet. Mais parce qu’elle a aussi écrit que le curé, frère de ses tutrices, qui lui sert de garde malade, a tenté maladroitement de la séduire, le carnet est jeté au feu et elle est prise pour une affabulatrice. Pour les vieilles filles qui s’occupent d’elles, sa vie est un « torchon »[31]. La narratrice évoque sa colère de ne pas être crue, sa déception de ne pas pouvoir changer son identité et de rester à jamais Monique Valle[32]. La difficulté d’être crue émaille ce dernier chapitre. Elle refuse pendant longtemps de raconter son histoire à son second mari, Maurice, Lorsqu’elle essaie en Europe de contacter un rabbin, celui-ci lui demande : « Vous êtes certaine d’être juive ? »[33] Ce n’est qu’au États-Unis qu’elle raconte son histoire à son mari et à un rabbin. La mort de son chien réveille toutes les douleurs passées. Lorsqu’elle livre son histoire pour la première fois son histoire en public à la synagogue, une femme s’écrit : « Vous n’êtes pas une survivante de l’holocauste… Vous n’avez pas vécu les camps…[34] ». Avoir vécue des horreurs, ne pas être crue, ne pas être reconnue comme victime alimentent sa rage et sa souffrance.

Une synagogue américaine
Une synagogue américaine

[modifier] Critiques et ventes

  • « Dans un livre bouleversant, Misha Defonseca livre le secret d’une vie hors du commun. » Elle[35]
  • « Une fabuleuse histoire d’amour et de haine, mais aussi une immense leçon de courage. », Catherine Louquet, France-soir[36]


En 2005, le livre s’est classé en 18e position des meilleures ventes d’essais et documents. Lors de la révélation de la supercherie, il figurait à la 25e place des meilleures ventes d’essais et documents, tandis que son édition de poche était 6e du palmarès des poches[37]. Bernard Fixot, va envoyer aux libraires deux textes à glisser dans les exemplaires en circulation. Le premier de Misha Defonseca pour reconnaître son mensonge, le second, rédigé par l’éditeur, explique sa position. Ces deux textes seront intégrés à une réimpression du livre. L’indication « document-histoire vraie » sera remplacée par la mention « roman »[38].

[modifier] L’imposture littéraire

[modifier] La révélation de l’imposture

Misha Defonseca a affirmé pendant longtemps qu’il s’agissait de sa véritable histoire. Cette affirmation n’a guère été remise en cause publiquement jusqu’en août 2007, date à laquelle son éditrice, avec qui l’auteure était en conflit financier et judiciaire, commence à publier un blog[39] remettant en question la véracité du récit. La polémique fait surtout rage depuis la sortie du film de Vera Belmont. Serge Aroles, chirurgien et spécialiste des enfants-loups, publie le 8 janvier 2008[40] un article soulignant l’aburdité du comportement de Misha au sein de la meute de loups[41],[42]. Maxime Steinberg, historien de la déportation des Juifs de Belgique, intervient dans le débat et précise que la déportation des Juifs vers les camps d’extermination n’a débuté que le 4 août 1942, et non en 1941 comme l’écrit Misha Defonseca dans son récit. Ces propos sont repris par Regards[43], la revue du Centre communautaire laïc juif de Belgique. Les historiens pensent que Misha Defonseca s’appelle en fait Monique De Wael, née en 1937, et qu’elle était élève dans une école de Schaerbeek, à Bruxelles. De plus, elle ne serait pas juive. Ses parents, des résistants, ont été arrêtés le 23 septembre 1941 à leur domicile et déportés à Sonnenburg, à la frontière germano-polonaise. Son père est mort en 1944, sa mère en 1945[44].

