Philibert Tsiranana

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Présidents de Madagascar
Philibert Tsiranana (1960 - 1972)
Gabriel Ramanantsoa (1972 - 1975)
Richard Ratsimandrava (1975)
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Albert Zafy (1993 - 1996)
Norbert Ratsirahonana (1996 - 1997)
Didier Ratsiraka (1997 - 2002)
Marc Ravalomanana (2002- )

Philibert Tsiranana, né le 18 octobre 1912 à Ambarikorano (Mandritsara) et mort le 16 avril 1978, est un homme politique malgache.

Sommaire

[modifier] Les années de formation

[modifier] Du bouvier à l’enseignant

Philibert Tsiranana naît, selon sa biographie officielle, le 18 octobre 1912[1] à Ambarikorano dans le district de Mandritsara[2], bien qu’en fait sa naissance remonte à 1910[2]. Il est le fils de Madiomanana et Fisadoha Tsiranana[2], des éleveurs de bœufs aisés[3] et des notables ruraux[3] côtiers catholiques appartenant à l’ethnie Tsimihety[4] (dont sa mère est d’ailleurs issue d’un des grands clans[3]). Destiné à devenir bouvier, il garde, à cet effet, le troupeau de bœufs familial[5] jusqu’à l’âge de onze ans. Mais, suite à la mort de son père, il est confié à son frère Zamanisambo qui l'envoie à l’école primaire d’Anjiamangirana.[6]

Brillant élève, il est admis en 1926, 8e sur 25 à l’école régionale d’Analalava où il obtient son certificat d’études du second degré[7]. En 1930, il entre à l'école formateur des futurs cadres de la société malgache, « Le Myre de Vilers » de Tananarive, où il suit les cours de la « Section Normale ». Sorti major avec un diplôme d’instituteur[7], il débute une carrière d’enseignement dans sa région natale, puis s’oriente en 1942 vers le professorat et obtient en 1945, grâce à des cours de perfectionnement à Tananarive, le concours de professeur-assistant[7] (équivalent d'un poste de professeur d’école régionale)[3]. En 1946, il obtient une bourse d’étude pour l’Ecole Normale d'instituteurs à Montpellier afin d'y effectuer un stage professionnel en tant que professeur-assistant[8]. Il quitte Madagascar le 6 novembre[8].

[modifier] Du communisme au PADESM

En 1943, Philibert Tsiranana s’affile au Syndicat professionnel des Instituteurs puis en 1944, à la CGT[7]. La vie politique, alors renaissante à Madagascar[3], intéresse beaucoup le jeune enseignant qui, poussé par son mentor Paul Ralaivoavy[3], adhère en janvier 1946 aux Groupes d’études communistes (GEC) de Madagascar. Il y assure les fonctions de trésorier[7]. Cette « période communiste » ne dure, toutefois, que quelques mois ; y revenant postérieurement, il affirme « avoir appris beaucoup de choses, notamment toutes les ruses des communistes… gens terribles et dangereux »[7]. Dès lors, tout en restant d’orientation socialiste, Tsiranana devient un ardent anti-communiste.

Les GEC lui auront tout de même permis de rencontrer les futurs cadres du PADESM (Parti des Déshérités de Madagascar), parti dont il fait partie du noyau fondateur en juin 1946[3]. Cette organisation politique regroupant les Mainty et les Tanindrana (ou « côtiers »), est en fait un mouvement anti-Merina. Le différend tribal, déjà ancien, avait été ravivé à la suite des élections législatives qui venaient de se tenir[3]. En effet, les côtiers avaient tenté un rapprochement avec le MDRM, dirigé par les Merina, afin qu’un des deux sièges de député attribués aux autochtones de Madagascar leur soit attribué[3]. Les Merina devaient remporter la circonscription de l'est avec Joseph Ravoahangy tandis que la circonscription de l'ouest revenait aux côtiers avec Paul Ralaivoavy[3]. L’accord ne fut pas respecté et finalement le Merina Joseph Raseta remporta le second siège[3]. Les côtiers tentèrent encore une fois un accord pour les législatives de juin 1946, mais en vain[3].

