Bataille d'Hernani

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La Bataille d'Hernani, combat , a pour cadre la première représentation, le 25 février 1830 de la pièce de Victor Hugo, Hernani, à la Comédie-Française de Paris. Cette pièce, œuvre d'un jeune auteur déjà connu, brise les règles neo-classiques des trois unités et emploie un vocabulaire inhabituel au théâtre, mêlant lyrisme et trivialité. Elle met en scène les amours malheureuses d'un proscrit, Hernani, pour la jeune infante Doña Sol.

Sommaire

[modifier] La pièce et la préparation de la bataille

En 1829, le jeune auteur Victor Hugo, déjà éreinté par la censure qui avait interdit son Marion Delorme, obtient cependant du roi l'autorisation de créer une pièce de son choix à la Comédie-Française. Choisissant un drame historique en Espagne, il décide de raconter l'histoire d'Hernani, proscrit par le roi d'Espagne, amoureux de la belle Doña Sol, aussi courtisée par le vieux Don Ruy Gomez et le roi Don Carlos, futur Charles Quint.

La représentation elle-même a été précédée de plusieurs lectures entre les membres du Cénacle romantique, chez l'auteur, si bien que les partisans d'Hugo se préparent à en découdre. Du côté des adversaires : la censure, qui coupe tout ce qui paraît une atteinte à la monarchie, les maîtres imposés, tenant du classicisme théâtral, désireux d'abattre une fois pour toutes cette génération bien trop provocatrice, et la presse critique. Une cabale se met en place contre cette pièce : le presse éreinte l'auteur, fils d'un général napoléonien, Brifaut en diffuse des extraits déformés et Hugo se plaint au ministre de l'intérieur, la censure tranche dans le vif, laissant volontairement les hardiesses de ton, pensant que le public va huer ces « fautes de goût ».

Durant les répétitions, même certains acteurs , telle Mademoiselle Mars, ont parfois quelques réticences et appréhensions à jouer dans cette pièce qui brise par trop les constructions classiques et à s'accorder avec ce jeune auteur qui bouleverse le jeu traditionnel. Il ne faut cependant pas exagérer l'hostilité des comédiens car ils étaient en général plus désireux de soutenir ce drame et leur auteur. L'anecdote suivante, racontée par Alexandre Dumas, n'est pas sans intérêt :

« Les choses se passaient à peu près ainsi : au milieu de la répétition, Mademoiselle Mars s'arrêtait tout à coup.
« Pardon mon ami, disait-elle à Firmin, à Michelot ou à Joanny, j'ai un mot à dire à l'auteur. »
L'acteur auquel elle s'adressait faisait un signe d'assentiment, et demeurait muet et immobile à sa place. Mademoiselle Mars s'avançait jusque sur la rampe, mettait la main sur ses yeux, et quoiqu'elle sut très bien à quel endroit de l'orchestre se trouvait l'auteur, elle faisait semblant de le chercher. C'était sa petite mise en scène, à elle.
« Monsieur Hugo ? demandait-elle. M. Hugo est là ?
— Me voici, madame, répondait Hugo en se levant.
— Ah ! Très bien ! Merci... Dites-moi Monsieur Hugo...
— Madame ?
— J'ai à dire ce vers-là : « Vous êtes mon lion superbe et généreux ! »
— Oui madame, Hernani vous dit : « Hélas ! J'aime pourtant d'une amour bien profonde !... / Ne pleure pas ! Mourons plutôt ! Que n'ai-je un monde ? / Je te le donnerais ! Je suis bien malheureux ! » Et vous lui répondez : « Vous êtes mon lion superbe et généreux ! »
— Est-ce que vous aimez cela, monsieur Hugo ?
— Quoi ?
— Vous êtes mon lion!...
— Je l'ai écrit ainsi madame, donc j'ai cru que c'était bien.
— Alors vous y tenez à votre lion?
— J'y tiens et je n'y tiens pas madame ; trouvez-moi quelque chose de mieux, et je mettrai ce mieux à la place.
— Ce n'est pas à moi de trouver cela : je ne suis pas l'auteur, moi.
— Eh bien alors, madame, puisqu'il en est ainsi, laissons tout uniquement ce qui est écrit. »
[...] Et la répétition continuait. Seulement, le lendemain, arrivée au même endroit, Mademoiselle Mars s'arrêtait comme la veille ; comme la veille elle s'avançait sur la rampe ; comme la veille elle mettait la main sur ses yeux ; comme la veille, elle faisait semblant de chercher l'auteur.
[...] Il est bien entendu que, le jour de la première représentation, Mademoiselle Mars, au lieu de dire : « Vous êtes mon lion » dit : « Vous êtes, Monseigneur ». Le vers ne fut ni applaudi ni sifflé ; il n'en valait plus la peine. »
    — Alexandre Dumas, Mémoires, Tome V