L’hôtel de ville de Schaerbeek
L’hôtel de ville de Schaerbeek

La polémique est d’autant plus gênante qu’un des objectifs de la réalisatrice, Véra Belmont, était de parler de la Shoah aux enfants à partir d’une histoire vraie. Mais la polémique a pris fin avec les aveux de Misha Defonseca dans le quotidien belge Le Soir, le 28 février 2008. Elle y reconnaît en effet ne pas être juive, et avoir tout inventé car elle détestait sa vie[45]. Elle admet avoir « raconté une autre vie ». « Ce livre, cette histoire, c’est la mienne. Elle n’est pas la réalité réelle, mais elle a été ma réalité, ma manière de survivre » »[46]. Elle explique : « On m’appelait « la fille du traître » parce que mon père était soupçonné d’avoir parlé sous la torture à la prison de Saint-Gilles. À part mon grand-père, j’ai détesté ceux qui m’avaient accueillie. Ils me traitaient mal… C’est vrai que, depuis toujours, je me suis sentie juive et plus tard, dans ma vie, j’ai pu me réconcilier avec moi-même en étant accueillie par cette communauté.[45] » De fait, la vérité se révèle encore plus cruelle. Robert De Wael, son père, aurait accepté, après son arrestation, le marché proposé par les nazis : la possibilité de voir sa fille Monique s’il livrait les noms des membres de son groupe. Il aurait même participé aux interrogatoires de ses compagnons d’armes et aidé ainsi au démantèlement de son réseau de résistants. Il est ensuite emprisonné dans différents endroits avant d’être transféré à Sonnenburg à la frontière germano-polonaise, où il meurt d’épuisement en 1944. Joséphine Donvil, son épouse, passe elle aussi de prison en prison avant d’être déportée à Ravensbruck, où elle meurt en février 1945[47]. À la libération, le nom de Robert De Wael est effacé de la plaque de pierre apposée sur les murs de la mairie de Schaerbeek en l’honneur des fonctionnaires locaux victimes des nazis[47].

Certains craignent que cette histoire de faux récit ne verse de l’eau au moulin des négationnistes et des antisémites, comme semblent l’indiquer les blogs d’extrême droite qui abordent le sujet[48],[30]. Ce n’est pas le premier cas de mystification dans la littérature de la Shoah. Binjamin Wilkomirski, dans son livre Fragments d’une enfance, 1939-1948, rapporte le traumatisme psychologique connu par un adulte qui a été déporté enfant dans un camp de la mort et recouvre une partie de sa mémoire par bribes. Ce récit était en fait un faux, lui aussi.

[modifier] Comprendre la mystification

[modifier] Le rôle des éditeurs

La révélation de la mystification pose plusieurs questions, tout d’abord celle de la mythomanie de Misha Defonseca[49] puis, en second lieu, celle de la crédulité des médias, entraînant celle du public. Aux États-Unis, où le livre a été publié en premier, le débat sur la véracité du récit est resté peu médiatique, vu le peu de succès du livre (5 000 exemplaires vendus). L’historienne Deborah Dwork, auteure d’un livre sur les enfants juifs dans l’Europe nazie[50], et Lawrence L. Langer, historien spécialiste de l’holocauste[51], avaient émis des doutes sur la réalité de l’histoire racontée quand l’éditrice leur avait confié le manuscrit pour leur demander leur avis. Mais Jane Daniel ne tint aucun compte de leurs remarques[52]. Elie Wiesel et la Fondation nord-américaine pour les loups accordèrent au livre leur parrainage[53]. Vera Lee, qui a co-écrit le livre raconte dans un article publié en 2001 dans le Boston Globe, qu’en rédigeant l’histoire de Misha Defoncica, elle avait eu des doutes sur sa véracité. Elle contacta même une organisation américaine spécialiste de la transmission de la mémoire de la Shoah qui lui aurait confirmé que l’histoire était impossible. Vera Lee affirme que l’éditrice lui aurait dit de ne pas s’inquiéter, qu’il s’agissait des mémoires d’une enfant[54]. Jane Daniel, l’éditrice, certifia à Bernard Fixot, qui dirigeait à l’époque les Éditions Robert Laffont, que l’histoire était authentique[55]. Après la révélation de l’imposture de Binjamin Wilkomirsk en 1999, Jane Daniel commença à s’inquiéter. Elle déclara sentir un changement dans la profession car jusqu’à présent on avait jamais demander à un éditeur de vérifier la véracité des récits autobiographique qu’il publiait[54]. Elle publia alors un mémo sur le site Internet des éditions Mt. Ivy dans lequel elle citait les raisons qui permettaient de croire que le récit de Misha était vrai. Elle concluait en disant que la question se poserait de toute façon toujours. Après la révélation de l’imposture, l’éditrice américaine a déclaré ne pas avoir pu faire des recherches sur le récit de Misha Defonseca. Selon elle, la faute en incombe à Misha qui n’a fourni aucun renseignement sur le nom de ses parents, son âge et son lieu de naissance[56]. En fait, l’éditrice américaine ne s’acharna à prouver les mensonges de Misha Defonseca qu’après avoir été ruinée par cette dernière. En 2005, elle a été condamnée à payer 22,5 millions de dollars de dommages et intérêts à Misha Defonseca et à Vera Lee. Un des attendus du jugement spécifiait que « Mt. Ivy[57] et Mme Daniel ont intentionnellement causé des préjudices sur le plan émotionnel et psychologique à Mme Defonseca »[58]. L’avocat de l’auteure précisait même : « Après que Mt. Ivy l’a pressée d’écrire le livre et de se replonger dans ses douloureux souvenirs, Mme Defonseca a souffert de voir l’histoire de sa vie mal utilisée, mal représentée et détournée par Mt. Ivy ». On peut donc en déduire que le revirement de Jane Daniel est dû essentiellement à la perte ruineuse de ce procès. L’éditrice a d’ailleurs annoncé son intention d’intenter une action pour faire annuler le jugement[56].