Le PADESM, dans son programme, s'oppose donc avant tout aux revendications nationalistes du MDRM, non pas parce qu’ils sont contre l’indépendance mais dans le but de parer tout éventuel retour de « pouvoir Merina ». A ce sujet en 1968, Tsiranana justifie cette position sur l’indépendance par ces propos :

« si on l’avait demandée dès 1946, c’était à coup sûr la guerre civile car les côtiers n’étaient pas d’accord. Etant donné leur niveau intellectuel à l’époque, ils seraient restés de petits chefs de villages, des subordonnés, des subjugués, pour ne pas dire des esclaves, tant le fossé entre gens des côtes et gens des hauts-plateaux était énorme »[9]

En juillet 1946, du fait de son proche départ pour l’Ecole Normale de Montpellier, il refuse le poste de secrétaire général du parti[10]. Toutefois, il contribue activement au journal du PADESM, Voromahery[10] où il signe ses articles sous le pseudonyme de Tsimihety, par référence à son ethnie d'origine[11].

[modifier] Le séjour en France (1946-1950)

Son séjour dans la France d’après-guerre en pleine reconstruction, sujette aux aléas politiques de la IVe République[10], lui permet d’échapper à l’insurrection malgache de 1947 et à toute compromission dans ces évènements sanglants[3]. Emu par cette tragédie, il participe le 21 février 1949 à une manifestation anti-colonialiste à Montpellier, bien qu'il ne soit pas particulièrement indépendantiste[8].

Durant cette période, il prend conscience du problème du recrutement des élites malgaches. Il constate que sur les 198 étudiants malgaches en France, seuls 17 sont côtiers[3]. Afin d’y remédier, il crée en août 1949 l’Association des étudiants malgaches côtiers (AEMC) puis, en septembre 1951 après son retour à Madagascar, l’Association culturelle des intellectuels malgaches côtiers (ACIMCO) dont il assure les présidences. A ce sujet, il écrit en septembre 1949 à ses camarades du PADESM :

« si nous voulons qu’il y ait une union franche entre tous les Malgaches, notre devoir est de supprimer l’écart de culture qui sépare la côte des Hauts Plateaux »[3]

De retour sur son île en 1950, il est nommé professeur de l’enseignement technique à l’Ecole industrielle de Tananarive où il enseigne le français et les mathématiques. Mal à l’aise dans cet établissement, il est affecté à l’école « Le Myre de Viliers » où ses compétences sont très appréciées[12].

[modifier] Un progressiste ambitieux

Reprenant ses activités au PADESM, il milite à l’aile gauche du parti dans le but de le réformer[3]. D’une part, il le considère comme trop inféodé à l’administration[12]. D’autre part, il souhaite entreprendre une action d’union avec l’ensemble des Malgaches, et ce quelque soit leur ethnie[12]. D’ailleurs dans un article publié le 24 avril 1951 dans Varomahery, intitulé « Mba Hiraisantsika » (Pour nous unir), il lance un appel à la réconciliation entre côtiers et Merina pour les prochaines élections législatives[13]. La même année, il fonde le journal bimensuel, Ny Antsika (« Les Nôtres ») où il lance en octobre, un appel aux élites malgaches afin qu’elles « forment une seule tribu »[3].

Cependant cet appel à l’union cache en fait une manœuvre électorale ; il entend prendre part aux législatives de 1951 dans la circonscription de la côte Ouest[14]. Loin de faire l’unanimité, même au sein de la classe politique côtière où il est perçu comme un communisant[13], Tsiranana se résigne finalement en faveur du « modéré » Raveloson-Mahasampo[14].

Le 30 mars 1952, il est élu conseiller provincial dans la 3e circonscription de Majunga sur la liste unique « Liste progrès social »[14]. Il cumule cette fonction à celle de conseiller à l’Assemblée représentative malgache[14]. Aspirant toutefois à détenir un mandat national, il se porte candidat au Conseil de la République en avril 1952 mais est battu par Pierre Ramampy, Norbert Zafimahova et Ralijaona Laingo[14]. Particulièrement affecté par cette défaite, il accuse ouvertement, en 1954, l’Administration coloniale de « discrimination raciale » par sa politique de double collège[14]. Il suggère alors à Pierre Mendès-France, avec d’autres élus autochtones, l’instauration d’un collège unique[15].

Cette même année, il adhère à la nouvelle Action Madécasse, « troisième force entre nationalistes durs et partisans du statu quo »[3] qui prône la réalisation de la paix sociale dans l’égalité et la justice[16]. Par ce changement de politique, Tsiranana cherche à se donner une image nationale dépassant le seul caractère côtier et régional du PADESM, d'autant plus que désormais, ce n’est plus seulement un Etat libre dans l’Union française qu’il revendique mais une indépendance progressive obtenue par négociation avec la France[3].

