Mutineries de 1917

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Exécution à Verdun lors des mutineries
Exécution à Verdun lors des mutineries

En 1917, après trois années d'une guerre meurtrière et indécise dont nul n'entrevoyait la fin, la lassitude touchait l'ensemble des armées européennes dont le moral était au plus bas.

Sommaire

[modifier] Le contexte

[modifier] L'échec de l'offensive Nivelle

À l'intérieur des troupes françaises, l'échec sanglant de l'offensive Nivelle sur le Chemin des Dames au printemps 1917, les conditions de vie effroyables dans le froid, la boue, le déluge d'obus et le report des permissions, tous ces facteurs s'additionnaient, provoquant une montée de la grogne parmi les hommes au front.

L'espoir suscité par l'offensive avait été énorme à la veille du 16 avril 1917 : le général Nivelle promettait la fin de la guerre et donc, pour chaque soldat, le retour chez soi. Après l'échec de l'offensive, fin avril, la déception et la colère grondent : les soldats ont l'impression que la bataille avait été mal préparée. L'état-major ne semble pas se préoccuper des pertes, son objectif est de progresser coûte que coûte.

Or début mai, l'ordre est donné de reprendre l'offensive dans les mêmes conditions sur un terrain toujours aussi désavantageux pour les Français. Il s'agit là d'une des principales causes de ces refus de monter en première ligne.

[modifier] Une influence russe ?

L'histoire officielle a pendant longtemps fait de ces mutineries une simple conséquence de la Révolution russe. Si la révolution russe de 1917 et la montée de l'Internationale ont joué un rôle dans cette grande crise d'indiscipline, il ne semble pas être considéré comme d'importance primordiale car la raison principale se situe bien dans le refus de participer à des attaques répétées, suicidaires et inutiles, dont les régiments sortaient souvent entièrement décimés.

Peut-être les soldats français ont-ils pu être influencés par l'exemple des soldats russes qui combattaient à leurs côtés. En effet, les survivants des 20 000 soldats de deux brigades russes, venues sur le front français en mars 1916, refusent de continuer le combat après l'offensive Nivelle et de nombreuses pertes. Mais c'est avant tout l'annonce tardive de la Révolution de février en Russie qui va motiver ces troupes pour réclamer leur rapatriement. Prudemment, l'état major français les confine dans un camp à l'arrière où ils vont fêter l'anniversaire du 1er mai. Puis, expédiés dans le camp de La Courtine dans la Creuse, les mutins russes décident de renvoyer leurs officiers et de s'autogérer notamment en élisant leurs représentants. Ceux ci vont mener pendant trois mois les négociations avec les autorités russes du gouvernement provisoire qui refusent leur retour au pays.

Finalement, l'assaut est donné le 16 septembre par des troupes françaises et le concours d'artilleurs russes. Les combats firent près de 200 morts chez les insurgés. Les brigades seront dissoutes et leurs dirigeants arrêtés. Après la Révolution d'Octobre et la Paix de Brest-Litovsk, il était encore moins question de les rapatrier. On leur ordonne d'intégrer des compagnies de travail. Ceux qui refusent seront envoyés dans des camps diciplinaires en Algérie. Les premiers soldats ne rentreront en Russie que fin 1919.

[modifier] Les formes de mutinerie

Des mutineries virent le jour que le remplacement du général Nivelle par Philippe Pétain ne freina nullement. Ces mutineries qui ne cessèrent de se développer durant tout l'été 1917 touchèrent, dans une contestation plus ou moins vive, près de 50 des régiments français. Des mouvements similaires se développaient dans le même temps parmi les autres armées européennes impliquées dans le conflit, y compris à l'intérieur de l'armée allemande.

Côté anglais, une mutinerie qui a duré quelques jours dans le camp d'Étaples sur le littoral français du Pas-de-Calais, a été très durement réprimée en 1917. Ce camp a accueilli jusqu'à 80 000 soldats anglais et du Commonwealth pour les préparer aux rigueurs du front. Les armées anglaises et française conviendront de garder le secret sur cette affaire jusqu'en 2017, date à laquelle les archives anglaises devraient être ouvertes.

Dans l'armée française, les mutineries se manifestèrent essentiellement par des refus collectifs de plusieurs régiments de monter en ligne. Les soldats acceptaient de conserver les positions, mais refusaient obstinément de participer à de nouvelles attaques vouées à l'échec ou ne permettant de gagner que quelques centaines de mètres de terrain sur l'adversaire. Ces refus d'obéissance s'accompagnèrent de manifestations bruyantes, rarement violentes, au cours desquelles les soldats exprimaient leurs doléances et criaient de multiples slogans dont le plus répandu est "A bas la guerre".