[modifier] La première

Le 25 février 1830, au Théâtre Français. Victor Hugo a supprimé la claque officielle, troupe d'applaudisseurs forcés, acquise aux classiques. Pour le soutenir, lui et sa femme ont battu le pavé et fait appel à des amis, du cénacle pour la plupart, avertis de l'échauffourée, déjà célèbres ou pas encore : Honoré de Balzac, Gérard de Nerval, Petrus Borel, Hector Berlioz, Alexandre Dumas, Théophile Gautier... Ce dernier s'est d'ailleurs muni d'un gilet rose, et non pas rouge vermillon comme le veut la légende, célèbre habit que selon ses mots « il ne mit qu'une fois et porta toute sa vie ». Ces escouades occupèrent bien avant l'heure le parterre et les secondes galeries, se claquemurant dans la salle et s'autorisant ainsi de boire, manger et uriner, partageant dans le noir un repas à base de chocolat, de pain et de cervelas.

Quand rentre le public, mais surtout les « anciens », défenseur du classicisme, c'est une huée. Théophile Gautier s'est fait par la suite le rapporteur de cette soirée capitale pour le romantisme, ainsi que le témoigne cet extrait d'un hommage posthume Victor Hugo en 1902 :

« Oui, nous les regardâmes avec un sang-froid parfait, toutes ces larves du passé et de la routine, tous ces ennemis de l'art, de l'idéal, de la liberté et de la poésie, qui cherchaient de leurs débiles mains tremblotantes à tenir fermée la porte de l'avenir ; et nous sentions dans notre coeur, un sauvage désir d'enlever leur scalp avec notre tomahawk pour en orner notre ceinture ; mais à cette lutte, nous eussions couru le risque de cueillir moins de chevelures que de perruques ; car, si elle raillait l'école moderne sur ses cheveux, l'école classique en revanche, étalait au balcon et à la galerie du Théâtre-Français une collection de têtes chauves pareilles au chapelet de crânes de la déesse Dourga. Cela sautait si fort aux yeux qu'à l'aspect de ces moignons glabres sortant de leurs cols triangulaires avec des tons de couleur de chair et de beurre rance, malveillants malgré leur apparence paterne, un jeune sculpteur de beaucoup d'esprit et de talent, célèbre depuis, dont les mots valent des statues, s'écria au milieu du tumulte : « A la guillotine les genoux ! » »

Le noir se fait, les trois coups tonnent et le rideau se lève sur une chambre à coucher. Entre la duègne attendant l'amant de sa maîtresse. Et ce vers : « Serait-ce déjà lui ? - C'est bien à l'escalier / Dérobé. » La querelle s'engage sur ce rejet inacceptable pour les classiques. Pendant toute la représentation la claque gratuite des romantiques fit échec à l'opposition qui sifflait les images hardies et les acrobaties rythmiques par ses bousculades verbales et capillaires, ses apostrophes à l'emporte-pièce et ses farces. Ainsi c'était pluie de papiers gras sur les jabots et les perruques des classiques, alors que Balzac se prenait un trognon de choux dans la figure, et Ernest de Saxe-Cobourg répondait à une dame qui riait aux éclats à la scène des portraits : « Ne riez pas madame, on voit vos dents ! » Sur scène, Mademoiselle Mars et ses partenaires tentent de continuer la représentation, malgré la bataille qui fait rage.