[modifier] L’ascension politique

[modifier] Le député de Madagascar (1956-1959)

En 1955, il se rend en France pour des congés administratifs et en profite pour adhérer à la SFIO[15]. Durant son absence, les associations qu’il préside « tournent alors au ralenti »[15]. Tsiranana finit par écourter ces vacances, non pour cette raison, mais afin de préparer sa campagne pour les élections législatives de janvier 1956[15]. Fort de sa notoriété acquise au cours des cinq dernières années[17], il est maintenant soutenu par le Front national malgache (FNM) issu de l’Action Madécasse dirigé par des Merina, et reçoit également le soutien du haut-commissaire André Soucadaux qui voit en lui le nationaliste raisonnable que recherche l’administration[3]. Ainsi, il est triomphalement élu député par 253 094 voix sur 330 915 dans la circonscription de l’Ouest[3].

Il s'inscrit au groupe socialiste[3]. Philibert Tsiranana gagne rapidement une réputation de franc-parleur au Palais-Bourbon[3]. En mars 1956, il affirme l’insatisfaction des Malgaches pour l’Union française qui, selon lui, est une continuité du colonialisme sauvage (« tout cela n’est que façade, le fond reste le même »)[3]. Il demande donc l’abrogation de la loi d’annexion d’août 1896[3]. Prônant également un discours pour l’unité de Madagascar, il réclame en juillet 1956, la libération de tous les prisonniers de l’insurrection[3]. Par cette politique liant amitié avec la France, revendication indépendantiste et recherche de l’unité nationale, Tsiranana acquiert une véritable stature nationale[3].

Il profite de son mandat pour affermir ses intérêts électoraux, obtenant pour son bastion du Nord et du Nord-Ouest, sous couvert d’égalité, une sur-représentation à l’assemblée de Madagascar[3]. Toutefois, la seule véritable proposition de loi déposée à titre personnel par Tsiranana est celle du 20 février 1957 ; en tant qu’ancien bouvier, il souhaite l’« aggravation des peines contre les voleurs de bœufs » que le code pénal français ne prend nullement en compte[3].

Quant à la construction de l’Europe, Tsiranana voit d’un très bon œil la création du Marché commun en 1957. Il ne peut, selon lui, qu’être bénéfique pour l’Afrique puisqu’il va permettre l’essor des investissements, des débouchés nouveaux pour les territoires d’outre-mer, la circulation des personnes et donc la venue d’Européens porteurs de compétences et de développement[3].

[modifier] La création du Parti social-démocrate malgache

Tsiranana parvient à s’imposer progressivement comme le véritable leader des côtiers[4]. Il fonde le 28 décembre 1956 à Majunga, avec des éléments de l’aile gauche du PADESM[3], notamment André Resampa, le Parti social-démocrate (PSD) englobant alors Madagascar et les Comores[18]. L’affiliation est portée à la SFIO[18].

Rapidement, le nouveau parti va prendre un grand essor et dépasser les perspectives limitées du PADESM, dont il est plus ou moins l’héritier[1]. En plus de représenter les notables ruraux côtiers, le PSD devient le porte-parole des fonctionnaires et des partisans de l’indépendance méfiants vis-à-vis du communisme[3]. D'emblée, il était manifeste que son parti bénéficie des préférences de l'administration coloniale, dans la perspective des transferts progressifs du pouvoir exécutif prévus par la Loi-cadre Deferre.

[modifier] Chef du Conseil du gouvernement

L’entrée en vigueur de la loi-cadre Defferre de 1956, donnant l'autonomie aux colonies africaines, est prévue après que se soient tenues les élections territoriales de 1957. Le 31 mars, Tsiranana est réélu conseiller provincial sur la liste « Union et Progrès social » qui recueille 79 991 voix sur 82 121 inscrits[19]. Tête de liste, il est nommé président de l’Assemblée provinciale de Majunga ainsi que conseiller à l’Assemblée représentative de Madagascar le 10 avril 1957[19]. Le 27 mai, cette assemblée représentative élit un Conseil du gouvernement placé sous l’autorité du Haut-commissaire André Soucadaux, mais dont la vice-présidence est offerte à Philibert Tsiranana[20].

Installé au pouvoir, il conforte peu à peu son autorité. Le 12 juin 1957 est créé une seconde section du PSD dans la province de Tuléar[20] qui parvient à rallier 16 conseillers de l’assemblée provinciale, prenant ainsi la majorité à Tuléar[21]. A l’Assemblée représentative, le PSD est représenté par 9 membres[21]. Enfin, au sein du Conseil du gouvernement, Tsiranana parvient à nommer son bras droit, André Resampa, au portefeuille de l’Education[21].

