Alexandrin

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Un alexandrin est un vers français composé de deux hémistiches (ou sous-vers) de six syllabes chacun, soit douze syllabes au total. La sixième syllabe, c'est-à-dire la dernière du premier hémistiche, correspond à la césure qui, en métrique classique, est le lieu de contraintes spécifiques : cette syllabe doit, dans la scansion tradtionnelle, être accentuée, c'est-à-dire allongée & plus ou moins modulée. A partir du milieu du XIXe siècle, suivant l'évolution phonétique & accentuelle de la langue française, la césure s'est affaiblie, entraînant dans sa chute celle de l'alexandrin.

Les métriciens du XIXe siècle ont cru pouvoir identifier deux formes d'alexandrin : le tétramètre, ou alexandrin classique, et le trimètre, forme particulière apparue à l'époque romantique. On tend aujourd'hui à considérer que ces découpages rythmiques ne relèvent pas à proprement parler de la métrique et que, par conséquent, ils ne sauraient participer de la définition de l'alexandrin.

C'est pour les francophones le « grand vers » de la poésie, le seul qui ait un « nom propre » et ne soit pas désigné par son nombre de syllabes.

Sommaire

[modifier] Origine

Le nom de ce vers vient de Li romans d'Alexandre, un cycle de poèmes du XIIe siècle de style épique, dont Alexandre le Grand est le héros, et qui est attribué à Alexandre de Bernay. Comme l'alexandrin classique, ce vers médiéval est organisé en deux hémistiches mais, contrairement à lui, il tolère une syllabe féminine surnuméraire à la césure (césure « épique »). La dénomination d'alexandrin n'est attestée qu'à partir du XVe siècle, sans que l'on puisse savoir si c'est en référence au nom du roman ou à celui de l'auteur.

Avant le XVIe siècle, il est rare en français et le vers héroïque par excellence est plutôt le décasyllabe. Il est réellement lancé par la Pléiade, notamment Jean Antoine de Baïf et Pierre de Ronsard et devient le vers cardinal de la poésie française au XVIIe siècle.

Evolution de la forme

L'alexandrin classique en deux hémistiches de six syllabes a été décrit par Boileau dans L'Art poétique. Il formule ainsi le principe de la césure:

Que toujours dans vos vers / le sens, coupant les mots
Suspende l'hémistiche, / en marque le repos.

Les romantiques se sont écarté volontairement de cette pratique traditionnelle, ce que Victor Hugo a formulé (de manière classique): « Nous faisons basculer la balance hémistiche » et dans son communiqué de victoire sur le classicisme:

J'ai disloqué / ce grand niais / d'alexandrin.

Par la suite, la poésie moderne ira plus loin, comme dans ce vers de Nuit rhénane d'Apollinaire qui résiste à l'analyse classique :

Écoutez la chanson lente d’un batelier.

[modifier] Césure

La règle classique formulée par Boileau signifie formellement que la césure doit correspondre à une coupure syntaxique. Elle tombe après un mot appartenant à une grande catégorie grammaticale (nom, verbe, adjectif, adverbe) et ne comportant pas d’e muet.

Selon Lancelot (1663), « il n'est pas necessaire que le sens finisse à la Cesure [...] mais il faut [...] qu'on s'y puisse reposer », ce qui implique par exemple que des « particules » comme qui, je ne peuvent y apparaître. De même, le substantif et l'adjectif ne peuvent figurer de part et d'autre de la césure. D'autre part, si le sens continue après la césure, « il faut qu'il aille au moins jusques à la fin du vers ».

La syllabe marquant la césure doit être accentuée, l'e muet (ou féminin) en est banni. Il peut par contre apparaître à la syllabe suivante, pour autant qu'il soit élidé. Par exemple, si :

« Oui, je viens dans son temple // adorer l'Eternel »

est un alexandrin classique bien formé, on ne peut pas en dire autant de:

« Oui, je viens dans son tem//ple prier l'Eternel » (e féminin non élidé à la septième syllabe)

ou de:

« Je viens dans son temple // pour prier l'Eternel » (e féminin à la sixième syllabe).

[modifier] Analyse rythmique

Comme tout texte, qu'il soit en prose ou en vers, un alexandrin donné peut être analysé d'un point de vue rythmique : les ouvrages de métrique, à partir du XIXe siècle, foisonnent de ce type d'analyses qui tendent à reléguer au second plan l'analyse en deux sous-vers, la seule qui soit à proprement parler métrique. Au terme d'une analyse rythmique, certaines syllabes, correspondant le plus souvent aux accents toniques identifiés par un lecteur donné, sont privilégiées.

C'est en vertu de telles analyses qu'on a souvent qualifié l'alexandrin ordinaire de tétramètre, parce qu'on y identifie subjectivement quatre mesures (c'est-à-dire éléments rythmiques délimités par un accent tonique et suivis d'une coupe). Le deuxième et le quatrième accent coïncident avec la fin de chaque hémistiche (syllabes 6 et 12), ils sont donc calés sur le mètre. Les autres accents sont variables à l'intérieur de l'hémistiche. Quand ceux-ci sont identifiés à la troisième et à la neuvième syllabe, on a pu parler de tétramètre à débit régulier (3/3//3/3). Par exemple :

« Je le vis/, je rougis,// je pâlis/ à sa vue/ »
(Racine, Phèdre, I, 3, v.435)

On peut trouver des hémistiches 1/5, 2/4, 4/2 ou 5/1 et, pourquoi pas, 0/6 et 2/2/2, ce qui fait mentir l'appellation de tétramètre. En tous les cas, ces découpages rythmiques restent éminemment subjectifs.

