Mot-valise

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.

Un mot-valise est un néologisme formé par la fusion d'au moins deux autres mots existant dans la langue[1],[2]. Il peut s'agir d'une haplologie : une même syllabe constitue à la fois la fin d'un mot et le début d'un autre, et le procédé consiste alors à les accoler sans répéter cette partie commune, d'autres fois, un seul des mots se voit amuï.

Dans la création d'un mot-valise, au contraire de la composition et de la dérivation, les constituants de départ ne sont plus entièrement reconnaissables, car ils se sont télescopés.

Le but du mot-valise est de faire un jeu de mots, ou d'enrichir la langue en « [luttant] contre les dictationnaires » (Bruno San Marco).

Sommaire

[modifier] À propos du nom

wikt:

Voir « mot-valise » sur le Wiktionnaire.

L'expression « mot-valise » est la traduction de l'anglais « portmanteau word ». Le mot « portmanteau » désignait autrefois une grande valise à deux compartiments[3]. C'est la raison pour laquelle Lewis Carroll, dans son célèbre roman De l'autre côté du miroir, utilisa l'image du portmanteau pour montrer l'intérêt des mots télescopés : il suffit d'un seul mot pour dire deux choses à la fois.

Au chapitre 6, Humpty Dumpty (l'œuf Gros Coco) explique à Alice la signification du mot « slithy » (« slictueux ») qu'elle a lu au début du poème Jabberwocky :

« Well, "SLITHY" means "lithe and slimy." "Lithe" is the same as "active." You see it's like a portmanteau—there are two meanings packed up into one word[4]. »

« Eh bien, “slictueux” signifie : “souple, actif, onctueux.” Vois-tu, c'est comme une valise : il y a trois sens empaquetés en un seul mot[5]. »

[modifier] Exemples courants

Sont définitivement entrés dans la langue des mots-valises comme :

  • motel, contraction de motorway et hotel ;
  • progiciel, de professionnel et logiciel ;
  • progiciel, de programme et logiciel ;
  • tapuscrit, de taper et manuscrit ;
  • franglais, de français et anglais ;
  • denglish, de deutsch et english ;
  • alicament, d'aliment et médicament ;
  • adulescent, d'adolescent et adulte (cf Tony Anatrella, La société adulescente) ;
  • modem, de modulateur et démodulateur ;
  • codec, de codeur et décodeur ;
  • informatique, fusion entre information et automatique, terme devenu très courant créé par Philippe Dreyfus en 1962 et officialisé par Charles de Gaulle (de même, cognitique est une fusion entre connaissance et automatique);

Comme tout néologisme, les mots-valises peuvent fournir une alternative aux emprunts lexicaux, notamment aux anglicismes :

  • clavardage, de clavier et bavardage (création québécoise[6] pour traduire le sens particulier qu'a pris en informatique le mot anglais chat, parfois francisé en tchate) ;
  • courriel, de courrier et électronique (création québécoise[7] pour remplacer l'emprunt e-mail).

Les mots-valises ne sont pas tous des créations récentes :

  • Décimeur : déformation critique et ironique, par Voltaire du mot décimateur, sous-entendant par là que la dîme était tellement importante pour les pauvres qu'elle les décimait par la famine ;
  • Midouze : cours d'eau des Landes constitué par la jonction du Midou (parfois orthographié Midour) et de la Douze ;
  • au Portugal, la ville d'Alcobaça et le petit fleuve Alcobaça (« Rio Alcobaça », nom du fleuve jusqu'à son embouchure dans l'océan Atlantique) tirent tous deux leur nom du confluent de deux rivières, l'Alcoa (« Rio Alcoa ») et le Baça (« Rio Baça »).

En linguistique, le terme peut être utilisé comme synonyme plaisant de forme contractée (forme unique issue de deux lexèmes qu'on ne peut plus reconnaître : à + leau, de + lesdes en français, in + demim en allemand, etc.). De la même manière, un morphème porte-manteau est un morphème qui porte simultanément plusieurs significations : par exemple, le morphème anglais -s porte les significations : indicatif + présent + troisième personne + singulier.

Cette forme de néologisme créée par contraction d'expressions n'est pas propre au français et existe dans de nombreuses langues.

[modifier] Mots-valises en littérature

La création de mots-valises permet un nombre illimité de combinaisons, ce qui ne peut manquer de séduire les écrivains et les passionnés de jeux de langage :

  • serpent + pantalonserpentalon (au lieu de serpentpantalon) ;
  • cheval + valisechevalise ;

Lewis Carroll a ouvert la voie pour les poètes et la poésie, qu’emprunteront en France aussi bien Raymond Roussel et Antonin Artaud que Michel Leiris (avec son « a guest + a host = a ghost »), et les oulipiens dont, bien sûr, Marcel Duchamp et Raymond Queneau. Ce dernier, dans les Fleurs bleues fait ainsi dire à Lalix : « Vous êtes tournipilant à la fin ! ». Boris Vian inventa de même le « pianocktail » de L'écume des jours, objet onirique qui unit deux plaisirs sensuels, le gustatif et l'auditif, grâce à l'ivresse de l'alcool et celle du jazz.

Le jeu peut alors devenir définitionnel :

  • adoléchiant : jeune personne au mauvais caractère
  • cerf-les-fesses : cervidé plutôt trouillard (l'un des animaux d'amour de Paul Fournel)
  • chérisson : être dont on aime le charme piquant ;
  • chirurchien : chirurgien qui réduit ses patients en charpie
  • éléphapotame : pachyderme des rivières (éléphant + hippopotame)
  • homarylinmonroe : crustacé que certains aiment chaud (l'un des opossums célèbres d'Hervé Le Tellier).
  • merdaille : une médaille dont le peu de valeur en fait un objet absolument quelconque, voire méprisable
  • merdiateur : homme de médias faisant n'importe quoi ;
  • milichien : chien policier ;
  • poustache : moustache ayant poussé ;
  • primaturé : singe né avant terme ;
  • testicubes : testicules carrées

[modifier] Le novlangue

Dans son célèbre roman 1984, George Orwell a élaboré le novlangue (déjà un mot-valise), dont l'objectif était, grâce à la simplification lexicale et syntaxique de la langue, d'asservir la pensée elle-même.

Exemples de mots-valises en novlangue :

  • Miniver : ministère de la vérité.
  • Crimesex : activité sexuelle pratiquée sans but de reproduction.

[modifier] Ouvrages présentant des collections de mots-valises

[modifier] Extension du mot-valise

  • Lorsque le mot-valise est composé d'une contraction de trois mots et plus, on parle de « mot-pantalon ».
  • Lorsque le mot-valise est composé de deux mots dont les dernière et première syllabes coïncident, on parle de mot-gigogne.

[modifier] Voir aussi

[modifier] Article connexe

[modifier] Liens externes

[modifier] Notes et références

  1. Entrée « Mot-valise » dans le TLFi : « Création verbale formée par le téléscopage de deux (ou trois) mots existant dans la langue. »
  2. Entrée « Mot-valise » dans le GDT de l'OQLF : « Terme simple composé de deux éléments lexicaux réduits, ne conservant que la partie initiale du premier et la partie finale du dernier. »
  3. (en) Illustration d'un portmanteau
  4. (en) Lewis Carroll, Through the Looking Glass (And What Alice Found There), dans Wikisource.
  5. (fr) Lewis Carroll, À travers le miroir, traduction Jacques Papy, dans Wikisource.
  6. Entrée « Clavardage » dans le GDT de l'OQLF.
  7. Entrée « E-mail » dans le GDT de l'OQLF.