Bien qu’occupant le poste de vice-président du conseil, ses prérogatives restent assez limités, ce que Tsiranana déplore[22]. En avril 1958, lors du 3e congrès du PSD, il reproche à la Loi-cadre, le caractère bicéphale qu’elle impose au Conseil ; pour lui, la présidence du gouvernement malgache ne doit pas être occupé par le Haut-commissaire[23]. L’accession du général de Gaulle au pouvoir en juin 1958 joue en sa faveur. Par une ordonnance du gouvernement national, l’ordre hiérarchique dans les Territoires d’outre-mer est modifié au profit des élus locaux[24]. Tsiranana devient ainsi le 22 août 1958, le président du Conseil du gouvernement de Madagascar[24].

[modifier] La consolidation du pouvoir

[modifier] Un nationaliste modéré

Malgré ces prises de position, le dirigeant malgache souhaite plus obtenir une forte autonomie interne que l’indépendance[23]. Il affiche d'ailleurs, un nationalisme très modéré :

« Nous considérons qu’il vaut mieux avoir une indépendance bien préparée, car une indépendance politique anticipée nous conduirait à la dépendance la plus atroce qui soit, la dépendance économique. Nous continuons à faire confiance à la France et comptons sur le génie français pour trouver, le moment venu, une formule comparable à celle du Commonwealth britannique. Car, nous Malgaches, nous ne voudrons jamais nous séparer de la France. De culture française nous sommes, et nous voulons rester Français[21]. »

Le général de Gaulle, dès son retour au pouvoir, prévoit de satisfaire les revendications de liberté, d’égalité et d’autonomie des colonies, et décide pour cela d’enterrer l’Union française[25]. Pour mettre en place la nouvelle organisation, il fait appel, le 23 juillet 1958, à un comité consultatif où figurent plusieurs responsables politiques africains et malgache[25]. Les discussions portent essentiellement sur la nature des liens qui doivent unir la France et ses ex-colonies[25]. L’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny propose une « fédération », le Sénégalais Léopold Sédar Senghor souhaite une « confédération » mais finalement, c’est le projet de « communauté » de Tsiranana qui est retenu[25].

Tsiranana mène activement la campagne pour le « oui » au référendum du 28 septembre 1958, aux côtés de l'Union des démocrates sociaux de Madagascar (UDSM) du sénateur Norbert Zafimahova, afin que Madagascar intègre la Communauté française[26]. La campagne pour le « non » est, quant à elle, principalement menée par l'Union des populations malgaches (UPM)[26]. Le « oui » l’emporte par 1 361 801 votes contres 391 166 « non » [26]. En contrepartie de ce « oui », il avait obtenu la promesse du général qu’il le laisse abroger la Loi d’annexion de 1896 et ériger Madagascar en une république libre au sein de la Communauté[26]. C’est chose faîte le 14 octobre 1958, lors du Congrès des conseillers provinciaux[27]. Le congrès instaure la République autonome malgache avec Philibert Tsiranana comme Premier ministre provisoire[27]. Le lendemain, la loi d’annexion de 1896 est rendue caduque[28].

[modifier] Les manœuvres politiques contre l'opposition

Le 16 octobre 1958, le Congrès élit, au scrutin de liste majoritaire par province, une Assemblée nationale constituante composée de 90 membres[29]. Ce mode de scrutin, non innocent, devait permettre au PSD et à l’UDSM de n’avoir aucun adversaire du « oui » dans l’Assemblée[29]. Sa présidence revient à Norbert Zafimahova.

En réaction à la création de cette assemblée, l’UPM, le FNM et l’Association des amis des paysans, fusionnent le 19 octobre pour donner naissance à l’AKFM (« Parti du congrès pour l’indépendance de Madagascar ») dirigé par le pasteur Richard Andriamanjato[30]. D’orientation marxiste, le parti devient le principal adversaire du gouvernement[30].

Tsiranana installe donc rapidement dans les provinces, une organisation étatique lui permettant de contenir l’AKFM[30]. Tout d'abord, il nomme des secrétaires d’État dans toutes les provinces[30]. Ensuite, le 27 janvier 1959, il dissout le conseil municipal de Diego-Suarez[30] dirigé par l'opposition marxiste. Enfin, la loi du 27 février 1959 institue le « délit d’outrage aux institutions nationales et communautaires », et lui permet de sanctionner certaines publications[30].