« Mon cœur,/ comme un oiseau,// voltigeait/ tout joyeux »
(Baudelaire, Les Fleurs du mal, « Un voyage à Cythère »)

Il faut noter que, dans la plupart des analyses, les mesures rythmiques finissent avec la syllabe accentuée. Quand un mot comporte une syllabe accentuée suivie d'une syllabe féminine, cette dernière est rejetée dans la mesure suivante. Selon cette logique, la coupe peut donc avoir lieu au milieu d'un mot.

[modifier] Alexandrin ternaire

Il est dit « romantique », car c'est avec les romantiques, et Victor Hugo en particulier, qu'il se répand. Ce type d'alexandrin a pour particularité de se laisser découper, rythmiquement parlant, en trois mesures, d'où sa qualification de "Trimètre". Le plus souvent, la sixième syllabe de ces vers conserve malgré tout l'essentiel des caractéristiques métriques de la césure. Ces vers sont donc intéressants par la tension qu'ils introduisent entre la structure métrique « classique » 6//6 qui reste prégnante et le découpage rythmique (par exemple 4/4/4) qui s'impose au lecteur.

Hugo écrit ainsi dans « Quelques mots à un autre » (Les Contemplations) : « L'alexandrin saisit la césure, et la mord », et plus loin dans le même poème : « J'ai disloqué ce grand niais d'alexandrin. »

Le trimètre se décompose donc le plus souvent en trois mesures rythmiques égales, 4/4/4.

« Et l'étami/ne lance au loin/ le pollen d'or »
Heredia, Les trophées, « Fleur séculaire »

Il faut noter que le trimètre est loin d'avoir remplacé complètement l'alexandrin normal dans la poésie romantique. Il est généralement introduit au milieu de vers ordinaires pour créer un effet de contraste.

Dans Cyrano de Bergerac, Edmond Rostand offre un exemple rare de trimètre ne pouvant pas être coupé après la sixième syllabe :

« Empanaché/ d'indépendan/ce et de franchise »

Plus tard, Verlaine et Rimbaud feront subir à la césure les derniers outrages. Cependant, l'alexandrin classique reste à l'honneur chez les Parnassiens.

Notons cependant que la critique littéraire est aujourd’hui partagée au sujet du « trimètre romantique », certains chercheurs soutenant que le déplacement de la césure n’est qu’une invention des théoriciens du XIXe. Leurs preuves sont diverses. Entre autres, on peut citer l’impossible trimètre de Corneille : « toujours aimer, toujours / souffrir, toujours mourir. » Au XVIIe siècle, une autre lecture est impossible, et l’on voit ainsi que l’on peut écrire des alexandrins sans que la césure sépare deux groupes de mots distincts. Mais surtout, les citations écrites de trimètres que l’on peut trouver d’auteurs du XIXe siècle montre que, sur les manuscrits, le signe qui symbolise la césure dans la citation est toujours située au milieu du vers, quand bien même il s’agit de couper un mot en deux : les contemporains de Hugo, Baudelaire, Rimbaud, ne bougeaient pas la césure dans leurs citations, et donc, probablement pas dans leurs lectures.

[modifier] Alexandrin à césure « faible »

Il arrive de trouver des vers ayant certaines caractéristiques du trimètre dans les œuvres de tragédiens classiques comme Corneille ou Racine — là où, en théorie, ils ne devraient pas se trouver.

« Je veux/, sans que la mort// o/se me secourir,
« Toujours aimer,/ toujours souffrir,/ toujours mourir »
(Corneille, Suréna, I, 3)

Le premier vers cité peut facilement être coupé comme un tétramètre de rythme 2/4//1/5 ; le second vers ressemble à un trimètre romantique, mais c'est plus à cause de la répétition de trois phrases presque semblables que pour des raisons spécifiquement rythmiques.

Pour expliquer cette apparente incohérence, certains critiques, comme Maurice Grammont, parlent de « faux trimètres », qui seraient en fait des alexandrins à césure faible. Ainsi, dans Esther, le prétendu trimètre

« Et Mardochée/ est-il aussi/ de ce festin ?»

devrait en réalité se lire :

« Et Mardochée/ est-il// aussi/ de ce festin ?»

Toujours selon Grammont, il y aurait plutôt une césure faible, ayant pour but en l'espèce de faire ressortir le mot « aussi ».

En tout état de cause, la seule chose qui, métriquement, importe est que ces vers sont bel et bien des alexandrins césurés 6//6 : aucune règle classique ne permettrait de considérer comme fausse la césure qui sépare « toujours » de « souffrir » ou « aussi » de « de ce festin ». Cela acquis, la question de savoir s'ils sont ou non des trimètres avant la lettre n'est plus guère pertinente.

[modifier] Références

[modifier] Références internes

[modifier] Références externes

[modifier] Bibliographie

  • Benoît de Cornulier, Art poëtique, Presses Universitaires de Lyon, 1995
  • Frédéric Deloffre, Le vers français, SEDES, 1969
  • Jean-Michel Gouvard, La versification, PUF, 1999.
  • Maurice Grammont, Petit traité de versification française, Armand Colin, 1965
  • Claude Lancelot, Quatre traitez de poësies, Pierre le Petit, 1663
  • Jean Mazaleyrat, Éléments de métrique française, Armand Colin, 1963