Quand à Bernard Fixot, il justifie ainsi son choix de l’époque : « Notre métier n’est pas de découvrir la vérité à tout prix. Mon premier critère, c’est l’exemplarité du document, une histoire qui aide les gens à fonctionner, comme celle de cette petite fille plus forte que la barbarie »[55]. Mais un document n’est pas exemplaire s’il est faux. Le livre connut un fort engouement en Europe. On peut se demander si le succès aurait été le même si Survivre avec les loups avait été présenté comme une fiction et non pas comme une histoire vraie « exemplaire ». Karin Bernfeld écrit que le label histoire vraie a fait vendre ce livre et ce film mais parce que l’histoire était très romanesque. Elle souligne que Robert Antelme et Primo Levi avaient très peu vendu de leurs histoires vraies quand leurs livres étaient sortis[30].

[modifier] Crédulité et empathie

Camp de concentration d’Auschwitz
Camp de concentration d’Auschwitz

Au sujet de la crédulité des gens, il est intéressant de relever la réponse de Véra Belmont à la question posée par Tidhar Wald dans un entretien publié par le quotidien israélien Haaretz[59]. À la question sur les doutes concernant la véracité du récit de Misha, la réalisatrice répond : « C’est la même chose que pour les gens qui nient l’existence des camps de concentration. C’est une histoire vraie. Tout ce qui s’est passé pendant l’holocauste est incroyable et difficile à comprendre. C’est pour cela que les gens ont du mal à croire cette histoire. » L’argumentation est donc la suivante : c’est vrai parce que cela parait incroyable, comme la Shoah. Mais le fait que l’extermination des Juifs ait été inimaginable pour les contemporains et les ait plongés dans un état de sidération et d’accablement quand elle a été connue, n’implique pas l’abandon de tout esprit critique au sujet d’un « témoignage » écrit plus de cinquante ans après les faits par une personne qui avait sept ans au moment du récit qu’elle livre. Pour Survivre avec les loups, l’émotion et l’empathie l’ont visiblement emporté sur la raison. On est bien dans la dérive compassionnelle telle que l’analyse la philosophe Myriam Revault d’Allonnes dans son livre L’Homme compassionnel. La voix de la victime prévaut sur l’analyse politique ou historique. Elle est quasiment sacralisée. Karin Bernfeld relève que Serge Aroles avaient dénoncé la supercherie depuis plusieurs années sans être entendu. Elle pense que c’est parce qu’il touchait au sacré, et que par conséquence, on le suspectait immédiatement d’être « antisémite »[30]. Le lecteur et la réalisatrice s’identifient à la petite fille du livre. C’est d’autant plus facile que Véra Belmont est juive, née en Belgique de parents russes, comme la petite Misha, et que sa sœur a vécu cachée pendant l’occupation nazie. D’ailleurs, jusqu’au bout, la réalisatrice a témoigné de sa confiance envers la véracité du récit de Misha.