[modifier] Le président de la République malgache

Le 29 avril 1959, l’Assemblée constituante adopte la constitution élaborée par le gouvernement[31] Elle s’inspire largement des institutions de la Ve République mais possède ses caractéristiques propres[32]. Le chef de l’État est en même temps le chef du gouvernement ; il détient le pouvoir exécutif[32]. Le vice-président du gouvernement n’a qu’un rôle très effacé[32]. Le Parlement est bicaméral, situation exceptionnelle à l’époque en Afrique francophone[32]. Les provinces, dotées de conseils provinciaux, jouissent d’une certaine autonomie[31]. Bien que d’inspiration parlementaire, le régime relève plutôt d’un présidentialisme modéré[32].

Le 1er mai, la parlement élit au sein d’un Collège comprenant également les conseillers provinciaux et des délégués des communes, le président de la République malgache[33]. Quatre candidats étaient alors en liste: Philibert Tsiranana, Basile Razafindrakoto, Prosper Rajoelson et Maurice Curmer[33]. Finalement, sur les 114 suffrages exprimés par les congressistes, Tsiranana est unanimement élu premier président de la République malgache par 113 votes favorables, une seule abstention étant relevée[33].

Le 24 juillet 1959, le général de Gaulle nomme quatre responsables politiques africains, parmi lesquels Philibert Tsiranana, au poste de « ministres-conseillers » du gouvernement français pour les affaires intéressant la Communauté[34]. Le président malgache, par ses nouvelles fonctions, en profite pour évoquer l’accès à la souveraineté nationale de Madagascar ; le Général accepte[35]. En février 1960, une délégation malgache se rend à Paris pour négocier le transfert des compétences[36]. Tsiranana insiste pour que toutes les organisations malgaches soient représentées au sein de cette délégation, à l’exception de l’AKFM (qui le déplore)[37]. La délégation à Paris est dirigée par le ministre de l’Intérieur, André Resampa[38]. Les Accords franco-malgaches sont finalement signés le 2 avril 1960 à l’Hôtel Matignon entre le Premier ministre français Michel Debré et le président Tsiranana[39]. Le 14 juin, le parlement malgache adopte à l’unanimité les Accords[40]. Le 26 juin, Madagascar devient indépendante.

[modifier] A la tête de la République malgache indépendante

[modifier] L’« état de grâce » (1960-1967)

Afin de légitimer son image de « père de l’indépendance », Tsiranana ramène sur l’île le 20 juillet 1960, les trois anciens députés « bannis » en France depuis l’insurrection de 1947, Joseph Ravoahangy, Joseph Raseta et Jacques Rabemananjara[41]. L’impact populaire et politique est considérable[42]. Le président propose à ces « héros de 1947 » d’entrer dans son deuxième gouvernement du 10 octobre 1960 ; Joseph Ravoahangy prend le ministère de la Santé, et Jacques Rabemananjara, celui de l’Economie[43]. En revanche, Joseph Raseta refuse et rejoint l’AFKM[44].

[modifier] Le tenant de la démocratie restreinte

Tsiranana réaffirme fréquemment son appartenance au bloc occidental :

« Nous sommes résolument intégrés au Monde occidental, parce qu’il est le Monde libre, et que notre aspiration la plus profonde, est la liberté de l’homme et la liberté des peuples[45]. »

Ainsi, la République de Tsiranana possède de nombreuses caractéristiques propres aux démocraties, telles une presse libre qui anime en permanence le débat, une justice indépendante et des droits de l’Homme sauvegardés[46]. La Constitution de 1959 garantit le pluralisme et les grands principes de la démocratie libérale[32]. Le président malgache affirme d'ailleurs, tout au long de sa présidence, être opposé à l’instauration d’un parti unique :

« Je suis trop démocrate pour cela, le parti unique conduisant toujours à la dictature. Nous, PSD, comme le précise le tire de notre partie, nous sommes des sociaux-démocrates et refusons, en tant que tels, ce type de parti. Nous pourrions facilement l’instituer dans notre pays, mais nous préférons qu’existe une opposition[47] »

De nombreuses institutions influent également plus ou moins sur la vie politique telles les Églises protestante et catholique dont l’influence est grande au sein de la population ; les diverses centrales syndicales politiquement actives dans les centres urbains ; ou encore les nombreuses associations, notamment étudiantes et féminines, qui s’expriment très librement[32].

Néanmoins, la démocratie sous Tsiranana connaît des limites dans le fait qu’en dehors des grands centres, les élections sont truqués[46]. Aussi la République de Tsiranana s’apparente à une « démocratie restreinte »[46].

