Ernest Gellner

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Ernest Gellner (Paris, 9 décembre 1925 - Prague, 5 novembre 1995) est un théoricien de la modernité et de la société moderne.

Il a expliqué comment la société moderne est différente des sociétés traditionnelles. Il a un profil hors du commun, avec des contributions dans les domaines de l'anthropologie, de la sociologie et de la philosophie. Il a été professeur à la London School of Economics, comme Karl Popper. Ses plus grandes influences ont été Popper, selon Gellner lui-même, et vraisemblablement Max Weber. Perry Anderson a ainsi par exemple écrit que de tous les penseurs sociologiques weberiens, Gellner est celui qui "est resté le plus proche des problèmes intellectuels centraux de Weber". Le sociologue anglais David Glass a déclaré qu'il ne savait pas si la prochaine révolution viendrait de gauche ou de droite, mais il était sûr que la première personne à être tuée serait Ernest Gellner.

Sommaire

[modifier] Biographie

Ernest Gellner est né à Paris en 1925, dans une famille juive (mais séculière), de nationalité tchèque, et de langue allemande. Le père d'Ernest, Rudolf Gellner, travaillait comme journaliste, avant de devenir un petit entrepreneur. Comme de nombreux habitants de la Bohême de langue allemande, Rudolf a été obligé d'apprendre la langue tchèque, depuis la création de la Tchécoslovaquie, après la Première Guerre mondiale, où il avait combattu. Il vécut également en Sibérie. Rudolf étudiait à Paris quand Ernest est né, mais peu après, ils ont déménagé à Prague, où Ernest a fréquenté un lycée anglais (Grammar School).

En 1939, avec l'ascension du nazisme en Europe, sa famille fut obligée de s'enfuir au Royaume-Uni. Cette décision avait été préparée depuis longtemps, à cause du danger et de l'évolution des événements. Une des sœurs de Rudolf habitait déjà en Angleterre. Le 10 mars 1939, Adolf Hitler a ordonné l'entrée de l'armée allemande dans Prague, une conséquence des accords de Munich. Cette même année, Ernest Gellner, âgé de 13 ans, est autorisé à traverser l'Allemagne en prenant le train, avec sa mère et sa sœur, pour aller au Royaume-Uni. Les hommes adultes n'étant pas autorisés à voyager, son père a traversé la Pologne illégalement. Par deux fois, il fut renvoyé, mais la troisième tentative réussit. Avec l'aide de vieux amis russes du temps de la première guerre mondiale, Rudolf Gellner obtint à Varsovie les visas de transit qui lui ont sauvé la vie. Il est ensuite passé par la Suède, avant d'arriver en Angleterre, retrouvant sa famille à Londres. Le frère de Rudolf Gellner, Otto, a eu moins de chance et mourut dans l'Holocauste.

Ernest et sa famille ont d'abord habité à Highgate, au nord de Londres. Ensuite ils ont déménagé vers St Albans, où Ernest a étudié à la St Albans County Grammar School, un lycée établi dans les années 30. Il est un bon étudiant et obtient une bourse d'études pour le Balliol College, à Oxford. Avec ironie, Gellner a dit dans une entrevue qu'il avait profité d'une "politique à la Coloniale Portugaise", que maintenaient les natifs en paix, conférant aux plus aptes d'entre les plus pauvres la permission d'étudier.

À Oxford, Gellner a étudié la philosophie, la politique et l'économie (Philosophy, Politics and Economics -PPE). Il dut interrompre ses études pendant une année pour combattre pendant la Seconde Guerre mondiale, où il a incorporé la brigade Tchèque. À 19 et 20 ans, le jeune Ernest participe au siège de la cité de Dunkerque, peu après le débarquement en Normandie.

Après l'armistice, il a participé aux commémorations et aux parades militaires de la victoire à Prague. Il n'y est pas resté très longtemps, car dans un contexte de guerre froide, l'Armée Rouge avait demandé aux militaires tchèques de sortir et de revenir au secteur américain après les commémorations.

En 1945, il est retourné en Angleterre et y termina ses études avec distinction (first class honours) en 1947. La même année, il commença sa carrière académique comme auxiliaire du professeur John MacMurray à la faculté de philosophie morale de l'Université d'Édimbourg. En 1949, il est allé à Londres pour enseigner la sociologie à la London School of Economics (LSE), où il devint professeur en 1962. Il y poursuit la plus grande partie de sa carrière universitaire.

À partir de 1954, Gellner a fait plusieurs voyages en Afrique du Nord, pour des recherches anthropologiques, son nouveau domaine d'intérêt. Il a pris contact avec les Berbères dans les monts de l'Atlas, et par la même occasion a pu satisfaire sa passion pour la montagne. Ce travail aboutira avec son doctorat en Anthropologie Sociale, sous l'orientation des professeurs Raymond Firth et Paul Sterling. Lors de ces séjours, il a pu être en contact direct avec la religion musulmane, ce qui a fait l'objet de plusieurs de ses livres, entre autres son Saints of the Atlas, de 1969.

En 1979, encore à la LSE, il est devenu professeur de philosophie. En 1984, il est devenu le professeur William Wyse d'Anthropologie Sociale à l'Université de Cambridge.