Après les aveux de Misha Defonseca, Véra Belmont revient en partie sur son opinion : « C’est difficile d’être juif, alors pas une seconde je n’ai pensé que quelqu’un endosse ce vêtement… Le reste, il y a des choses qui me paraissaient comme chez les enfants, comme dans ma propre mémoire, avec des choses vraies et d’autres au sujet desquelles je suis sûre d’avoir affabulé »[60]. La position de Véra Belmont est délicate. Il lui faut continuer à défendre son film, son engagement vis-à-vis de l’auteure, tout en rationalisant son aveuglement.

Dans une interview accordée aux chaînes publiques françaises[61], Misha Defonseca explique qu’étant donné la méchanceté des hommes, elle était attirée par l’animalité. Peut-être doit-on y voir une seconde raison à l’acceptation de l’invraisemblable : la croyance en une plus grande « humanité » des animaux par rapport aux hommes, même si celle-ci n’a jamais pu être démontrée. Dans cette Europe en guerre où les nazis se sont comportés comme les pires prédateurs de l’espèce humaine, les loups, animaux symboliques des peurs humaines, se montrent plus protecteurs que les hommes. C’est une belle parabole mais cela reste une fable.

Il reste aussi à évoquer le lecteur ou le spectateur. Philippe Di Folco, auteur de l’essai Les Grandes Impostures littéraires[62] déclare : « Un succès de librairie qui assène des inepties sur tel ou tel sujet ne peut exister qu’avec la complicité d’un public disposé à gober une illusion de savoir… Convenons-en, nous, lectrices et lecteurs, aimons parfois nous laisser berner »[63]. le public aime certes les destins extraordinaires et il est prêt à croire aux miracles. Cela explique pourquoi les destins hors du commun font souvent des succès littéraires. Mais la crédulité du public ne justifie pas qu’on le mystifie.

L’auteure a menti. Les différents éditeurs n’ont pas cherché à vérifier la fiabilité du récit. Bien plus, dès le début Jane Daniel savait qu’il y avait de grandes chances que l’histoire de Misha Defonsica soit un faux. Les journalistes européens ont acclamé le merveilleux témoignage et ne se sont fait que tardivement le relais des voix qui dénonçaient l’imposture. À ce sujet, on peut noter une différence de comportement entre les journalistes américains et les journalistes européens. Les Américains mettent l’accent sur la responsabilité de Jane Daniel, l’éditrice ; les journalistes belges et français pointent du doigt l’auteur. La réalisatrice, tout en ayant des doutes, les a fait taire et a même cherché à faire de son film un témoignage sur la Shoah. Le livre a été objet d’étude dans les collèges et les lycées. Les sites internet qui mentionnent l’étude de l’ouvrage ne font preuve d’aucun esprit critique[64],[65],[66] de la part des enseignants pour un livre dont les qualités littéraires ne sont pas avérées. Finalement, il est possible de penser que, dans cette affaire, le plus gênant ne serait pas la mythomanie de Misha Defonseca mais l’exploitation qui en a été faite.