Dans son Journal, l'acteur Joanny note le soir même :

« La pièce a complètement réussi, malgré une opposition bien marquée, et malgré la manière originale dont cet ouvrage est traité. »

C'est un triomphe, la recette est énorme, le romantisme français est né.

[modifier] Les classiques contre-attaquent

Le lendemain, les adversaires du romantisme se déchaînent dans la presse :

Critique anonyme du Drapeau Blanc :

« Ce chef d'oeuvre de l'absurde, rêve d'un cerveau délirant, a obtenu un succès de frénésie ; on aurait dit que tous les fous, échappés de leur loge, s'étaient rassemblés au Théâtre-Français. »

Critique anonyme de La Gazette de France :

« Une fable grossière, digne des siècles les plus barbares ; un tissu de crimes froidement déroulés, sans combinaisons, sans art, sans moralité. »

Charles Maurice :

« Un horrible choix des moeurs, le dénigrement des caractères les plus inviolables, et un intolérable système du style destructif de toute poésie... Faites plutôt des odes ! »

La bataille prend alors une autre tournure : Hugo n'a plus que quelques places à donner, ce que lui laisse le commissaire royal, et le public devient ainsi majoritairement classique (cent places contre quinze cents). Les journaux déclarèrent que le « vrai » public pourrait aller maintenant venger l'art outragé.

Chaque représentation devint un vacarme effroyable : les loges ricanaient, les stalles sifflaient, les salons se tinrent pour dit d'aller « rire à Hernani ». Certains tournaient carrément le dos à la scène, d'autres se levaient, disaient « Je n'en puis plus » et sortaient, et d'autres plus calmes lisaient passivement leurs journaux.

Les cent jeunes gens n'en démordaient cependant pas : ils sifflaient et insultaient les tenants du « bon goût », ils applaudissaient aux hardiesses de ton, les yeux rivés sur la scène, portés par leurs vingt ans.

Les acteurs se démenaient comme ils pouvaient pour faire respecter la pièce. Mademoiselle Mars, bien qu'elle ait découvert ce que c'était que d'être sifflée et en tenait rigueur à l'auteur qu'elle critiquait en coulisse, était pourtant elle aussi fidèle au poste sur la scène et défendait la pièce jusqu'au bout.

[modifier] Un bilan paradoxal

La bataille continua ainsi tout le mois de mars, mais la pièce finit par s'imposer, et trente six représentations eurent lieu entre le 25 février et le 22 juin. Les romantiques avaient affirmé leur existence. Ils avaient gagné la bataille, même si la pièce elle-même a bien trop souffert et reste la seule victime de cette guerre : si elle fut le manifeste du nouveau style, elle n'en est pas la plus connue ni la plus jouée. La devancent Ruy Blas, On ne badine pas avec l'amour, Lorenzaccio, qui n'eurent pas à s'imposer de la même manière.

Les classiques n'en démordirent pas, en attestent les critiques éreintantes de la presse qui durèrent jusqu'en juin et de nombreuses parodies vaudevillesques jouées dès fin mars, telles que Harnali ou la Contrainte du Cor par Auguste de Lauzanne, Oh ! Qu'nenni ou le Mirliton fatal par Brazier et Pierre Carmouche ou N, i, Ni ou le Danger des Castilles (amphigouri romantique en cinq actes et vers sublimes mêlés de prose ridicule) de Carmouche, Frédéric de Courcy et Dupaty sur une musique de Piccini.

Mais ces parodies attestent du succès de la pièce, tout comme son important triomphe financier. Les romantiques ont en réalité bel et bien vaincu du point de vue du public populaire. Ainsi Sainte-Beuve, porte-parole du romantisme mais dénigreur de l'art hugolien, a noté :

« La question romantique est portée, par le seul fait d'Hernani, de cent lieues en avant, et toutes les théories des contradicteurs sont bouleversées. »

[modifier] Récits sur Hernani

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