[modifier] Les manœuvres politiques aux municipales

En octobre 1959, aux élections municipales, l’AKFM ne remporte que la capitale Tananarive avec le pasteur Richard Andriamanjato, et la ville de Diego-Suarez avec le Réunionnais Francis Sautron[48]. Le MONIMA (Mouvement national pour l’indépendance de Madagascar) remporte quant à lui, la mairie de Tuléar avec Monja Jaona[49], et celle d’Antsirabe avec Emile Rasakaiza.

Mais le gouvernement Tsiranana, par de basses manœuvres politiques, va prendre une à une le contrôle de ces mairies. Tout d’abord, par l'ordonnance n°60.085 du 24 août 1960 : « est désormais chargé de l'administration de la ville de Tananarive, un fonctionnaire désigné par le ministre de l'Intérieur et nommé Délégué général », le gouvernement prive de pratiquement toutes ses prérogatives le maire Andriamanjato[50].

Ensuite, le 1er mars 1961, le président Tsiranana « démissionne » Monja Joana, de son mandat municipal de Tuléar[49]. Une loi du 15 juillet 1963, qui stipule que « les fonctions de maire et de 1er adjoint ne peuvent être exercées par des citoyens français », empêche Francis Sautron de se représenter à Diego-Suarez aux élections municipales de décembre 1964[51].

Enfin, lors de ces dernières à Antsirabe, le PSD remporte 14 sièges sur 36, l’AKFM 14 et le Monima 8[52]. Une coalition de ces deux partis permet au leader local de l’AKFM, Blaise Rakotomavo de devenir maire[52]. Mais quelques mois plus tard, André Resampa, ministre de l’Intérieur, déclare la ville ingouvernable et dissout le conseil municipal[52]. Aux nouvelles élections de 1965, le PSD l’emporte[52].

[modifier] Les manœuvres politiques aux législatives

Le 4 septembre 1960, les Malgaches doivent élire leurs députés[53]. Le gouvernement choisit un scrutin de liste majoritaire à un tour afin de faciliter le succès du PSD dans toutes les régions, surtout à Majunga et Tuléar[53]. En revanche, pour la circonscription de Tananarive-ville où est solidement implanté l’AKFM[32], le scrutin se déroule à la proportionnelle[53] ; ainsi, dans la capitale, le PSD avec 27 911 voix remporte deux sièges dont celui de l’ancien député Joseph Ravoahangy, tandis que l’AKFM avec 36 271 voix ne remporte que trois sièges dont celui de l’ancien député Joseph Raseta[53].

A la fin du scrutin, le PSD détient 75 sièges de députés[54], ses alliés 29 et l’AKFM seulement 3. Quant aux listes des petits partis locaux, au nombre de 13, fédérés sous l’appellation « 3e force », qui avaient remporté 30% des suffrages (468 000 voix), elles n’obtiennent aucun élu[53].

A la suite du « colloque d’Antsirabe » en octobre 1961, Tsiranana préconise de réduire le nombre de partis politiques, alors au nombre de 33[55] ; le PSD est désormais représenté à l’Assemblée par 104 députés. Ainsi la scène politique malgache se bipolarise de façon très inégale. D’un côté, le parti gouvernemental PSD ; de l’autre côté, le parti de l’indépendance AKFM qui prône le « socialisme scientifique » et l’amitié prioritaire avec l’URSS[32]. Les partis d’opposition restant, notamment le MONIMA du nationaliste d’extrême-gauche Monja Jaona qui milite vigoureusement pour la cause du Sud malgache très pauvre, n’ont qu’une audience limitée[32].

Aux élections législatives du 8 août 1965, le PSD recueille 94% des suffrages (2 304 000 voix) et 104 députés[56]. L’AKFM recueille, quant à lui, 3,4% des suffrages (145 000 voix) et 3 députés[56].

Le président Tsiranana explique cette situation par le fait que l’opposition manque d’union et qu’« ils parlent trop mais ne travaillent pas »[57]. Selon lui, le PSD, au contraire, mieux organisé, plus discipliné, en contact permanent avec la population laborieuse est donc plébiscité en masse par les Malgaches[57].