[modifier] Mettre fin aux mutineries de 1917

[modifier] Le rôle de Pétain

Philippe Pétain, le nouveau général en chef des armées, parviendra à calmer ces rébellions en adoptant une stratégie moins offensive que son prédécesseur afin de limiter les pertes en hommes. Il prit également plusieurs mesures visant à améliorer le sort des poilus, concernant entre autres les cantonnements, la nourriture, les tours de permissions... Toutefois, le pic d'intensité des mutineries se situe entre le 20 mai et le 10 juin, soit après la nomination de Pétain (15 mai 1917). On ne peut donc dire seulement que celui-ci "mit fin" aux mutineries. Malgré la légende d'un Pétain très humain, celui-ci mit en place une répression rapide des présumés mutins. L'objectif est de faire des exemples : les tribunaux militaires jugent sans véritable preuve, les "agitateurs" sont en fait désignés par les officiers et certains gradés n'hésitent pas à faire pression sur les membres des tribunaux [1]. Début juin, l'état-major parvint même à obtenir que la possibilité d'appel soit supprimée. Pétain a aussi la possibilité de bloquer les demandes de grâce auprès du président de la République Raymond Poincaré. Il utilisera à 7 reprises ce droit. C'est une justice d'exception qui est mise en place en quelques jours au sein d'un Etat démocratique.

[modifier] Le bilan des mutineries

Cette grande crise au sein de l'armée française amena bien entendu son lot de sanctions contre les mutins. Environ 3.500 condamnations, en rapport avec ces mutineries, furent prononcées par les conseils de guerre avec une échelle de peines plus ou moins lourdes. Il y eut entre autres 1381 condamnations aux travaux forcés ou à de longues peines de prison et 554 condamnations à mort dont 49 furent effectives[2].

Ce nombre a toujours été un sujet de controverses du fait de l'impossibilité d'accéder librement aux archives avant 100 ans. Il varie également en fonction de la période retenue pour les mutineries et de la date des procès, certains mutins ne passent en jugement qu'en 1918 et quelques procès de 1917 se rattachent à des évènements des années antérieures. De plus, on estime que 10 à 15 % des archives militaires sont définitivement perdues. Quoi qu'il en soit, le nombre des exécutions de 1917, souvent mis en avant lorsque l'on parle des fusillés pour l'exemple reste relativement faible rapporté au nombre de fusillés des derniers mois de 1914 (près de 200) ou de l'année 1915 (environ 260). On peut l'expliquer par l'utilisation du droit de grâce par le président Poincaré: il gracie 90% à 95% des cas qui lui sont présentés.

Le traitement des mutineries par la hiérarchie (soldats dégradés, fusillés, envoyés à une mort certaine dans des assauts impossibles...) a contribué aux séquelles psychologiques de cette guerre. Il interroge en outre le fonctionnement démocratique de l'État français pendant la Première Guerre mondiale.

[modifier] Notes et références

  1. d'après les discussions des députés en Comités secrets du 29 juin au 7 juin, voir H. Castex, L'Affaire du Chemin des Dames, les Comités secrets, Imago, 1998
  2. chiffres officiels donnés par le gouvernement fin juin 1917, voir H. Castex, op. cit. Guy Pedroncini évalue ces condamnations à mort entre 60 et 70. Ces chiffres ont récemment fait l'objet d'une réévaluation à la baisse: selon l'historien D. Rolland il y aurait eu environ 30 exécutions.

[modifier] Bibliographie

  • Guy Pedroncini, Les mutineries de 1917, Paris, PUF, 1967 (réédité en 1999).
  • Leonard Smith, Between Mutiny and Obedience, Princeton, 1994.
  • Nicolas Offenstadt, Les fusillés de la Grande Guerre et la mémoire collective, Paris, Odile Jacob, 1999.
  • Nicolas Offenstadt, Le Chemin des Dames, de l'événement à la mémoire, Paris, Stock, 2004.
  • Denis Rolland, La grève des tranchées, Paris, Imago, 2005.
  • Rémi Adam, 1917,la révolte des soldats russes en France, Editions lbc, collection Histoire, 2007

[modifier] Voir aussi

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