[modifier] Voir aussi

[modifier] Notes

  1. Écrit aussi avec la collaboration de Marie Thérèse Cuny pour la nouvelle édition (XO éditions en 2005
  2. « Survivre avec les loups » : l’éditeur présente ses excuses », Valérie Sasportas, Le Figaro, 29 février 2008
  3. La quatrième de couverture des éditions Pocket précise que le livre s’est vendu à 430 000 exemplaires.
  4. p. 82
  5. p. 108
  6. p. 140-141
  7. p. 154
  8. p. 159
  9. p. 160
  10. Éditions Pocket 2005, p. 9
  11. p. 45
  12. p. 55
  13. p. 58
  14. p. 80
  15. p. 84
  16. p. 123
  17. p. 149
  18. p. 155
  19. p. 225
  20. p. 46
  21. p. 49
  22. p. 115
  23. p. 61
  24. p. 162
  25. p. 126-127
  26. p. 139
  27. p. 116
  28. p. 149-150
  29. p. 150
  30. abcd « Misha Defonseca et ses loups », par Karin Bernfeld, Le Monde, 15 mars 2008
  31. p. 233
  32. p. 237
  33. p. 245
  34. p. 247
  35. Survivre avec les loups - Fiche livre : Documents et essais
  36. vivelesanimaux.com
  37. LivresHebdo.fr
  38. François-Guillaume Lorrain, Le succès d’une « histoire fausse », le point.fr
  39. Le blog de Jane Daniel
  40. Sur le site web Loup.org
  41. [1], puis, le 3 février 2008, il donne un argumentaire titré « Les archives de Belgique confirment que Survivre avec les loups est une escroquerie »
  42. [2], repris ensuite sur : [3]
  43. Site de la revue Regards
  44. Ses parents étaient des résistants, pas des juifs déportés : le vrai dossier de « Misha », Marc Metdepenningen, Le Soir, 23 février 2008
  45. ab Les Aveux de Misha Defonseca, Marc Metdepenningen, Le Soir, 28 février 2008
  46. « Survivre avec les loups » : Misha Defonseca admet qu’il s’agit d’une fiction, Le Monde, 29 février 2008
  47. ab Le Sombre Passé du père de Misha, Marc Metdepenningen, Le Soir, 2 mars 2008
  48. Sur le site fr.soc.politique, on peut lire la remarque suivante : « encore une intox judéosioniste » ; même teneur sur le site lesogres.org ; le site toutsaufsarkozy.com écrit quant à lui : « Il s’agit en fait d’un nouvel exemple, énorme, de la mainmise du lobby holocaustique sur tous les grands médias français. Effrayant, une fois de plus. »
  49. « Survivre avec les loups : l’éditeur présente ses excuses », Valérie Sasportas, Le Figaro, 29 février 2008. Voir les deux derniers paragraphes : « Pour survivre à une situation traumatique, […], la fillette de 4 ans s’est raconté une histoire héroïque. Devenue adulte, elle a raconté le souvenir de cette histoire, comme si elle l’avait vécue pour de vrai. »
  50. Children with a Star: Jewish Youth in Nazi Europe, Yale University Press, 1993
  51. Auteur, notamment, de Holocaust Testimonies: The Ruins of Memory, Yale University Press, 1993
  52. (en)David Mehegan, Faked Holocaust memoir: Den of lies, Boston Globe, 1er mars 2008
  53. (en) Crying Wolf: Why did it take so long for a far-fetched Holocaust memoir to be debunked?, Blake Eskin, Slate.com, 29 février 2008
  54. ab David Mehegan, Incredible journey, The Boston Globe, 31 octobre 2001
  55. ab Bernard Fixot, éditeur de Survivre avec les loups, interview par Claire Thévenoux, Ouest France, 1er mars 2008
  56. ab « Survivre avec les loups : Misha Defonseca avoue une supercherie » La presse canadienne, 29 février 2008
  57. Mt. Ivy Press, maison d’édition ayant publié l’ouvrage aux États-Unis.
  58. « Les dommages de la survivante de l’holocauste Misha Defonseca sont triplés ; elle obtient un total de 22,5 millions de dollars »
  59. (en) Holocaust: A children’s version, Tidhar Wald, Haarezt.com
  60. Dépêche AFP du 29 février 2008, reprise sur Yahoo.fr
  61. Des extraits ont été rediffusés sur France 2 et France 3 le 29 février 2008.
  62. éd. Écriture, 2006 (essai)- (ISBN 978-2-909240-70-1)
  63. « Survivre avec les loups, dernière des grandes impostures littéraires », TV5.org, 29 février 2008
  64. « Survivre avec les loups - Misha Defonseca », travail d’élèves d’un lycée de l’académie de Rouen. À noter : à la question « Des déformations ? », il est répondu : « Il n’y a aucune déformation. » Site consulté le 3 mars 2008
  65. « Interview fictive de Misha Defonseca, auteur de Survivre avec les loups », travail d’élèves d’un collège de l’académie de Toulouse. L’entretien imaginaire insiste sur l’aspect vrai de l’aventure de Misha. Site consulté le 3 mars 2008
  66. Les professeurs du CEPES à Jodoigne ont travaillé sur la Shoah à partir du livre Survivre avec les loups. actu24.be, 1er mars 2008

[modifier] Bibliographie et documentation

  • Misha Defonseca, Survivre avec les loups, Robert Laffont, 1997
  • Jean-Pierre Stroobants, Doutes en Belgique sur la véracité du récit de « Survivre avec les loups », Le Monde, 28 février 2008

[modifier] Article connexe

n:

Wikinews propose des actualités concernant « « Survivre avec les loups » : l'histoire n'y a pas survécu ».

[modifier] Liens externes