[modifier] La présidentielle et les provinciales de 1965

Le 16 juin 1962, une loi institutionnelle institue l’élection du président de la République au suffrage universel direct[54]. En février 1965, Tsiranana décide d’avancer d’un an le terme de son septennat et de fixer l’élection présidentielle au 30 mars 1965[58]. Joseph Raseta, qui avait quitté en 1963 l’AKFM et fondé son propre parti, le FIPIMA (Union nationale malgache), se porte candidat à la présidence[44]. Alfred Razafiarisoa se porte aussi en candidat sous l’étiquette d’indépendant[59]. Le leader du MONIMA, Monja Jaona, est lui aussi, un moment, désireux de se présenter[59]. L’AKFM fait l’économie d’une candidature[60] ; à Tananarive d’ailleurs, le parti fait même voter discrètement Tsiranana[44].

Tsiranana mène une grande campagne dans toute l’île tandis que celle de ces opposants ne dépassent le cadre local[61]. Le 30 mars 1965, sur les 2 583 051 inscrits, 2 521 216 se sont exprimés[62]. Tsiranana est réélu président par 2 451 441 voix, soit à 97% des suffrages[62]. Joseph Raseta recueille 54 814 voix et Alfred Razafiarisoa 812 voix[62].

A l’issue de l’élection du 15 août 1965 pour le renouvellement des Conseils généraux, le PSD obtient 2 475 469 voix sur les 2 605 371 suffrages exprimés sur les sept circonscriptions du pays[55], soit 95% des voix. L’opposition atomisée recueille, quant à elle et avec difficultés 143 090 voix, principalement à Tananarive, Diégo-Suarez, Tamatave, Fianarantsoa et Tuléar[55].

[modifier] L'artisan du « socialisme malgache »

[modifier] Un partenaire privilégié de la France

Durant la présidence de Tsiranana au cours des années 60, les liens entre Madagascar et la France demeurent extrêmement étroits, et ce dans tous les domaines. Des fonctionnaires français, y compris au titre de Ministre, demeurent à la tête de la plupart des départements du service public. La sécurité même du pays était placée sous la responsabilité des troupes françaises continuant à occuper diverses bases stratégiques de l'île. Peu à peu cependant, au fur et à mesure que les cadres autochtones (de préférence d'origine côtière) prenaient la relève, la situation se dégradait.

[modifier] Le déclin et la chute du régime (1967-1972)

[modifier] La maladie et les conflits de succession

Le népotisme et la corruption devenaient inquiétants et l'opposition, représentée surtout par une fraction importante des élites merina et betsileo, écartées du pouvoir, radicalisaient leurs positions. Dans le sud de Madagascar, une opposition paysanne dirigée notamment par Monja Jaona se manifestait également. À partir de 1971, leur mouvement prit même l'aspect d'une révolte armée que le pouvoir réprima avec une grande brutalité.

[modifier] La flambée des violences et le mai malgache

Le 30 janvier 1972, après avoir obtenu plus de 99% des voix lors d'une éléction présidentielle anticipée, Tsiranana entame un troisième mandat. Cependant, dès le mois d'avril, la protestation contre la politique éducative entraîne des grèves d'étudiants, aussitôt appuyées massivement par des élèves de l'enseignement secondaire. Très vite, les autorités sont débordées et, prises de panique, font arrêter des dizaines de leaders étudiants, réunis en assemblée le soir du 12 mai pour ensuite les déporter au pénitencier de Nosilava, un petite île au nord de Madagascar. Le lendemain, une grande manifestation de protestation réunissant des jeunes se transforme à Antananarivo en insurrection contre le régime. La police et les Forces Républicaines de Sécurité - FRS (la garde d'élite de la présidence) tirent sur la foule et font plusieurs dizaines (ou centaines) de victimes. Ces violences incitent la plupart des fonctionnaires de la capitale et les employés de nombreuses entreprises à cesser leur travail, ce qui achève de discréditer le régime qui renonce à exercer toute autorité à Tananarive. Le 17 mai, Tsiranana est donc obligé de confier les plein pouvoir au général Gabriel Ramanantsoa, chef d'état-major de l'armée.

[modifier] La retraite forcée de Tsiranana

Le 8 octobre 1972 enfin, Ramanantsoa se fait confirmer son pouvoir par référendum, ce qui écarte définitivement Tsiranana de la vie politique jusqu'à sa mort "anticipée" par le refus de Didier Ratsiraka que Philibert Tsiranana puisse être soigné...