L'évolution thématique de Gellner n'est pas habituelle. Ayant débuté dans la philosophie, il a évolué vers la sociologie, puis vers l'anthropologie sociale. Comme il a dit dans une entrevue en 1991, ce changement de sujet a été une fuite à la philosophie linguistique :

Et le paradoxe, l'anecdote c'est que m'étant échappé de la philosophie vers l'anthropologie, pour une part pour fuir à la philosophie linguistique, je vois maintenant à mon âge avancé que ce que je fuyais est maintenant dominant dans l'anthropologie : la fléut hermeneutic, comme je l'ai appelé, d'une partie influencée par Wittgenstein, est récemment très influente dans l'anthropologie. Je pense qu'elle est aussi déraisonnable dans l'anthropologie comme dans la philosophie. C'est ironique qu'il semble qu'elle me poursuive." (Davis, 1991)

Gellner a vécu un an en Union soviétique en 1989/90, invité par l'Académie des Sciences soviétique.

En 1992, Gellner s'est retiré de sa carrière académique en Angleterre et il est "retourné à ses racines", devenant directeur du Centre pour l'étude du Nationalisme, dans la nouvelle Université Centre Européenne de Prague, où il s'est concentré sur les développements politiques en Europe de l'Est, qu'il connaissait bien, et pour laquelle il avait un grand intérêt.

[modifier] Idées

[modifier] Philosophie

(Principaux ouvrages : Words and things, The legitimation of Belief, Reason and Culture)

Les livres de Gellner offrent une excellente base pour l'étude de la philosophie. Gellner a systématisé comme peu d'autres auteurs la philosophie, la sociologie, l'anthropologie et l'histoire. C'est un cas rare d'une dextérité à plusieurs disciplines et cosmopolite dans les temps modernes, accompagné par un inévitable sens de l'humour, toujours éclairé.

Gellner ordonne la philosophie avec la phrase suivante :

"Chaque bébé philosophique venu au monde deviendra forcément ou bien un petit positiviste ou bien un petit hegelien".

Gellner se situe clairement du côté rationaliste de la philosophie. Ce côté positiviste, comme il l'appelle, a un sens différent que pour Auguste Comte, que comme Gellner le dit "a combiné les deux réponses". Gellner s'intéresse à la raison, au rationalisme. Nous pouvons presque dire que le rationalisme est sortit fumant de ses oreilles (Gellner a utilisé cette expression pour décrire Leonard Trelawny Hobhouse)

Ses héros sont David Hume, René Descartes, Immanuel Kant, Bertrand Russell, Karl Popper. Ses scélérats Hegel, Wittgenstein, Nietzsche, Heidegger.

Gellner se dit un "fondamentaliste de l'éclaircissement" (les Lumières), avec ironie en contrepoint avec le fondamentalisme islamique, un tout autre courant très en vogue de nos jours.

[modifier] Voir aussi : une critique de Gellner

Gellner est aussi connu pour son livre célèbre "Nations and Nationalism", traduit en français simplement par "Nations et nationalisme" (Payot, Paris, 1989). Il se fait l'avocat de la thèse selon laquelle l'État ne serait pas d'abord le détenteur de la violence légitime, mais surtout, si l'on peut dire, le détenteur de l'éducation, légitime, l'État moderne qui accompagne une société que les besoins de l'industrialisation et de la croissance en créant une culture homogène indispensable à cette croissance, notamment par la possibilité qu'elle offre d'une possibilité pour les acteurs sociaux d'échanger leurs rôles. Le problème que pose une telle vision de la nation, c'est qu'elle subordonne à ce point l'idée de nation à la croissance des sociétés modernes et à leur rationalité en quelque sorte technique, qu'on finit par se demander quel peut encore être le lien entre la nation et la démocratie par exemple, telle que la Révolution française l'avait établi.

Gellner, dans "Nations et nationalismes" commet une erreur de taille en estimant que l'idée par exemple de l'autonomie des collectivités humaines - et en particulier des nations - n'est que l'importation dans le domaine politique de la notion kantienne d'autonomie morale, en quelque sorte circonscrite au sujet individuel. C'est en réalité plutôt l'inverse qui est vrai: Kant a importé dans sa philosophie (pour l'appliquer au sujet moral) la fameuse formule que Rousseau utilise au chapitre 8 du Livre I du Contrat social : "l'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté".

Cette erreur de Gellner a une vraie signification qui dépasse une controverse se limitant à une discussion sur l'histoire de la philosophie. On peut se demander si Gellner a bien vu, au-delà du fonctionnalisme incontestable de l'idée de nation, que celle-ci est également contemporaine de l'avènement du corps social en tant que souverain de ses destinées. Ce qui n'empêche que son idée selon laquelle l'État est le détenteur de l'éducation légitime (forume que l'on doit à Jean-Marc Ferry lecteur de Gellner), est tout à fait stimulante. Emmanuel Todd a aussi montré que Gellner se trompait en faisant de l'aphabétisation une évolution ordonnée à l'avènement d'un monde moderne industrialisé et donc homogénéisé et rationalisé. Car l'aspiration populaire à la maîtrise de l'écriture et de la lecture s'enracine aussi dans un besoin d'émancipation sociale et collective.

[modifier] Articles connexes

[modifier] Liens externes