[modifier] Vie privée

[modifier] Références et notes

  1. ab CADOUX Charles. Philibert Tsiranana. In Encyclopédie Universalis. Universalia 1979 – Les évènements, les hommes, les problèmes en 1978. p.629
  2. abc SAURA André. Philibert Tsiranana, 1910-1978 premier président de la République de Madagascar. Tome I. Editions L’Harmattan. 2006. p.13
  3. abcdefghijklmnopqrstuvwxyzaaabacadaeaf Biographies des députés de la IVe République : Philibert Tsiranana
  4. ab CADOUX Charles. Philibert Tsiranana. In Encyclopédie Universalis. Edition 2002.
  5. Philibert Tsiranana 1e partie (25 mai 2007), Émission de RFI « Archives d'Afrique »
  6. SAURA André. op. cit. Tome I. p.14
  7. abcdef SAURA André. op. cit. Tome I. p.15
  8. abc SAURA André. op. cit. Tome I. p.17
  9. SAURA André. op. cit. Tome II. p.51-52
  10. abc SAURA André. op. cit. Tome I. p.16
  11. Page en malgache citant les rédacteurs de la publication de Voromahery
  12. abc SAURA André. op. cit. Tome I. p.18
  13. ab SAURA André. op. cit. Tome I. p.20
  14. abcdef SAURA André. op. cit. Tome I. p.21
  15. abcd SAURA André. op. cit. Tome I. p.22
  16. SAURA André. op. cit. Tome I. p.19
  17. SAURA André. op. cit. Tome I. p.23
  18. ab SAURA André. op. cit. Tome I. p.31
  19. ab SAURA André. op. cit. Tome I. p.32
  20. ab SAURA André. op. cit. Tome I. p.33
  21. abcd SAURA André. op. cit. Tome I. p.34
  22. SAURA André. op. cit. Tome I. p.36
  23. ab SAURA André. op. cit. Tome I. p.37
  24. ab SAURA André. op. cit. Tome I. p.44
  25. abcd Jean-Marcel Champion. Communauté française. In Encyclopédie Universalis. Edition 2002.
  26. abcd SAURA André. op. cit. Tome I. p.48
  27. ab SAURA André. op. cit. Tome I. p.50
  28. SAURA André. op. cit. Tome I. p.51
  29. ab SAURA André. op. cit. Tome I. p.52
  30. abcdef SAURA André. op. cit. Tome I. p.54
  31. ab Patrick Rajoelina. Quarante années de la vie politique de Madagascar 1947-1987. Editions L’Harmattan. 1988. p.25
  32. abcdefghij Charles Cadoux. Magadascar. In Encyclopédie Universalis. Edition 2002.
  33. abc SAURA André. op. cit. Tome I. p.57
  34. SAURA André. op. cit. Tome I. p.63
  35. SAURA André. op. cit. Tome I. p.67
  36. SAURA André. op. cit. Tome I. p.74
  37. SAURA André. op. cit. Tome I. p.75
  38. SAURA André. op. cit. Tome I. p.84
  39. SAURA André. op. cit. Tome I. p.88
  40. SAURA André. op. cit. Tome I. p.101
  41. Patrick Rajoelina. Quarante années de la vie politique de Madagascar 1947-1987. Editions L’Harmattan. 1988. p.31
  42. SAURA André. op. cit. Tome I. p.106
  43. SAURA André. op. cit. Tome I. p.116
  44. abc Biographies des députés de la IVe République : Joseph Raseta
  45. SAURA André. op. cit. Tome I. p.174
  46. abc Ferdinand Deleris. Ratsiraka : socialisme et misère à Madagascar. Editions L’Harmattan. 1986. p.36
  47. SAURA André. op. cit. Tome I. p.248
  48. SAURA André. op. cit. Tome I. p.66
  49. ab Patrick Rajoelina. op. cit. p.108
  50. Histoire de la commune de Tananarive
  51. Eugène Rousse, « Hommage à Francis Sautron, Itinéraire d’un Réunionnais exceptionnel - II – », Témoignages.re, 15 novembre 2003
  52. abcd Gérard Roy et J.Fr. Régis Rakotontrina « La démocratie des années 1960 à Madagascar. Analyse du discours politique de l’AKFM et du PSD lors des élections municipales à Antsirabe en 1969 », Le fonds documentaire IRD
  53. abcde SAURA André. op. cit. Tome I. p.111
  54. ab Patrick Rajoelina. op. cit. p.33
  55. abc SAURA André. op. cit. Tome I. p.308
  56. ab Patrick Rajoelina. op. cit. p.34
  57. ab SAURA André. op. cit. Tome I. p.307
  58. SAURA André. op. cit. Tome I. p.260
  59. ab SAURA André. op. cit. Tome I. p.262
  60. SAURA André. op. cit. Tome I. p.261
  61. SAURA André. op. cit. Tome I. p.279
  62. abc SAURA André. op. cit. Tome I. p.294